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– Monsieur… fit le chevalier en avançant d’un pas.

Aussitôt dix mains rudes s’abattirent sur lui comme si on eût craint quelque tentative désespérée.

– Que voulez-vous? grommela Montluc.

– Une grâce, dit le chevalier en affermissant sa voix d’un effort terrible.

– Parlez…

– Faites que je sois questionné le premier.

– Morbleu! cria le vieux Pardaillan, ce que tu demandes là est injuste. Honneur à la vieillesse, que diable!

– Moi, ça m’est égal, dit Montluc qui interrogea Maurevert du regard.

Maurevert chercha les yeux du chevalier; mais le jeune homme avait tourné vers son père un suprême regard d’adieu.

– Le vieux d’abord! gronda Maurevert avec un accent de haine implacable.

Il avait deviné tout ce que le chevalier allait souffrir en voyant torturer son père. En même temps, il recula vivement vers une porte qui donnait sur une porte de cabinet où divers ustensiles étaient rangés. Là, dans l’ombre, une femme vêtue de noir, le visage couvert d’un long voile, attendait, semblable au génie familier de cet enfer.

Elle fit un signe à Maurevert, qui cria:

– Allons, bourreau, commence ton office.

– Nous disons le plus vieux d’abord? demanda le bourreau d’une voix indifférente.

– Oui. Allons. Dépêche! répondit Maurevert qui haletait.

Les deux aides, le bourreau et quelques gardes saisirent le vieux routier.

– Mon père! mon père! rugit le chevalier dans une clameur déchirante.

Et le désespoir le galvanisant d’une secousse électrique, il se courba, se raidit, se secoua, faisant vaciller et trembler les huit gardes qui essayaient de le maintenir. Il y eut une minute de tumulte et de désordre, Montluc tirait sa dague, et Maurevert cria: Les chaînes! les chaînes! lorsque tout à coup la porte de la chambre des questions s’ouvrit, et une voix haletante, une voix de femme, éclatante, domina les bruits de l’affreuse lutte:

– Au nom du roi!… Il y a sursis!…

À ce cri «au nom du roi», tous demeurèrent immobiles, jusqu’au bourreau qui laissa tomber les chaînettes dont il commençait à lier les jambes du chevalier, jusqu’à Maurevert qui se mordit les poings pour étouffer un hurlement de rage, jusqu’à Catherine de Médicis qui, dans son ombre, tressaillit violemment.

Et tous virent alors une femme, une jeune femme à tournure élégante, modestement vêtue, qui jetait un regard de compassion émue et de joie profonde sur les deux condamnés, et qui, les mains jointes, murmurait:

– Que bénie soit la Vierge Marie, ma sainte patronne, j’arrive à temps!

Les deux Pardaillan s’étaient saisis par la main.

– Marie Touchet! murmura le chevalier qui s’inclina d’un air de grâce d’une simplicité prodigieuse en un tel moment.

– Qui êtes-vous, madame? demanda Montluc en s’avançant vers la jeune femme.

– Je suis une messagère du roi de France, voilà tout ce qui vous importe, monsieur, dit Marie Touchet.

– Comment êtes-vous parvenue ici?

Sans répondre, elle tendit un papier que Montluc alla lire à la lueur d’une torche. Il contenait ses mots:

«Ordre au gouverneur, portiers et tous geôliers du Temple de laisser passer le porteur des présentes jusqu’à la chambre des questions. Signé: Charles, roi.»

– Et maintenant, lisez ceci, reprit Marie Touchet.

Et elle tendit à Montluc stupéfait un deuxième papier sur lequel le roi avait, de sa main, tracé cette ligne:

«Ordre de surseoir à l’interrogatoire de messieurs de Pardaillan père et fils. Signé: Charles, roi.»

Montluc, ayant lu, se tourna vers le sergent qui commandait les gardes, et dit:

– Emmenez les prisonniers dans leur cachot. Bourreau, tu reviendras quand il plaira au roi.

– Un instant, gronda Maurevert. Tout n’est pas dit…

– Tout est dit quand le roi ordonne, dit Montluc. Gardes, emmenez les prisonniers.

Le chevalier et le vieux routier, pendant ces quelques instants, avaient tenu leurs yeux fixés sur Marie Touchet et l’éloquence de leurs regards la remerciait. Ils sortirent, environnés de leurs gardes, déjà plus respectueux; ils étaient étourdis, l’âme endolorie de cette joie puissante que peu de condamnés en pareilles circonstances peuvent supporter sans défaillir.

Alors Marie Touchet s’éloigna à son tour, pareille à un de ces anges de la légende descendu un instant dans la demeure des démons.

Il n’y eut plus dans la lugubre salle que Maurevert et Montluc.

– Confiez-moi ces papiers, dit Maurevert. Le roi sera sans doute heureux de votre promptitude à obéir; mais enfin, s’ils n’étaient pas de lui!…

– Ma foi, mon cher monsieur, dit le soudard, qu’ils soient du roi ou d’un autre, peu m’en chaut. Y a-t-il un cachet sur ces papiers? Oui: ce cachet est-il aux armes du roi? Oui. Le reste ne me regarde pas. Au surplus, voici les deux chiffons. Interrogez là-dessus la vieille donzelle qui est venue ici au nom de la reine…

Maurevert eut un sourire aigu à entendre le gouverneur parler avec si peu de respect: cette vieille donzelle, c’était la reine elle-même. Elle devait avoir entendu. Et Maurevert haïssait maintenant Montluc.

Il prit les papiers, saisit un flambeau et entra dans le cabinet.

– J’ai tout entendu, dit la reine en jetant à peine un coup d’œil sur les papiers. Je connais la personne qui est venue.

– Ainsi, c’est bien le roi qui a signé? balbutia Maurevert. Que faire alors?

– Obéir. Je vais au Louvre et j’arrangerai la chose. Tenez-vous en paix; ce qui est dit est dit; vous aurez ces deux hommes. Dans huit jours, trouvez-vous à mon hôtel. D’ici là, voyagez; ne demeurez pas à Paris. Vous avez commis une première maladresse en manquant l’amiral. Si vous en commettiez une deuxième en vous laissant arrêter – car on cherche le meurtrier – vous seriez, cette fois, perdu sans recours.

Maurevert frémissait. Il croyait comprendre que Pardaillan lui échappait; et résolu à risquer sa vie pour assouvir sa vengeance, convaincu d’ailleurs que Catherine avait encore besoin de lui, il répondit:

– Madame, je crois que mon intérêt exige que je demeure à Paris. Dans huit jours, d’ailleurs, on aura autant d’intérêt que maintenant à trouver l’auteur de l’arquebusade du cloître.

– Je ne crois pas! dit Catherine avec un sourire livide.