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Et soudain, la chose se produisit. Les deux foules se rejoignirent. Refoulés par une vague plus puissante du mascaret, les deux Pardaillan furent jetés sur la horde qui assiégeait la forteresse; la rue était pleine de fumée âcre, de poussière, de vociférations, de détonations d’arquebuses; il y eut une mêlée affreuse de cavalerie et de piétons, un remous vertigineux où les Pardaillan furent ballottés, poussés, repoussés; brusquement, une sorte d’ouverture béante devant eux, ils se retrouvèrent dans un large escalier éventré, rampes démolies, marches déchaussées… Ils se retrouvèrent là… comment? Qui pourrait savoir! Ils se retrouvèrent bondissant le long des marches de cet escalier qui ne tenait plus que par miracle… ils montaient, montaient: comme dans les rêves du délire, ils montaient, sans savoir où ils étaient, où ils allaient, sans que nul, parmi la foule, osât se lancer à leur poursuite dans l’infernal escalier qui branlait et vacillait parmi les tourbillons de fumée!…

Ils atteignirent le sommet de l’escalier, étroite plate-forme en plein air qui avait dû être son dernier palier.

Là, il n’y avait plus rien, sinon une haute muraille à laquelle s’adossait encore l’escalier, un mur que l’explosion n’avait pas démoli, et qui seul était resté debout comme on voit parfois dans un incendie.

D’un dernier bond, les deux Pardaillan atteignirent le faîte de cette muraille, large comme on le faisait alors. Ils s’y cramponnèrent, s’y installèrent solidement, et au même instant, derrière eux, il y eut un effroyable fracas tandis qu’un opaque nuage de poussière et de plâtras les enveloppait: c’était l’escalier qui venait de s’écrouler!…

Cramponnés sur le faîte de la haute muraille, ils se trouvèrent alors isolés entre le ciel, où roulaient de lourdes volutes de fumée, où passait la rafale des hurlements de cloches, et la terre d’où montait l’immense clameur de mort…

Alors le chevalier se pencha, regarda en bas, non du côté de l’escalier écroulé, mais sur l’autre versant de la muraille.

Il regarda à travers les tourbillons de fumée écarlate qui montait, chercha à distinguer ce qu’il y avait dans le tumulte effrayant qui se déchaînait au-dessous de lui…

Et son âme frémit. Son cœur défaillit. Ses lèvres tremblèrent. Ses yeux jetèrent une lueur farouche de désespoir!

Qu’avait-il donc vu?…

Ce qu’il avait vu?… La cour d’un hôtel: l’hôtel qu’on assiégeait de la rue. Une cour pleine de décombres et de cadavres! Parmi ces décombres, une foule de gens d’armes qui se ruaient à travers la grande porte démantelée! Et sur les marches qui conduisaient à la porte de l’hôtel, trois hommes, l’épée à la main, se défendant encore!…

Et à la tête des assaillants, un furieux, plus furieux, plus ardent que tous!

Et parmi les trois, un homme de haute stature qui levait au ciel un dernier regard chargé d’imprécations!

Et Pardaillan les reconnut, assaillants et assiégés!

C’était Henri de Damville qui attaquait! François de Montmorency qui allait succomber!

Les deux frères enfin face à face!

L’épilogue du sinistre drame de Margency!…

Et cette cour, c’était la cour de l’hôtel de Montmorency!…

– Malédiction! rugit avec un terrible sanglot le chevalier de Pardaillan.

Et le vieux Pardaillan, apercevant Loïse échevelée derrière son père se rappela l’enlèvement, frémit, devint livide, et se jetant à lui-même une accusation suprême, il répéta d’une voix étrange:

– Malédiction!…

XLVI COMME À THÉROUANNE

Henri de Montmorency, maréchal de Damville, s’était mis en route au premier coup de tocsin de Saint-Germain-l’Auxerrois. Son armée marchait en bon ordre et sans hâte. Nous disons son armée. Damville, en effet, s’attendait à une résistance désespérée: il avait tout prévu et organisé pour l’attaque de l’hôtel de Montmorency comme s’il se fût agi d’une forteresse à emporter.

Il avait d’abord les gentilshommes de sa maison, au nombre de vingt-cinq; puis trois cents soudards à cheval; derrière les cavaliers, roulaient trois tombereaux chargés de tonneaux de poudre; derrière la poudre, deux cents reîtres armés d’arquebuses.

Cette troupe s’était assemblée dans la nuit autour de la petite maison des Fossés-Montmartre.

À peine se fut-elle mise en marche, que le maréchal en confia le commandement à l’un de ses gentilshommes et s’éloigna avec trente cavaliers seulement.

Ils couraient dans la nuit, de leur trot pesant.

Damville était sombre. Il ne manifestait pas la joie furieuse qui éclatait dans les autres troupes de massacreurs; il ne criait pas, il ne faisait aucune attention aux arquebusades, aux torches qui couraient par les rues, aux hurlements des égorgeurs catholiques, aux plaintes des victimes, au mugissement des cloches: toute l’infernale vision du carnage ne l’atteignait pas.

Seulement, du poitrail de son cheval, il renversait tout ce qu’il rencontrait, piétinait les cadavres…

Il était sombre, rêvant à des choses, entrevoyant peut-être une image de femme se dressant parmi ces horreurs.

La petite troupe atteignit rapidement l’hôtel de Mesmes.

C’est là que Damville se rendait!

Il mit pied à terre, s’approcha de la porte de son hôtel, et cria:

– François de Montmorency, est-ce toi qui m’as jeté ce gant?

En même temps, il frappait le gant cloué à la porte.

Dans les environs, le tumulte grandissait, des torches passaient, des cris retentissaient. Les trente cavaliers, immobiles comme des statues, ne tournaient pas la tête vers ces clameurs; ils regardaient leur chef.

Damville frappa le gant. Et d’une voix devenue plus rauque, plus sauvage, il cria:

– Où es-tu, François de Montmorency? Pourquoi n’es-tu pas ici quand je relève ton gant?

Aussitôt, il arracha le gant et alla l’attacher à l’arçon de sa selle.

Il attendit une minute, les bras croisés, immobile, tandis que dans Paris se déchaînait le tumulte immense des rumeurs de mort.

Alors, pour la troisième fois, il cria:

– Lâche! Puisque tu n’es pas ici pour relever ton défi, c’est donc moi qui vais te retrouver!

À ces mots, il monta à cheval et s’élançant au galop, rejoignit son armée au moment où elle venait de franchir le Grand-Pont.

* * * * *

Le maréchal de Montmorency, tenu à l’écart comme nous avons vu, suspect à Guise, haï de la vieille reine, ignorait ce qui devait se passer. L’eût-il su même, il lui eût été impossible de supposer qu’on oserait s’attaquer à un Montmorency.