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Ils dormaient.

Depuis six jours que le chevalier, ayant été pris devant le couvent où Dieu fut bouilli, avait rejoint son père dans ce cachot, les deux prisonniers n’avaient eu aucune nouvelle du dehors. Montluc n’était pas venu les voir. Peut-être l’ivrogne les avait-il oubliés. Ils ne voyaient même pas le geôlier, car on leur passait à boire et à manger par une sorte de chatière ménagée au bas de la porte. Le seul bruit qui leur parvînt, c’était le pas monotone et sonore d’une sentinelle sur les dalles du couloir, ou bien la crosse d’un mousquet qu’on reposait lourdement.

Les trois premiers jours, et quoi que son père lui en eût dit, le chevalier avait activement cherché un moyen d’évasion.

Il avait sondé les murs: leur épaisseur – peut-être cinq ou six pieds – défiait toute tentative; il eût fallu un an pour arriver à les percer sans le secours des instruments nécessaires – et pour aboutir où? Sans doute dans quelque cachot voisin.

Quant à la lucarne par où filtrait une lumière avare de ses rayons, il n’y avait même pas moyen d’atteindre les barreaux.

La porte était en chêne massif, bardée de fer, hérissée de clous énormes.

L’emploi de la force étant inutile, le chevalier songea à la ruse. Un soir, il se mit à plat ventre, la tête contre la chatière, appela la sentinelle et lui offrit cinq cents écus d’or s’il voulait l’aider à sortir, ne doutant pas que le duc de Montmorency ne payât la dette. La sentinelle répondit que M. de Montluc, le gouverneur, avait une telle défiance qu’il gardait chez lui les clés des cachots où se trouvaient les prisonniers les plus importants; que, même eût-il ces clés, lui soldat, n’ouvrirait pas pour tout l’or du royaume, vu qu’il tenait à sa tête plus encore qu’à la richesse; et enfin, que si le prisonnier lui adressait encore la parole pour quelque motif que ce fût, il se verrait dans l’obligation de faire prévenir le gouverneur, qui ne manquerait pas de faire descendre le tentateur au fond de quelque oubliette des sous-sols. Là-dessus, la sentinelle avait repris sa promenade monotone.

– Tu vois? dit le vieux Pardaillan. Tout ce que tu gagnerais à de nouvelles tentatives, ce serait de nous faire séparer; or, puisque nous n’avons plus que deux ou trois jours à vivre, tâchons de les vivre ensemble. Ah! si tu m’avais écouté, chevalier! Si tu avais suivi mes conseils! Les hommes sont méchants, les femmes perverses. Je t’avais dit de te méfier! Pourquoi diable as-tu voulu déranger le bon ordre établi depuis le commencement des siècles? Un honnête homme, vois-tu, c’est un redoutable animal, et quand, par hasard, il s’en présente un dans ce vaste troupeau de loups qu’est l’humanité, les autres hommes n’ont de paix et de tranquillité que lorsqu’ils l’ont accablé par la force ou par la calomnie, ou enfin, par l’un des mille moyens de tuer que le génie inventif des sociétés a pris soin de créer et de perfectionner. Or ça, qu’as-tu à soupirer? Regretterais-tu de mourir?

– Ma foi oui, monsieur, répondit le chevalier dans la simplicité de son âme. J’aime la vie, je l’avoue. Et puis, il me semblait que j’avais un rôle à jouer et que j’en ai esquissé les premiers gestes à peine. J’eusse voulu faire revivre la vieille chevalerie du temps de Charlemagne. J’eusse voulu être un de ces hommes simples et dignes qui, la lance au poing, le cœur ferme et l’esprit libre, s’en allaient par le monde afin de terroriser les méchants et de réconforter les faibles. Car il y a plus de douleur que de méchanceté parmi les hommes. Le grand troupeau ne rêve que paix et bonheur. Il y a des loups, c’est vrai. Rois, princes, ils sont quelques-uns qui font peser sur le monde le terrible poids de leur ambition; il eût suffi peut-être de susciter quelques bons chevaliers contre ces dévorants. J’eusse voulu être l’un de ceux-là, mon père.

C’est en devisant de ces choses que les deux Pardaillan – évitant avec soin de parler de Loïse, l’un pour ne pas éveiller une suprême douleur chez son fils, l’autre pour ne pas pleurer – c’est ainsi qu’ils atteignirent la nuit du vendredi, la dernière nuit.

Comme tous les soirs, ils s’endormirent paisiblement.

Comme tous les matins, le vieux Pardaillan se réveilla le premier, vers six heures. Un mince filet de jour se jouait sur le visage du chevalier; il souriait, rêvant sans doute de Loïse.

Le routier le contempla avec une inexprimable expression de tendresse et de douleur. L’heure terrible était arrivée. Un léger mouvement qu’il fit, réveilla le jeune homme. Il ouvrit les yeux et vit son père penché sur lui.

Alors, chacun d’eux frémit jusqu’au plus profond de l’être, et chacun d’eux s’efforça de garder un visage serein.

Ils ne se dirent rien. Que se fussent-ils dit à ce moment suprême? Le chevalier avait pris une main du vieux routier dans la sienne, et se regardant de leurs yeux intrépides, se souriant parfois comme pour répondre à de lointaines pensées, ils attendirent ainsi.

Enfin, après des heures qui leur parurent des minutes, ils entendirent dans le couloir un bruit de pas nombreux.

À l’instant, ils furent sur pied tous les deux.

Ils s’étreignirent silencieusement, d’une longue étreinte d’adieu.

Toute parole eût été impossible à ce moment. Chacun d’eux n’avait plus qu’une idée: ne pas faire souffrir l’autre par le spectacle de sa propre douleur, ne pas aggraver son agonie…

Au premier mot, ils eussent éclaté en sanglots…

La porte s’ouvrit. Montluc parut. Il avait une escorte de vingt arquebusiers.

Les deux prisonniers se tenaient par la main, d’une si étroite étreinte qu’il eût été difficile de les séparer.

Montluc fit un signe: les gardes entourèrent les deux Pardaillan, qui eurent un dernier éclair de joie sombre en voyant que jusqu’au bout, ils seraient ensemble.

On se mit en marche. Le chevalier constata qu’au bout du couloir, il y avait d’autres gardes qui attendaient; toute la garnison du Temple – soixante soldats – était sur pied.

On descendit un escalier de pierre. On s’enfonça dans les entrailles de la vieille prison.

Enfin, on pénétra dans une vaste pièce dallée.

C’était la chambre de torture.

Le bourreau-juré était là. Près de lui se trouvait un homme qu’à la lueur des torches le chevalier reconnut aussitôt: c’était Maurevert. Le chevalier tourna la tête vers son père et sourit. Maurevert était livide et tremblant de haine impatiente.

Trente arquebusiers se rangèrent autour de la salle aux voûtes surbaissées. De six en six hommes, il y avait une torche. Les Pardaillan virent tout cela d’un coup d’œil. Ils virent le chevalet de torture, avec ses ais, ses cordes, les cordes de bois et le maillet posés sur une dalle; ils virent un brasier où chauffaient des fers, des tenailles. Ils virent le bourreau qui donnait des instructions à deux hommes: ses aides; ils virent Montluc qui causait avec Maurevert… ce fut, dans une seconde, une atroce vision de cauchemar.

– Par lequel commençons-nous? demanda Montluc.