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Vers le milieu du couloir, il comprit que l’angoisse et l’horreur étaient trop violentes et qu’il allait s’évanouir.

Il ouvrit la première fenêtre qui se présenta pour respirer un peu d’air.

La fenêtre donnait sur la grande cour d’honneur.

Sans doute ce que vit alors Condé lui apparut plus horrible encore, car il voulut reculer, fuir l’affreuse vision; mais ses jambes lui refusaient tout service; il demeura comme pétrifié, hypnotisé, les yeux fixés sur ce qu’il voyait.

C’était épouvantable et cela dépassait les limites des conceptions de l’horreur: ce n’était plus une réalité sinistre, mais une sorte de cauchemar réel et vivant.

Là, dans cette cour, il y avait près de deux cents cadavres, tombés au hasard, les uns en tas, les autres isolés, dans toutes les positions macabres que peut prendre la mort. La plupart de ces cadavres étaient à demi-nus, les malheureux gentilshommes ayant été surpris en plein sommeil, et n’ayant pas eu le temps de se vêtir pour fuir…

Or, de cette cour sinistre, de ce charnier abominable, montaient des éclats de rire frais et sonores, des rires féminins, des voix féminines. Des femmes, des jeunes filles allaient et venaient, vivement, d’un cadavre à l’autre. Dans la claire et radieuse matinée, sous les rayons dorés du soleil levant, avec leurs toilettes légères, toilettes d’été, toilettes de printemps, couleurs tendres, mauves et roses du satin, froufrous de la soie, on eût dit un essaim de jeunes vierges jouant dans un grand jardin…

Et elles riaient. Quand l’une poussait une exclamation: «Oh! voyez donc comme il est drôle, celui-ci!» elles accouraient toutes.

L’une d’elles, tout à coup, poussa un joli cri:

– Ah! une idée qui me vient!

Voici qu’elle était l’idée: du bout effilé de sa canne enrubannée, elle creva les yeux d’un cadavre!…

Alors, toutes, folles et gaies, rieuses, parfumées, jolies à ravir, hideuses, oh! hideuses à faire reculer d’horreur les prêtres même! Elles coururent d’un cadavre à l’autre! Pan! Juste dans cet œil! Pan! Je l’ai manqué! Recommençons!

Derrière le passage des effroyables femelles, les cadavres demeuraient sans regard avec, à la place des yeux, deux trous noirs et sanguinolents!…

XXXV ENTRÉE DE CATHO DANS LA GLOIRE

Vers l’heure où Catherine de Médicis, au balcon du Louvre, attendait le premier coup de tocsin, Catho, comme on a vu, cheminait dans la nuit que sillonnaient de lueurs falotes les lanternes des marqueurs de portes. Elle était paisible et farouche. Son âme primitive ne prévoyait ni obstacles ni dangers. C’était tout simple, ce qu’elle entreprenait!… et c’était formidable.

Parvenue devant l’ouverture d’un profond cul-de-sac plus noir et plus silencieux encore que les rues avoisinantes, elle s’arrêta, et, à demi-voix, se mit à fredonner une complainte qui commençait ainsi:

Monsieur le duc de Galilée
A pris sa dague et son épée
Landerirette
Voici le chevalier du guet
Là-bas qui guette et fait le guet
Landerira…

Aussitôt dans le cul-de-sac se produisit un murmure confus de voix, vite étouffé, un remous d’ombres se mettant en mouvement. Catho se remit en marche. Mais cette fois, elle n’était plus seule. Une troupe étrange la suivait. Près de trois cents femmes. Toutes celles à qui, dans son cabaret, elle avait donné rendez-vous. Mendiantes et ribaudes, jeunes et vieilles, borgnasses, bancales, boîteuses, hideuses mégères de la cour des Miracles ou belles filles d’amour, elles marchaient en troupeau serré, Catho en tête, étrange général de cette armée fantastique. Elles allaient d’un bon pas. Toutes étaient armées, les unes de vieux pistolets, les autres d’épées rouillées, d’autres d’une barre de fer, d’autres, d’un simple gourdin, d’autres, enfin, n’avaient que leurs griffes. Elles étaient insouciantes, habituées à des expéditions nocturnes, habituées à voir pendre tantôt l’une, tantôt l’autre, résignées toutes à la potence qui les guettait, comme le chevalier du guet de leur complainte, ne tenant guère à leur misérable vie, et enfin ne croyant pas au danger.

Comme pour Catho, c’était tout simple, ce qu’elles entreprenaient!

À diverses reprises, le fantastique troupeau qui piétinait derrière Catho fut arrêté par ces petites troupes qui s’en allaient de porte en porte. Le chef de l’une d’elles voulut interroger Catho et lui barrer le chemin. Mais Catho et ses guerrières le regardèrent d’un air si menaçant que l’homme se recula. Il supposa, d’ailleurs, que peut-être ces femmes avaient un rôle à jouer dans la grande tragédie.

Catho arriva devant le Temple et s’arrêta.

Derrière elle, son troupeau s’arrêta. Il y eut des rires étouffés, des jurons assourdis; l’impatience de la bataille gagnait les guerrières, il y avait une petite fille de seize ans, toute mince et fluette qui brandissait une arquebuse et disait:

– Qu’on y touche, pour voir! Un jour comme maman était malade sur son grabat, il est entré chez nous avec du bon vieux vin, du poulet, et trois écus…

– Une fois, il m’a tirée des mains de la prévôté, dit une voix éraillée.

– Un si beau chevalier! fit une ribaude en agitant une rapière.

– Voulez-vous vous taire? dit Catho.

Elles se turent. Jamais compagnie de vieux soldats ne se montra aussi disciplinée. Elles se turent, mais maintenant, elles frémissaient. L’exaltation du combat montait dans leurs rangs.

Celles qui connaissaient Pardaillan, à voix basse, racontaient ses hauts faits.

Des jurons parcouraient la bande.

Catho, alors, rangea son armée. Au premier rang, toutes celles qui avaient pu se procurer une arme à feu; puis celles qui avaient une épée, une dague, un bâton: enfin, derrière, celles qui n’avaient rien.

Quant à elle, elle tenait à la main un solide poignard.

– Attention! dit-elle. À peine la porte ouverte, suivez-moi!…

Il y eut un profond silence. Devant elles, le Temple se dressait, terrible et sombre.

Tout à coup, au loin, très loin, une cloche se mit à mugir. Puis une autre cloche…

– Le tocsin! dit une vieille mendiante.

– Qu’est-ce cela? murmura Catho. Est-ce pour nous?

– Alerte! On veut nous piller! cria une ribaude. Entendez-vous!…

Catho marcha à la ribaude.

– Toi, dit-elle froidement, si tu ne clos ton bec, je te fais faire connaissance avec ma dague!

Le tumulte grandissait. Les cloches de Paris se mettaient en branle. Des coups d’arquebuse, des coups de pistolets éclataient dans la nuit. Dans la fantastique armée de Catho, il y eut un long frémissement. La panique, un instant, menaça. Mais, brusquement, le commencement de terreur se changea en fureur. Aux hurlements des cloches, aux cris lointains, aux sourdes détonations, elles se mirent à répondre par des insultes; les armes furent brandies; il y eut, pendant quelques secondes, le désordre et le bruit d’une halle où l’on s’invective.