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Au même instant, le chevalier fut sur lui et dit:

– C’est bien toi qui as jeté par la fenêtre le corps de M. de Coligny?

La voix du chevalier paraissait parfaitement paisible. Et même, il avait dans les yeux un pétillement d’allégresse tout à fait rassurant. Il est vrai que ses lèvres étaient blanches et que les coins de sa moustache hérissée tremblotaient; mais ces détails échappèrent à Bême qui se redressa, se rengorgea et répondit de son haut:

– C’est bien moi, mon jeune parpaillot. Après?

– Est-ce toi qui as tué l’amiral?

– C’est bien moi, suppôt de Calvin. Après?

– Avec quoi l’as-tu assassiné?

– Avec ça! fit le colosse en désignant son épieu tout rouge qu’il avait jeté dans un coin de la cour.

Et il éclata de rire en ajoutant:

– Il y en a autant à votre service, faillis chiens d’hérétiques! Holà! À moi! Au parpaillot!…

En même temps, Bême voulut s’élancer vers la porte de l’hôtel pour l’ouvrir et appeler une bande qu’on entendait dans la rue, occupée à saccager une maison.

Mais il demeura cloué sur place.

Le vieux Pardaillan venait de lui sauter à la gorge en disant:

– Ne bouge pas, mon ami, nous avons à régler un petit compte…

Bême se secoua violemment. Mais la tenaille vivante ne lâchait pas prise. À demi suffoqué, râlant, le colosse fit signe qu’il se tiendrait tranquille. Le vieux routier le lâcha. Le colosse respira un grand coup et considéra les Pardaillan avec un étonnement farouche.

– Que voulez-vous? demanda-t-il pris d’un commencement de terreur.

– À toi? Rien! fit le chevalier. Je veux simplement débarrasser la terre d’un monstre.

– Ah! vous me voulez assassiner!

– Sais-tu te battre? dit le chevalier en haussant les épaules.

Bême bondit en arrière, tira sa rapière de la main droite et sa dague de la main gauche. Il tomba en garde.

Le chevalier déboucla son ceinturon et jeta son épée.

– Que fais-tu! vociféra le vieux Pardaillan.

– Voici l’arme qui convient ici, dit le chevalier.

Sans hâte, il alla ramasser l’épieu, l’assura dans sa main et marcha sur le colosse.

Bême sourit: sa rapière était deux fois longue comme l’épieu: il était sûr d’embrocher ce jeune fou, et après il ferait son affaire au vieux.

Le chevalier marcha sur lui, et cette fois, Bême pâlit.

Le vieux routier, au milieu de la cour, s’était croisé les bras.

Le chevalier arrivait sur le colosse, et sa physionomie était méconnaissable, avec ses yeux effrayants de fixité, le rictus étrange qui soulevait ses lèvres et le hérissement de sa moustache.

Bême, coup sur coup, lui porta deux ou trois bottes: elles furent parées par l’épieu qui soudain, se trouva à un pouce de sa poitrine. Le colosse recula, d’abord lentement, puis plus vite; il rugissait, bondissait, multipliait les coups, effaré, stupéfait de voir qu’aucun ne portait. Il reculait. Et après chacun de ses coups, à chacun de ses arrêts, il voyait la pointe de l’épieu sur sa poitrine, et il se rejetait en arrière, fuyait cette pointe rouge qui semblait le pousser quelque part, vers un endroit convenu d’avance!

Tout à coup, il se trouva acculé à la grande porte.

Ses tempes battirent, son cœur défaillit, ses yeux s’hypnotisèrent sur la pointe de l’épieu, toute rouge de sang de l’amiral.

Devant lui, le visage effrayant du chevalier.

Il voulut faire une dernière tentative, fuir à droite ou à gauche; l’épieu le ramena là où le chevalier avait voulu le placer.

Bême comprit qu’il était dans la main de la fatalité.

– Je vais donc mourir! bégaya-t-il. Ah!… Est-ce que par hasard Dieu…

Ce fut sa dernière parole. Comme il levait son poignard dans un dernier effort désespéré, le chevalier lui porta le coup – le seul qu’il lui eût porté – un seul coup.

L’épieu lancé avec une sorte de frénésie défonça la poitrine, passa à travers et s’enfonça dans le bois de la porte.

Bême demeura cloué au portail de l’hôtel Coligny, tout debout, mort sans un soupir…

Le chevalier alla ramasser sa rapière, reboucla son ceinturon, et prenant le bras de son père, qui avait assisté sans un mot, sans un geste, à cette exécution, tous deux sortirent par la petite porte bâtarde…

Deux minutes ne s’étaient pas écoulées que Maurevert parut dans la cour.

Maurevert avait suivi les soudards de Guise d’étage en étage, cherchant et fouillant avec une ardeur passionnée. Lorsque les soldats s’éloignèrent, il eut un moment de désespoir. Par où avaient donc fui les Pardaillan! Non! Ils n’avaient pu fuir. On avait mal cherché! Il redescendit et, seul, d’étage en étage, recommença les recherches.

– Ils ont fui! Ils m’échappent! Oh! les démons!… oh! je les retrouverai!

Il grondait ces mots en rentrant dans la cour et jetait autour de lui des regards sanglants.

Il s’arrêta soudain pétrifié, muet d’épouvante…

Là, devant lui, un cadavre, debout, un épieu en travers du corps, était cloué à la grande porte fermée!… Le cadavre de Bême!…

Maurevert, au bout d’un instant, revint de sa stupeur, et se mit à tourner dans la cour comme un insensé en vociférant:

– Ils ont passé par là! Voilà la marque de leur passage! Ce sont eux!… Ah! je les retrouverai!…

Cependant, il eut vite acquis la conviction qu’il n’y avait plus personne dans la cour ni dans l’hôtel… plus rien que des cadavres!

Alors, par un effort de volonté, il se calma, réfléchit comme peut réfléchir un limier et chercha à reprendre la piste.

Son regard tomba sur un paquet enveloppé de linges.

Il défit les linges et trouva la tête de Coligny. Il la saisit par les cheveux.

– Toujours bon à prendre, gronda-t-il entre les dents. À qui la porterai-je? à Guise? à la reine?… Bah! Guise est battu pour cette fois, je la porterai à la reine!

Il s’élança dans la rue.

À gauche, à cinquante pas, il y avait une foule qui dansait autour d’un feu sur lequel on avait jeté une douzaine de cadavres.

À droite, la rue était libre.

– Ils ont fui par là! grommela Maurevert.