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Alors, le chevalier, pâle comme un mort, la lèvre soulevée par l’étrange sourire qu’il avait à de certaines minutes épiques, la moustache hérissée, tremblante, marcha sur Orthès.

Orthès levant les yeux aperçut les deux Pardaillan et poussa un hurlement de joie infernale… il commença un geste, ce geste ne s’acheva pas… le chevalier venait de le saisir par un poignet, celui qui tenait le fouet… le hurlement de joie devint un cri de terreur: le chevalier lui arracha le fouet, continua à tenir l’homme par le poignet…

Alors le fouet se leva, siffla dans les airs, et s’abattit sur Orthès.

Une large zébrure rouge balafra la face du tigre humain.

Une deuxième fois, le fouet se leva, le fouet des chiens s’abattit sur la face d’Orthès, puis encore, et encore!… il écumait! il bondissait! Sa figure n’était plus qu’une plaie rouge!… Cela avait duré deux secondes à peine…

D’un effort désespéré, Orthès s’arracha à l’étreinte et, les yeux sanglants, vociféra à ceux qui le suivaient:

– Sus! Sus! Ils en sont!… Pille! Tue! Pluton, Proserpine, taïaut! Taïaut!…

Les deux chiens lâchèrent les restes sanglants de la femme et se dressèrent, tout hérissés, les babines retroussées, l’un devant le vieux Pardaillan, l’autre devant le chevalier…

– Taïaut! Taïaut! hurlèrent les démons d’Orthès.

Et la figure des deux lions était si terrible, leur rugissement si effrayant que tous reculèrent en continuant de hurler!…

– Taïaut! Taïaut!…

Orthès, délirant de rage et de souffrance, râla encore:

– Pille, Pluton! Pille, Proserpine! Hardi, mes dogues! Tue! Taïaut! Taï…

Il tomba soudain, renversé, en proférant une horrible imprécation: un chien, non l’un des siens, un chien berger à poil roux, maigre et subtil, avait bondi sur lui… Pipeau! C’était Pipeau! Pipeau, l’amant de Proserpine, qui avait suivi sa maîtresse d’étape en étape.

D’un coup sec, d’un seul coup, les mâchoires de fer de Pipeau entrèrent dans la gorge d’Orthès…

Le vicomte d’Aspremont demeura immobile, tué net, près des restes sanglants de la femme… Les deux Pardaillan n’avaient rien vu de cette scène…

Pluton s’était dressé devant le vieux Pardaillan.

Proserpine, devant le chevalier.

Ils hésitèrent pendant un laps de temps inappréciable, puis, ensemble, avec un aboi sauvage, ils bondirent cherchant la gorge…

Dans le même instant, Pluton retomba en arrière, éventré par le coup de dague du vieux routier…

Proserpine avait sauté sur le chevalier…

Au moment où elle avait bondi, lui, des deux mains, l’avait empoignée au cou; il serra frénétiquement de ses dix doigts convulsés par l’effort; la chienne râla, sa voix s’éteignit… son cadavre retomba près de celui de Pluton:

Dix secondes ne s’étaient pas écoulées depuis l’instant où les Pardaillan avaient vu les chiens bondir sur la huguenote.

Ils jetèrent autour d’eux des regards flamboyants, ne voyant même pas Pipeau qui bondissait autour d’eux, délirant de joie, avec des contorsions frénétiques, ne voyant que les visages des compagnons d’Orthès, de la foule qui houlait, roulait autour d’eux, aboyant à la mort, avançant, reculant, n’osant approcher des deux lions.

– En route, dit le chevalier.

Et sa voix avait une prodigieuse intonation.

Il ramassa le fouet… le fouet à chiens.

Et ils s’avancèrent, flamboyants, étincelants, tragiques, souples, grandis, paraissait-il, plus grands que ne sont les hommes, marchant d’un pas rude qui talonnait le pavé derrière eux, comme s’ils eussent foncé sur le génie des tempêtes d’enfer…

Et le rugissement du chevalier retentit au-dessus des tumultes déchaînés.

– Arrière, chiens!… Fils de chiennes!… Arrière, chiens!…

À droite, à gauche, le fouet se levait, s’abattait, sifflait, cinglait…

Et la voix du chevalier, comme la cravache, cinglait, sifflait.

– Arrière, les chiens! Au chenil, la meute!

Tout à coup, il aperçut Pipeau et dit:

– Pardon, ami! je t’ai insulté…

Devant le fouet, devant cette lanière vivante, prodigieuse, la foule s’ouvrait. Tigres, loups, chacals, tous les carnassiers rampèrent, se culbutèrent, se bousculèrent à droite et à gauche sur la petite place.

Une ruelle déserte s’ouvrait devant le chevalier: il s’y engouffra…

XLV ENTRE LE CIEL ET LA TERRE

Le chevalier entra dans la ruelle sans savoir où elle le conduirait.

Au hasard! à l’aventure!…

Près de lui, le vieux Pardaillan, les deux mains armées, pareilles à deux griffes de lion.

Autour d’eux, Pipeau, fou de joie, fou de fureur, grondant, sautant…

Ils firent face à la foule.

Sur leurs pas, la foule s’était ruée, avait envahi l’étroit passage, massée, tassée, ondulante; et cela formait un mascaret humain qui s’avançait, roulait, se heurtait, avec des clameurs d’océan.

Pas à pas, face au mascaret, les deux êtres fabuleux, haussés en cette minute aux grandissements surhumains, pas à pas, les deux Pardaillan reculaient.

La lanière du chevalier sifflait, cinglait, marbrait des faces d’où jaillissait un hurlement; les deux dagues, les deux griffes du vieux routier, du vieux lion, labouraient des poitrines; Pipeau, à reculons, l’œil en feu, le poil droit, la gueule enrouée, pillait, mordait des jambes…

Le mascaret humain poussé par les vagues qui, au loin, du fond de la place, le refoulait en avant, marchait, déferlait…

Les Pardaillan reculaient…

Où étaient-ils? Ils ne le savaient pas…

Soudain, à vingt pas derrière eux, il y eut une sourde et puissante détonation suivie d’un fracas de maison qui s’écroule. Le vieux routier jeta un rapide regard vers ce bruit d’explosion. Et il vit alors que la ruelle débouchait sur une rue plus large; que dans cette rue, une deuxième foule tourbillonnait autour de quelque chose qui ressemblait à une forteresse assiégée; et qu’un coup de mine venait de faire sauter une partie de cette forteresse…

Donc, devant eux, la horde déchaînée devant laquelle ils reculaient pas à pas…

Derrière eux, cette autre foule sur laquelle ils allaient être jetés…

Un étau dans lequel ils allaient être broyés…