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Cet être bizarre, à grand effort, faisait tourner une manivelle de fer.

Catho entendait le grincement de cette manivelle et le souffle rauque du fantastique travailleur.

– Qu’est cela? demanda-t-elle.

– La mécanique! dit le sergent.

– Où sont-ils? haleta Catho prise d’un pressentiment terrible.

– Là!… Sous la meule de fer! dit le sergent qui éclata de rire.

Catho jeta un hurlement. Son poing fermé se leva, siffla dans l’air et s’abattit sur le crâne du sergent qui étendit les bras, tourna sur lui-même et tomba, le nez sur les dalles.

Il était mort.

Catho enjamba le cadavre. En deux bonds, hurlante, échevelée, dépoitraillée, elle fut sur le gnome qui, tout à sa besogne, ne voyait rien, n’entendait rien.

Les dix doigts de Catho s’incrustèrent sur la nuque du gnome qu’elle arracha de la manivelle.

Le grincement s’arrêta net.

Le bourreau considéra Catho d’un œil hébété. Catho, après l’avoir saisi par la nuque, l’avait retourné, l’avait collé contre la muraille. Ses doigts maintenant s’incrustaient dans la gorge du gnome. Un silence profond régna dans le boyau. On n’entendait que les deux râles, celui du monstre et celui de Catho.

– Grâce! dit l’homme, stupide d’épouvanté devant tous ces visages de femmes curieuses.

– Où sont-ils? râla Catho.

– Là! fit le gnome.

– Ouvre! Ouvre! Ou tu es mort!

Elle parlait bas, bredouillait plutôt, comme ivre.

Le monstre étendit le bras et montra un fort bouton de métal qui, à cinq pieds au-dessus de la manivelle, bosselait le mur.

Catho lâcha le gnome et bondit.

Son poing fermé se mit à marteler à grands coups le bouton de fer.

Mais dès le premier coup, un déclic avait retenti.

La porte de fer s’ouvrit.

Et alors, deux hommes, deux fantômes, livides, les yeux élargis par l’étonnement infini, les lèvres retroussées par le rictus des épouvantes surhumaines, apparurent…

– Sauvés! hurla Catho dans un éclat de rire effrayant.

Presque aussitôt, les sanglots firent explosion sur ses lèvres; elle s appuya à la muraille, défaillante, ravie, terrible et sublime, répétant dans un murmure:

– Sauvés!…

– Catho!…

Ce cri éclata en même temps, poussé par les deux hommes.

Un instant, ils demeurèrent comme pétrifiés devant le boyau empli de femmes qui maintenant riaient, battaient des mains, se félicitaient, jacassaient, pleuraient.

Alors ils comprirent!

Leur imagination, prompte comme la foudre, reconstitua l’épopée: Catho soulevant les ribaudes et les truandes pour envahir le Temple, et la bataille, et la ruée à travers les sombres couloirs; et ils comprirent pourquoi, au moment de se frapper, ils avaient entendu de sourdes rumeurs, pourquoi le plafond s’était arrêté net, pourquoi la porte s’était ouverte, pourquoi ils étaient vivants, libres, hors l’épouvantable cauchemar de la mécanique de fer!…

D’un bond, ils furent près de Catho.

D’un même mouvement, ils tombèrent à ses genoux, et chacun d’eux saisissant une de ses mains, y déposa un long baiser.

Catho, appuyée au mur, se laissait faire, comme si elle eût compris que cet hommage venant de pareils hommes était la suite toute naturelle du rêve de son âme simple, violente et douce.

Le gnome, le monstre, en sautillant sur ses jambes torses, s’était faufilé, avait fui, effaré, stupide de terreur et d’étonnement.

Dans l’étroit couloir, le silence s’était rétabli, et on entendait seulement la sourde rumeur qui venait du monde des vivants en train d’accomplir la grande hécatombe.

Le vieux Pardaillan, le premier, sortit de cette extase qui les avait fait tomber à genoux devant Catho.

Il se releva, le sourcil froncé, la moustache hérissée, et de cette voix brève, sans expression saisissable qu’on a dans les moments tragiques:

– Partons! Malheur à eux!…

Eux!…

C’était dans l’esprit du routier les abominables bourreaux qui avaient imaginé pour son fils et pour lui l’horreur d’un supplice sans nom.

– Oui, dit le chevalier en se relevant alors, partons! Nous avons quelque chose à faire!

Il avait dit cela d’une voix si calme qu’il était impossible d’y découvrir une émotion.

Mais le vieux Pardaillan comprit, lui, car il murmura entre ses dents serrées:

– Gare aux loups, maintenant que ce lion est déchaîné!… Allons, viens, Catho!

Catho voulut faire un pas. Brusquement, elle s’affaissa.

– Par le ciel! gronda le chevalier, elle est blessée…

Catho sourit. Elle montra du doigt son sein droit ensanglanté. D’un geste rapide, le vieux routier acheva de déchirer le corsage déjà en lambeaux. Le sein apparut. Une plaie large et profonde laissait échapper du sang qui ne sortait déjà plus que goutte à goutte.

– Partez! râla Catho.

– Sans toi! Jamais!…

De nouveau, elle sourit. Ses yeux de bon chien fidèle s’attachèrent sur le vieux routier, puis sur le chevalier.

– Tout de même, murmura-t-elle à mots entrecoupés, ils… ne vous… auront pas… partez… adieu…

– Catho! ma pauvre Catho!

Les deux Pardaillan s’étaient mis à genoux. Ils soutenaient dans leurs bras, l’un les épaules, l’autre la tête de la blessée.

Elle continuait à sourire.

Elle comprenait bien que tout était fini pour elle. Tout à coup, ses yeux fixés sur le chevalier devinrent vitreux. Elle eut une légère secousse. Un souffle léger s’exhala de ses lèvres entrouvertes. Et ce fut ainsi, en souriant et en regardant le chevalier de Pardaillan, qu’elle se raidit dans le suprême effort de la vie qui quitte le corps.

– Morte! gronda le vieux Pardaillan avec un juron de malédiction.

– Morte! répéta le chevalier avec un sanglot terrible chez lui.

– Les voilà! Les voilà! hurla à ce moment à l’entrée du couloir une voix féroce, délirante et tremblante à la fois.

Et un homme apparut, haletant, convulsé, hideux à voir… suivi d’une vingtaine de soldats.