Изменить стиль страницы

Sa main se leva, s’abattit toute grande sur la face de Guise, le soufflet retentit dans le silence comme un coup de tonnerre, Guise chancela et roula à trois pas dans les bras de ses soudards…

Cela avait été net, rapide, incisif, cela avait été un coup de foudre…

Quels hurlements firent alors explosion! Des centaines de poignards, des centaines d’épées se levèrent, se choquèrent, des centaines de voix heurtèrent dans le tumulte leurs cris de mort.

Tout tourbillonna dans la cour. Ce fut un remous de bêtes féroces plus effroyable à voir que les remous des grandes tempêtes sur la face ravagée de l’Océan.

Pardaillan s’était mis en garde, résolu à mourir.

Mais il n’eut pas le temps de porter le premier coup, les bras levés n’eurent pas le temps de s’abattre sur lui… Le chevalier, à l’instant précis où retentissait le soufflet, se sentit saisi par une force d’ouragan, enlevé, porté, poussé vers un trou noir qui béait, il entra dans du noir, il entendit un choc violent et sonore.

Ce trou, c’était une porte ouverte.

Cette force qui avait saisi le chevalier, comme la rafale peut saisir une feuille, c’était le vieux routier qui empoignait son fils et l’emportait.

Ce choc sonore, c’était une porte que le vieux lion venait de pousser du pied, à l’instant où des centaines de furieux, se gênant d’ailleurs et se bousculant l’un l’autre allaient les happer tous les deux!

Des coups énormes ébranlèrent cette porte.

Il était certain qu’elle ne tiendrait pas deux minutes.

– Tu n’en feras jamais d’autres! dit simplement le vieux routier en escaladant les marches qui se trouvaient devant lui, et en entraînant son fils.

Où montaient-ils? Ils ne savaient pas…

– Ce n’est pas fini! répondit le chevalier, les dents serrées.

Dans la cour, Henri de Guise était remonté à cheval et criait:

– Cinquante hommes pour fouiller l’hôtel! que j’aie la tête de ces deux parpaillots dans une heure! Les autres, suivez-moi!… À Montfaucon!…

XXXVIII LA MARCHE AU GIBET

– Pardon, monseigneur, dit une voix près du duc sanglant.

Guise se pencha, féroce, le poignard levé.

– Ah! c’est toi! fit-il en reconnaissant Bême. Que veux-tu?

– Vous voulez pendre l’Antéchrist?

– Oui! Que veux-tu? Dépêche!

– Je veux la tête, pardieu! Elle m’appartient, vous le savez! Elle vaut mille écus d’or!

Guise éclata d’un rire terrible.

– C’est juste! Prends-la!… Nous pendrons l’Antéchrist par les pieds voilà tout!…

Bême se baissa. En quelques coups de poignard, il acheva de séparer la tête du tronc. Le corps fut saisi par les pieds. Deux hommes le traînaient, marchant en ayant, chacun d’eux tenant une jambe, le torse sanglant traînant dans la boue.

Et tous suivirent, Guise en tête!…

Une infernale procession s’organisa.

La marche au gibet, la marche macabre du corps traîné dans la boue gluante de sang, commença à travers les rues de Paris, parmi d’autres cadavres, dans le tumulte des acclamations féroces, dans le tonnerre des détonations d’arquebuses, sous le hurlement des cloches inlassables…

Vingt mille Parisiens suivaient l’infâme procession que conduisait Guise.

– Tuez! Tuez! Tuez!…

– Soûlez-vous du sang de la bête! rugissait Guise.

– Vive le pilier de l’Église! répondait la voix énorme de la foule.

Chemin faisant, on tuait, on riait, on chantait… Le cadavre de Coligny sautait sur les cailloux, tantôt sur le ventre, tantôt sur le dos… Ce fut ainsi qu’on atteignit les fourches de Montfaucon. Le cadavre, bientôt, se balança par les pieds au bout d’une corde. Et alors s’éleva dans les airs une clameur immense qu’on entendit de tout Paris et qui frissonna longuement, lugubre comme le grand coup d’aile de l’ouragan déchaîné.

XXXIX PAROLE MÉMORABLE DE BÊME

Bême était resté dans la cour de l’hôtel Coligny avec les gens d’armes laissés par Guise pour retrouver les audacieux, les fous qui l’avaient insulté en un tel moment. En quelques minutes, la porte fut défoncée et la bande se rua dans un escalier, celui-là même qu’avaient monté les Pardaillan. Bême entendit les cris éclater d’étage en étage.

«Ils les tiennent! songea-t-il en riant. Voilà deux gaillards dont la peau ne vaut pas un ducaton à l’heure qu’il est… tandis que cette tête vaut mille écus d’or. Belle tête, ma foi!… Çà, il faut que je la débarbouille…»

Il entra dans une pièce du rez-de-chaussée qui avait dû servir de corps de garde, et il en ressortit bientôt avec un baquet plein d’eau. Tranquillement, il se mit à sa hideuse besogne, fredonnant une ballade d’amour où il était question de printemps, de roses d’avril, de chants d’oiseaux et de baisers.

Autour de lui, l’hôtel ravagé, ses portes démantelées, ses fenêtres brisées, la cour encombrée de meubles précieux qu’on avait jetés et qui gisaient éventrés parmi des débris de vitraux, l’hôtel ressemblait à une forteresse après le sac d’une prise d’assaut. En haut, dans les combles, il entendait les voix furieuses des limiers lancés aux trousses des Pardaillan. Dans Paris, tout ronflait; il y avait dans les airs un bourdonnement énorme.

Paisible, Bême s’occupait à nettoyer la tête de Coligny.

Tout à coup, il vit entrer dans la cour un homme qui, d’un air anxieux, se mit à inspecter l’hôtel, tournant, et virant, le nez en l’air.

– Tiens, M. de Maurevert, dit Bême.

L’homme se retourna vers le coin où le sinistre travailleur était occupé. Il était pâle et haletant.

– On dirait que vous cherchez un trésor! reprit Bême en ricanant. Hé! ça chauffe, hein? Quelle capilotade de parpaillots!…

– Je cherche, dit Maurevert, la voix rauque et les yeux sanglants, je cherche deux de ces parpaillots, justement! Deux terribles, deux damnés! Je les ai vus partir du Temple. J’ai perdu leur piste… Je suis sûr qu’ils ont dû venir ici…

– Ah! ah!… Un vieux, maigre, moustache grise et rude, œil gris?…

– Oui, oui!

– Et un jeune, comme qui dirait l’autre, en plus sauvage, en plus fort, en plus hérissé?

– Oui, oui!…

– Ils sont là… on leur fait la chasse, allez-y, vous avez du flair; taïaut, Maurevert, taïaut!…

Maurevert s’élança dans l’escalier que lui montrait Bême, et disparut en poussant un rugissement de joie. Bême se mit à rire et répéta: