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Les deux Pardaillan, une fois hors le Temple, avaient pris au hasard la première rue. Elle était pleine de fumée et de cris; fumée des arquebusades, fumée des incendies, détonations, cris d’horreur, cris d’insultes, clameurs d’agonie… et sur tout cela, le hurlement des cloches affolées.

– Libres! gronda le vieux routier en jetant autour de lui des yeux sanglants.

– Libres! répéta le chevalier. Pauvre Catho!…

Ils se regardèrent. Chacun d’eux avait ramassé une forte rapière et une bonne dague. Dagues et rapières étaient rouges, ils étaient déchirés. Ils étaient pâles. Leurs yeux conservaient encore plus l’horreur de l’épouvantable minute vécue sous le plafond de fer qui descend, que l’horreur de ce qu’ils voyaient…

– Pas blessé? demanda le vieux.

– Rien, ou presque. Et vous, monsieur?

– Pas une égratignure… Allons!… Mais qu’y a-t-il dans Paris?… Que de sang!… Que de fumée!… Quels cris!… Quelle affreuse bataille!…

– Non, mon père, c’est un égorgement… Allons, dépêchons…

– Mais où?… Chez Montmorency?…

– Tout à l’heure. Je ne pense pas qu’on ose attaquer le maréchal. D’ailleurs, il est catholique… Venez… vite!…

– Où aller, alors?

– À l’hôtel Coligny, mon père! On tue les huguenots… Là, on doit tuer aussi… Ah! mon pauvre ami!…

– Marillac?… Mais il est mort! Le sorcier te l’a dit!

– Il a menti, peut-être… Allons!

Tout en parlant ainsi, à mots brefs et rauques, ils marchaient d’un bon pas. À diverses reprises, des bandes les regardèrent d’un œil soupçonneux. Qui étaient ces deux qui n’avaient ni croix ni brassards?… Mais la plupart s’écartaient prudemment. Ces deux-là, avec leurs rapières et leurs dagues, avec leurs faces de lions, étaient de taille à se défendre.

En tout temps, rien n’est lâche comme les massacreurs.

Cependant, plus ils entraient dans Paris, plus leur marche devenait difficile.

– Criez: Vive la Messe! vociféra soudain une voix devant eux.

Une sorte de brute, les manches retroussées, les bras rouges, leur barrait le chemin avec cinq ou six hommes.

Les Pardaillan s’arrêtèrent.

– Criez: Vive le pape! reprit la brute.

Le chevalier leva son poing sans dire un mot, le poing s’abattit sur la tempe de l’homme qui tomba d’une masse.

– Va lui porter ça, au pape! vociféra le vieux routier.

La bande, un instant effarée, se mit à les poursuivre avec des menaces furieuses. Ils se retournèrent.

– Chargeons! fit le vieux.

En un instant, ils furent sur les hurleurs: deux d’entre eux s’affaissèrent, les autres disparurent au fond d’une allée en criant:

– Du renfort! En voici deux. Au parpaillot! Sus! Sus!…

Quand ils sortirent, les Pardaillan étaient loin. Ils couraient maintenant, sans s’arrêter, enjambant ici un cadavre, faisant là un crochet pour éviter une foule en train de brûler une maison; ils allaient, remplis d’étonnement, la cervelle endolorie par l’épouvantable tumulte des cloches et des détonations; ils allaient, frappant tout ce qui se dressait devant eux, sans un mot, côte à côte, la dague en avant; ils passaient comme un météore qui laisse derrière lui un sillage de terreur… et ce fut ainsi qu’ils atteignirent l’hôtel Coligny, à quatre heures du matin.

Une foule énorme remplissait la rue de Béthisy.

Ils foncèrent et se frayèrent un passage. Peut-être les prit-on pour deux catholiques forcenés.

La porte de l’hôtel était grande ouverte, la cour encombrée de gens d’armes qui hurlaient:

– À sac! à sac!

Et ils entrèrent. Dans un remous de cette foule qui affluait et refluait, ils arrivèrent au centre la cour, horrifiés, les nerfs prêts à se briser sous l’effort de l’indignation furieuse qui les tordait, et comme ils regardaient autour d’eux, pantelants de colère, une voix dominant le tumulte cria:

– Eh bien, Bême!… Bême, Bême! As-tu fini?…

Et ils reconnurent le duc de Guise qui levait la tête vers une des fenêtres de l’hôtel.

XXXVII ICI L’ON TUE

Guise avait perdu du temps. Parti à trois heures de son hôtel, il venait d’arriver seulement chez Coligny. Il avait fait plusieurs détours et de temps à autre, il s’arrêtait, écoutant, paraissant attendre. Chemin faisant, pour faire patienter ses hommes, il faisait massacrer, au hasard de la rencontre, tout ce qui ne criait pas «Vive la messe» et n’avait pas une croix blanche au chapeau. Qu’espérait-il? Qu’attendait-il? Peut-être pensait-il pouvoir marcher sur le Louvre… Comme il venait de s’arrêter encore, un homme accourut au galop de son cheval, vint se placer près de lui et lui dit à voix basse:

– Rien à faire, monseigneur! Le prévôt occupe l’hôtel de ville avec des forces imposantes et les troupes de la reine sont en route!

Guise grinça des dents et gronda:

– Ventre du diable! J’aurai donc tiré les marrons du feu pour ce misérable Charlot! Allons, en route!…

Il prit le trot. Suivi de ses cavaliers, il passa comme un tonnerre, tandis qu’autour de lui retentissaient les vociférations de:

– Vive Guise! Vive le pilier de l’Église!

Dans la rue de Béthisy, les maisons qui avoisinaient l’hôtel étaient remplies de huguenots. Mais là, la besogne était déjà faite; trois de ces maisons flambaient; deux cents cadavres jonchaient la chaussée; Guise et ses soudards arrivèrent de leur trot pesant et, piétinant ces cadavres, s’arrêtèrent devant la porte de l’hôtel.

Sur cette porte, quelqu’un venait de tracer ces mots à la craie:

– Ici l’on tue!

– Tu vois? dit Guise s’adressant à un colosse qui était près de lui.

– Je vois! répondit le colosse.

C’était Dianowitz, appelé Bohême, et par abréviation, Bême.

À ce moment arriva le duc d’Aumale, escorté de Sarlabous, gouverneur du Havre, et de cent cavaliers.

– Est-ce fait? demanda Aumale.

– Ça va se faire! dit Guise.

Tous descendirent de cheval. Et le duc de Guise, du pommeau de son épée, frappa rudement à la porte. Elle s’ouvrit aussitôt. Cosseins apparut, entouré de ses gardes – ces gardes que Charles IX avait laissés pour protéger Coligny!

– Monseigneur, dit Cosseins, faut-il commencer?