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Et cet homme, c’était Ruggieri qui cherchait sa proie, Ruggieri qui venait chercher le sang nécessaire à la réincarnation – à son rêve de magicien fou furieux!

XXXVI LIONS DÉCHAÎNÉS

Les deux Pardaillan bondirent et se ruèrent vers l’entrée du boyau. D’instinct les ribaudes, collées au mur à droite et à gauche, leur firent un passage. Mais dès qu’ils se trouvèrent en tête, elles remplirent le couloir de leurs cris assourdissants.

– Catho est morte!

– Vengeons-la!

– Mort au guet!

– En avant! En avant…

En un instant, les Pardaillan s’étaient heurtés au groupe de soldats qui apparaissait. Les deux premiers tombèrent mortellement frappés à coups de l’arme bizarre et courte qu’ils portaient – des poinçons, paraissait-il.

Devant cette attaque furieuse, devant les visages des furies déchaînées qui hurlaient à la mort derrière les deux hommes, les autres soldats s’arrêtèrent. Le vieux routier et son fils avaient ramassé les piques des deux soldats tombés. De nouveau, ils foncèrent.

Dans le boyau, il n’y avait place que pour deux de front.

La nouvelle attaque des Pardaillan jeta par terre les deux plus avancés.

En même temps, la bande des ribaudes agitant ses armes, dagues, pistolets, tronçons d’épées, poussait des cris terribles: en désordre, les soldats remontèrent précipitamment l’escalier.

Saris un mot, livides, hérissés, les Pardaillan montèrent par bonds furieux; à chaque bond, un coup de pique, à chaque coup, un juron; à chaque juron, un homme qui tombait.

Cela dura deux ou trois secondes.

Tout à coup, les Pardaillan se virent à l’air, dans une cour. Ils respirèrent largement et, d’un même mouvement instinctif, levèrent les yeux comme pour se rendre compte qu’ils ne rêvaient pas, qu’ils voyaient bien une réalité: les sombres bâtiments du Temple, et là-haut, le ciel où brillaient des étoiles pâlies par l’approche de l’aube. Alors, ils entendirent le grand tumulte des cloches, des arquebusades, de l’énorme tuerie, et ils frissonnèrent…

– Feu! tonna la voix d’un officier.

Les deux Pardaillan tombèrent à plat ventre, la décharge passa au-dessus d’eux, et ils se relevèrent d’un bond.

L’officier avait rangé ses hommes au fond de la cour, sur un seul rang. Les arquebuses déchargées, il hurla:

– En avant!

Alors, dans cet étroit espace qu’éclairaient les premières lueurs de l’aube, il y eut une mêlée fabuleuse, comparable en ses évolutions désordonnées aux tourbillons d’un cyclone. En effet, les soldats croyant que les Pardaillan étaient les chefs de cette bande de furies, les avaient entourés. Le vieux routier et le chevalier s’étaient adossés l’un à l’autre; autour d’eux tourbillonnaient les hommes d’armes, et autour des hommes d’armes, avec des cris stridents, tourbillonnaient les femmes.

Ruggieri, cependant, courait comme un insensé, s’arrachant les cheveux et vociférant des malédictions.

– À l’aide! À l’aide! Ils s’échappent! Oh! il n’y a donc plus personne! Au meurtre! À moi!…

Il parvint à la grande porte et l’ouvrit, affolé, ne sachant plus ce qu’il faisait.

Des groupes de catholiques passaient, le mouchoir blanc au bras.

– Ici! ici! hurla Ruggieri… Misérables! Ils ne m’entendent pas!

Devant lui, on pillait une maison d’où sortaient les cris perçants des victimes.

– Par ici! appela Ruggieri. Il y a deux huguenots ici… Maudits! Soyez maudits!

On ne l’écoutait pas, en effet, chacun des assassins pillards étant occupé à quelque sinistre besogne.

Alors, avec des sanglots terribles, se heurtant aux murs, se frappant la poitrine, invoquant les esprits, il rentra dans le Temple, courut au hasard, appelant, vociférant, et s’arrêtant enfin dans la cour où se trouvait le poste fermé par La Roussotte et Pâquette.

Il eut un rugissement de joie en apercevant les hommes d’armes derrière les barreaux des deux fenêtres.

Réveillés par le tumulte, d’abord effarés de trouver la solide porte fermée, ces hommes cherchaient à démolir les grilles des fenêtres.

– Attendez! Je vais vous aider! Vite! vite!…

– Au nom du ciel! cria un sergent, que se passe-t-il?

– Vite! vite! Ils se sauvent! Il me faut leur sang! Hardi! Voilà les barreaux qui fléchissent…

À ce moment, une grande clameur le fit se retourner. Il vit la cour se remplir de femmes délirantes qui hurlaient:

– Victoire! Victoire!…

Elles passèrent en courant, se dirigeant vers la grande porte.

Les soldats du poste, à grands coups, cherchaient à démolir leurs grilles. Deux barreaux sautèrent enfin!

À cet instant, les dernières combattantes passèrent échevelées, et cette vision fantastique s’évanouit sous une voûte: les deux Pardaillan, les derniers, apparurent alors, sanglants, l’œil en feu, marchant de ce pas souple et terrible des grands fauves qui regagnent leurs forêts.

Ruggieri, sans voix, bégayant une dernière malédiction, voulut se jeter au-devant d’eux.

Le chevalier, d’une main, l’écarta sans effort apparent. Mais le geste avait dû être puissant, car Ruggieri alla rouler jusqu’à la muraille au pied de laquelle il tomba tout d’une masse, évanoui, en proférant une dernière clameur de rage et de désespoir.

Les Pardaillan passèrent!…

Cinq ou six soldats, par l’ouverture pratiquée, sautaient dans la cour et leur coururent sus: les deux fauves se retournèrent avec un grondement si effroyable, avec des faces si terribles que les reîtres s’arrêtèrent, reculèrent, et mirent en joue.

Deux coups de feu éclatèrent.

Sans hâter leur pas souple de lions en marche, les Pardaillan continuèrent leur route, et comme les quarante soldats du poste enfin délivrés s’élançaient ensemble, ils les virent franchir la grande porte que Ruggieri avait ouverte et disparaître dans la fumée, dans le tumulte. L’officier survivant, stupéfait du spectacle insensé que présentait la rue entrevue, ne songea qu’à se barricader. Puis il se mit à la recherche du gouverneur Montluc qu’il trouva ficelé, ronflant sous la table de sa salle à manger…

À ce moment il était trois heures et demie.

Le jour grandissait.

Malgré cela, les bandes de forcenés qui parcouraient les rues n’éteignaient pas leurs torches! Elles servaient à mettre le feu au maison marquées d’une croix blanche.