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– Il se croit déjà roi! songea-t-elle.

Quel était donc cet homme qui faisait trembler l’indomptable Catherine? Quelle force énorme et mystérieuse représentait-il pour qu’il pût, sans pâlir, soutenir le choc de ce regard mortel qui avait courbé tant de têtes?…

Henri Ier de Lorraine, duc de Guise, était alors âgé de vingt-deux ans.

Il était très beau.

C’était le vivant portrait de sa mère, Anne d’Este – fille d’Hercule II d’Este, duc de Ferrare – duchesse de Nemours. Il avait donc cette beauté mâle et régulière de la superbe Italienne qui avait peut-être dans les veines un peu du sang de Lucrèce Borgia. Cette filiation éclatait sur son visage en orgueil et en dédain. Il était trop jeune encore pour être retors; mais déjà l’astuce pétillait parfois dans son regard et détruisait l’harmonie de force et de violence qui, pour le moment, paraissait être le fond de son caractère.

Il s’habillait magnifiquement, entretenait une maison plus fastueuse que celle du roi; il portait au cou un triple collier de perles d’une inestimable valeur, et la garde de son épée était constellée de diamants; les soieries les plus chatoyantes, les velours les plus fins composaient son costume. Il penchait un peu la tête en arrière et fermait à demi les yeux pour parler aux gens, comme s’il eût voulu laisser tomber sa parole de plus haut. Toutes ses attitudes respiraient la confiance, la force, l’orgueil. Pour tout dire, sa certitude de monter sur le trône de France était, à cette époque, absolue.

D’où lui venait cette certitude qui, seule, lui donnait cette superbe confiance, cette morgue fastueuse, cet orgueil intraitable? D’où venait que ce jeune homme parlait, pensait, agissait en monarque devant qui tout doit trembler? D’où venait qu’il se croyait chez lui au Louvre et qu’il considérait Catherine et Charles IX comme des intrus?

Nous l’allons dire.

Mais notons en passant que ce magnifique cavalier qui éclipsait jusqu’au duc d’Anjou en élégance, que ce type achevé de la beauté, que cet homme enfin qui semblait personnifier l’orgueil, connut toute sa vie la singulière destinée d’être outrageusement trompé par sa femme: les amants se succédaient dans son lit, et toujours le duc de Guise montrait la morgue d’un être à demi divin que le ridicule ne saurait atteindre. Ridicule, il le fut pourtant – jusque dans ses prétentions à l’absolutisme.

Or, toutes les fois qu’il cessa d’être un grotesque infatué que tous les bellâtres de Paris et de province cocufient à qui mieux mieux, ce fut pour devenir odieux. Sa férocité dans les massacres n’avait-elle au fond la même cause que son orgueil à la cour, c’est-à-dire l’incapacité de penser, la nullité de l’âme, ce vide d’esprit grâce auquel il passa dans la vie comme une belle statue!

Voyons donc ce qu’il y avait derrière cette statue.

Si Henri de Guise tenait de sa mère la beauté du visage et la noblesse outrée des attitudes, il tenait de son père la froide cruauté, la stupide férocité du reître rué sur le monde comme un fléau.

François de Lorraine, duc de Guise et d’Aumale, prince de Joinville et marquis de Mayenne, avait été l’un de ces fléaux. Calculateur sans scrupule, professant pour la vie humaine un effroyable mépris, résolu à se couvrir de sang pour se couvrir de gloire, incapable des plus primitifs sentiments de justice et de pitié qui peuvent vagir au fond de la conscience humaine capable de mettre un royaume à feu et à sang pour la satisfaction des plus basses vanités, tuant quelquefois pour le seul plaisir de tuer – comme à Vassy [24] – sans cœur, sans esprit, sans entrailles, tel avait été l’illustre, le magnanime, le brave et glorieux François de Guise que les écrivains se sont toujours efforcés de nous présenter comme un modèle de vertu civique et guerrière.

* * * * *

La reine, ayant essayé de faire baisser les yeux de son redoutable interlocuteur, résolut d’abattre au moins pour un temps ses espérances.

– Monsieur le duc, dit-elle d’une voix glaciale, on vous a sans doute appris que le roi votre maître s’est décidé à débarrasser le royaume de hérétiques qui l’encombrent.

– Je connais cette résolution, et vous m’en voyez tout heureux, madame, bien qu’elle soit un peu tardive…

– Le roi est maître de choisir son heure. Mieux que les intrigants et les brouillons, il sait l’heure propice pour frapper les ennemis de l’Église… et ceux du trône.

Guise ne sourcilla pas et continua de sourire.

– Le roi, reprit la reine, le roi peut-il compter sur votre concours?

– Vous le savez bien, madame! Mon père et moi nous avons assez fait pour le salut de la religion pour que je puisse reculer au dernier moment.

– Bien, monsieur. De quelle besogne spéciale voulez-vous vous charger?

– Je prends Coligny, dit froidement Guise. Je prétends envoyer sa tête à mon frère le cardinal.

Catherine pâlit. Cette tête, c’est elle qui avait promis de l’envoyer aux inquisiteurs! Guise lui arrachait le meilleur morceau! Pourtant, elle ne laissa rien paraître de ses craintes et de sa haine.

– Soit! dit-elle. Vous agirez au signal convenu: le tocsin de Saint-Germain-l’Auxerrois.

– Est-ce tout, madame?

– C’est tout, dit Catherine. Pourtant, comme vous êtes le rempart du trône, comme vous êtes le fils chéri de l’Église, je prétends vous montrer les précautions que j’ai prises pour le cas où le Louvre serait attaqué… par les damnés parpaillots… Nancey!…

Le capitaine des gardes de la reine parut aussitôt.

– Nancey, demanda la reine, combien avons-nous d’arquebusiers en ce moment dans le Louvre?

– Douze cents, madame.

Guise sourit.

– Et puis? reprit Catherine en le regardant de côté.

– Et puis, continua Nancey, nous avons deux mille suisses, quatre cents arbalétriers et mille cavaliers logés comme nous avons pu.

Cette fois, le front de Guise devint soucieux.

– Et puis? reprit la reine. Vous pouvez tout dire devant M. le duc, qui est un fidèle serviteur du roi.

– Et puis, enfin, nous avons douze canons…

– Les bombardes des jours de fête? insista Catherine.

– Non pas, madame: douze canons de bataille qui sont entrés secrètement au Louvre la nuit dernière.

Guise pâlit. Il ne souriait plus. D’instinct, il se leva et prit une attitude où commençait à paraître une nuance de respect.

– Achevez de rassurer M. le duc, dit Catherine. Que nous ont annoncé les messagers qui nous arrivent depuis trois jours?

– Mais, fit Nancey d’un air étonné, ces messagers annoncent simplement que les ordres du roi s’exécutent, et que chaque gouverneur a mis des troupes en marche sur Paris…

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[24] Vassy: localité en Champagne où les catholiques du duc de Guise massacrèrent quarante-deux huguenots à la suite d’une banale querelle (1562).