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Dans le Louvre, les détonations, les plaintes déchirantes, les imprécations horribles retentissaient plus violentes.

Au dehors de Paris montait une rumeur immense, faite des hurlements des cloches, des hurlements des assassins, des hurlements des victimes…

– Sire! Sire! clama Condé en se tordant les bras, vous n’avez donc ni cœur ni entrailles! Quoi! Cette monstrueuse tuerie! Quoi! vous nous avez fait venir! Nous sommes vos hôtes! Écoutez! Écoutez! Ah! c’est affreux!

– Taisez-vous! rugit Charles qui grinça des dents. On tue ceux qui me voulaient tuer! C’est votre faute, fourbes, hypocrites, qui voulez renverser la religion de nos pères, détruire la tradition française. C’est la messe qui nous sauve, entendez-vous!

– La messe! vociféra Condé. Comédie infâme!…

– Que dit-il? bégaya Charles, que dit-il? Voilà qu’il blasphème? Attends! Attends!…

Il se jeta sur l’arquebuse dont Crucé lui avait fait hommage. Elle était chargée.

– Tu nous perds! murmura le Béarnais qui s’adossa à un meuble pour ne pas tomber.

– Renonce! tonna le roi en couchant Condé en joue.

Et par une de ces sautes soudaines de la pensée qui tourne aux vents de la folie, tout à coup ce fut sur Henri de Béarn qu’il dirigea le canon de son arme. En même temps, il éclatait de rire, furieusement, funèbrement.

– Renonce! hurla-t-il de nouveau.

– Eh! ventre-saint-gris, s’écria le Béarnais en accentuant cet accent gascon qui, la veille encore, mettait Charles de si bonne humeur, est-ce à la vie que je dois renoncer, mon cousin? C’est dommage! Adieu nos belles chasses!

– Je veux que tu ailles à la messe! Que cela finisse une bonne fois! Tout le monde à la messe, et n’en parlons plus!…

– À la messe! fit Henri de Navarre.

– Oui! Choisis! La messe ou la mort!…

– Allons-y, cousin! Allons-y tout de suite! Çà! où dit-on la messe? J’en veux tout de suite, moi!

– Et toi? reprit Charles en se tournant vers Condé.

– Moi, Sire, je choisis la mort!

Le roi fit feu.

Henri de Béarn jeta un cri d’angoisse.

Mais dans la fumée, on vit Condé debout, très calme et les bras croisés. La main de Charles tremblait à tel point que la balle avait passé à deux pieds au-dessus de la tête du jeune homme.

– Sire! clama le Béarnais, je réponds de lui. Il se convertira sous trois jours!

Mais Charles ne l’écoutait plus. Peut-être ne les voyait-il plus. L’effroyable tumulte, dans le Louvre et dans Paris, lui donnait une sorte de vertige. Son rire grinçait, plus terrible. Des lueurs plus sauvages éclataient dans ses yeux. La folie montait, folie du sang dont les odeurs âcres envahissaient sa cervelle. Il poussa une effroyable imprécation et, saisissant son arquebuse par le canon à coups de crosse il se mit à démolir la fenêtre, les vitraux tombèrent en éclats, le châssis sauta, Paris lui apparut dans un brouillard sanglant!…

Charles avait jeté son arquebuse. Il se pencha à la fenêtre et regarda avidement. L’affreuse chasse à l’homme, sur les berges de la Seine, se poursuivait comme sur tous les points de Paris. Un prêtre passa. Il levait une croix et clamait:

– Tuez! Tuez tout!…

Presque aussitôt, deux moines, colosses aux sandales gluantes de sang, se montrèrent poursuivant un groupe de femmes.

L’une d’elles fut assommée d’un coup de crucifix; une autre fut empoignée par les cheveux par le deuxième moine et jetée à terre.

Les deux moines, suivis d’une vingtaine de furieux, disparurent au tournant, en vociférant:

– Vive Jésus! Vive la messe!…

Des hommes, des enfants passaient en bondissant comme des cerfs. Un coup d’arquebuse abattait tantôt l’un, tantôt l’autre. Il y en avait qui tombaient à genoux, les mains levées vers les bourreaux. Mais des prêtres arrivaient au pas de course, et hurlaient:

– Tuez! Tuez!…

On tuait.

– Tuez! murmurait Charles. Il faut tuer! Pourquoi tuer? Ah! oui!… Guise… la messe…

Et le mot effroyable bourdonnait plus fort dans sa tête.

– Tuez! Tuez!… Il faut tuer!… Du sang! Du sang!…

Il était ivre. Il était saoul. Il tremblait. Sa tête se balançait de droite et de gauche, lentement. Il riait. Il sentait ses nerfs se tordre sous l’effort du rire. Il avait un visage épouvantable. La folie montait à la fureur.

Et tout à coup, secouant frénétiquement l’appui de la fenêtre, il eut un long hurlement de loup au fond des bois. Et la parole affreuse, en cris rauques, en râles brefs, fit explosion sur ses lèvres exsangues:

– Tuez! Tuez! Tuez!…

Alors, il bondit en arrière, saisit l’une des arquebuses. Il y en avait une quinzaine. Elles étaient toutes chargées?… qui les avait chargées?…

Et il tira.

Puis il saisit une autre arquebuse.

Et il tira.

Il tirait au hasard. Homme, femme ou enfant. Tout ce qu’il voyait passer, il tirait.

Quand il eut déchargé toutes les arquebuses, il se pencha, fou furieux, effroyable à voir, la bouche pleine de mousse, les yeux hors de la tête, les cheveux hérissés, et longuement il se mit à hurler:

– Tuez! Tuez! Tuez!…

Soudain, il se renversa en arrière, tomba, se tordit sur le plancher, la poitrine gonflée, les ongles incrustés au tapis.

Et alors, le roi de Navarre et Condé purent voir un spectacle hideux et tragique…

Là, sur ce tapis, un homme secoué de sanglots frénétiques se roulait, se cognait la tête, se labourait la poitrine à coups de griffe, et de cette loque tordue, de ces sanglots effrayants, jaillissait une sorte de plainte rauque, un cri bref, toujours le même, un cri d’agonie et de frénésie, mêlé de rires plus effrayants que les sanglots:

– Tuez!… Tuez!… Tuez!…

Et cette loque, c’était le roi de France!

Condé leva ses deux poings crispés vers le ciel comme pour une malédiction suprême. Et brusquement il sortit du cabinet. Il marcha droit devant lui, au hasard, sans essayer d’éviter les endroits où éclataient les coups d’arquebuse. Peut-être cherchait-il la mort. Par une chance du hasard, il se trouva dans un escalier désert qu’il monta et enfila un couloir où régnait un silence relatif.

Le jeune prince pleurait en marchant.