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– Quelle capilotade, Seigneur!

Pendant que ces choses se passaient dans la cour, les deux Pardaillan avaient monté l’escalier. Le bâtiment dans lequel ils se trouvaient formait le flanc gauche de l’hôtel et était isolé des deux autres dont l’ensemble traçait le rectangle de la cour.

D’étage en étage, les Pardaillan virent qu’il n’y avait pour eux aucune issue possible.

Comme ils atteignaient le grenier, ils entendirent en bas une clameur: la porte venait de céder, et la bande faisait irruption dans l’escalier.

– Ah çà! dit le vieux routier, mais nous allons être pris comme des renards?

– Faites attention, monsieur, répondit le chevalier, que nous étions, il y a moins de deux heures, dans une cage de fer où nous allions être broyés; nous sommes au paradis en comparaison.

En parlant ainsi, ils avaient couru à l’unique fenêtre du grenier.

En face de cette fenêtre, s’en ouvrait une qui appartenait au bâtiment central, c’est-à-dire à l’hôtel proprement dit. La demeure de l’amiral était ainsi composée: la cour; au fond de la cour, l’hôtel; à droite et à gauche, en retour sur la rue, un bâtiment; ces deux bâtiments séparés de l’hôtel central par un passage étroit permettant de gagner les derrières et les jardins. De cette disposition, il résultait que les dernières fenêtres de chaque bâtiment faisaient vis-à-vis à la face gauche et à la face droite de l’hôtel central.

C’est dans le bâtiment de gauche que se trouvaient les Pardaillan.

– Voici le chemin! s’écria le vieux routier en apercevant la fenêtre que nous venons de signaler.

Une planche! Vite une planche!

Ils cherchèrent des yeux: il n’y avait rien dans le grenier, pas la moindre planche, pas le moindre meuble capable de former un pont, pas même une corde qu’on eût pu, peut-être, utiliser…

Redescendre? Impossible: les gens d’armes montaient, fouillant chaque étage.

Le vieux routier laissa échapper une terrible imprécation.

Ils se regardèrent, tout pâles…

Soudain, ils entendirent les cris au-dessous d’eux… dans quelques secondes, le grenier allait être envahi!…

– Sautons! dit le chevalier froidement. Il y a moins de six pieds d’une fenêtre à l’autre!…

– Sautons! dit le vieux routier d’une voix qui parut étrange à son fils.

En effet, sauter était impossible: tout point d’appui pour prendre de l’élan manquait; la fenêtre d’en face était étroite; c’eût été un prodige que de pouvoir se lancer dans le vide et arriver juste à passer dans cet espace resserré.

Sauter, c’était se suicider!

Mais mieux valait encore courir ce risque terrible que de tomber aux mains des cinquante fous furieux qui montaient ivres de rage! La mort n’était rien! Mais les supplices qu’on leur ferait endurer!…

– Sautons! avait dit le vieux Pardaillan. Attends! je passe le premier!…

Et aussitôt il se mit debout sur le bord de la fenêtre.

Au même instant, le chevalier, la gorge serrée par l’angoisse, la sueur au front, vit son père se laisser tomber en avant!

Le vieux routier ne sautait pas! Il se laissait tomber!…

La tentative était prodigieuse, inouïe – une de ces idées folles qui germent dans la folie du désespoir!…

Le corps raidi, tendu à briser ses nerfs, les bras musculeux tendus dans un formidable effort, les pieds rivés à l’appui de la fenêtre, le vieux Pardaillan se laissa tomber en avant tout d’une pièce, sans fléchissement ni jarrets, ni des coudes… Son corps décrivit un arc de cercle dans le vide…

Le chevalier jeta un cri…

Et à ce cri, la voix du routier, oui, sa voix même, répondit:

– Voici la planche, passe, chevalier!…

La folle tentative avait réussi!

Les mains du vieux Pardaillan, au bout de ses bras tendus, avaient saisi le rebord de la fenêtre d’en face, tandis que ses pieds s’arc-boutaient à la fenêtre du grenier!…

Et il demeurait ainsi suspendu sur le vide, pont vivant jeté d’une fenêtre à l’autre!

Ces deux hommes étaient formidables dans tout ce qu’ils entreprenaient: prompt comme l’éclair, léger comme un chat sauvage, dans cette seconde effrayante où son cerveau cessa de penser, où son cœur s’arrêta de battre, le chevalier bondit, posa son pied sur le centre du pont vivant, et dans son élan, alla rouler jusqu’au milieu de la pièce où il venait de tomber!…

Au même instant, le vieux routier, solidement harponné des mains, laissa tomber ses pieds, se hissa à la force des poignets et rejoignit son fils…

Tel avait été l’effort que, pendant une minute, ils demeurèrent prostrés, haletants, sans voix…

Le grenier qu’ils venaient de quitter se remplit de cris de fureur.

Puis il y eut un silence relatif.

Les deux Pardaillan, l’oreille tendue, couchés sur le plancher, écoutaient, prêts à bondir.

– Je comprends tout! s’écria une voix. Voyez, capitaine, ils ont dû sauter dans le passage par la fenêtre du premier étage, pendant que nous montions.

– Et maintenant ils sont loin! dit une autre voix qui devait être celle de l’officier. Allons, en route, et tâchons de rejoindre monseigneur!

Les Pardaillan entendirent la bande s’éloigner et redescendre en brisant quelques vitres par acquit de conscience. Le chevalier s’approcha alors d’une fenêtre qui donnait sur la cour; il vit les soldats apparaître, donner quelques explications à Bême qui haussa les épaules, puis s’en aller au pas de course, pressés qu’ils étaient sans doute de prendre leur part du massacre…

Bême demeura seul dans la cour, toujours occupé à sa funèbre besogne.

Maintenant, il enveloppait de linges la tête de l’amiral.

Puis, sifflotant un air de fanfare, il alla chercher de l’eau pour se laver les mains. Puis, ayant sans hâte achevé cette toilette sommaire, il rentra dans la cour: il n’avait plus qu’à prendre la tête et la porter chez un embaumeur qui était prévenu et l’attendait. Après quoi, avec cinq ou six compagnons, il monterait à cheval et se dirigerait à franc étrier sur l’Italie et Rome…

– Tiens! dit Bême en revenant dans la cour, la grande porte est fermée? Par qui? Pourquoi?

Comme il se posait ces questions avec une vague inquiétude, il aperçut tout à coup les deux Pardaillan qui se dirigeaient vers lui.

– Ah! ah! fit-il en écarquillant les yeux.