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Et saisissant le bras de Maurevert:

– Je vous couvre, entendez-vous? Votre grande faute n’est pas d’avoir tiré sur l’amiral, c’est de l’avoir manqué. Mais au surplus, les choses sont mieux ainsi; votre maladresse est peut-être un coup d’adresse extraordinaire. C’est pourquoi, Maurevert, je vous pardonne d’avoir fait grâce à Coligny; c’est pourquoi je vous destine à de plus hautes besognes. Obéissez, partez, revenez dans huit jours, et vous saurez alors ma pensée. Et quant à ces deux hommes, ne craignez rien: je vous en réponds.

– J’obéirai, madame, dit Maurevert qui s’inclina profondément.

Il sortit en disant:

– Je me loge aux abords du Temple et je n’en bouge pas de huit jours: je veux voir, moi!…

La reine s’éloigna à son tour, escortée par un simple sergent des gardes qui la reconduisit jusqu’à la petite porte, car tout le monde, même Montluc, ignorait au Temple qui était la dame voilée de noir.

– Comment et pourquoi la maîtresse du roi s’intéresse-t-elle à ces deux aventuriers? se demandait Catherine. Comment et pourquoi a-t-elle obtenu cet ordre de sursis?… Je le saurai dans quelques jours Les Pardaillan ne peuvent m’échapper. Pour aujourd’hui, écartons ce souci infime et songeons à la grande besogne!

* * * * *

Comment Marie Touchet avait obtenu le sursis? C’est ce que nous devons expliquer rapidement.

Le valet du roi était entré à sept heures du matin dans l’appartement de Charles IX, et l’avait trouvé qui se déshabillait.

– Tu vois, avait dit Charles, j’ai passé la nuit à travailler…

– Aussi Votre Majesté est-elle à faire peur, dit familièrement le valet.

– Je vais réparer cela. Je veux dormir jusqu’à onze heures, tu entends? Que personne n’entre ici; tu diras à mes gentilshommes qu’il n’y aura pas de lever ce matin, et que je les attends à mon jeu de paume après-midi. Va, va… je veux être seul.

Le valet parti, le roi acheva de se déshabiller, mais pour revêtir aussitôt un costume de drap, d’apparence bourgeoise. Bientôt, par des couloirs et des escaliers dérobés, il gagna une cour déserte, atteignit une petite porte située non loin de l’angle qui avoisine Saint-Germain-l’Auxerrois, et l’ayant ouverte avec une clé qu’il était seul à posséder, se trouva sous une voûte. Cette sorte de poterne était fermée du côté intérieur par une lourde porte de fer. Le chemin en pente raide aboutissait au fossé. Une passerelle en planches était jetée sur l’eau courante. Après la passerelle, des marches taillées dans la glaise gazonnée permettaient au roi de remonter sur le bord extérieur du fossé. C’est par là qu’il passait quand il voulait qu’on le crût au Louvre alors qu’il se promenait dans sa bonne ville, comme un écolier heureux d’échapper pour quelques heures à la dure contrainte.

Dès qu’il se trouva dehors, le roi huma à pleins poumons l’air vif de la Seine. Sa poitrine étroite se dilata. Un peu de couleur anima ses joues, et ses yeux, un moment, se reposèrent sur le joli panorama du fleuve, ses ponts chargés de maisons à toits aigus, l’enfilade des clochetons et des girouettes, et en perspective, dans la grande lumière pure et chaude de ce matin d’août. Notre-Dame dont le soleil rosait les tours.

Nul n’eût reconnu dans ce petit bourgeois souriant et heureux l’homme qui venait de se débattre dans une crise affreuse contre des visions formidables, le roi qui venait de décréter l’hécatombe des huguenots…

Il remonta le cours de la Seine, puis tourna à gauche, atteignit la rue des Barrés et pénétra dans la maison de Marie Touchet.

C’est là qu’après ces terribles accès qui faisaient de lui tantôt une misérable loque humaine, tantôt un fou furieux, c’est là qu’il venait chercher le repos réparateur; c’est là, lorsqu’il sentait son âme empoisonnée par l’air du Louvre, qu’il venait respirer en liberté; c’est là qu’il venait trouver l’apaisement et la douceur, lorsque quelque terrible scène l’avait mis aux prises avec sa mère.

Lorsque le roi eut été introduit dans l’appartement de Marie Touchet, il s’arrêta dans l’encadrement de la porte, émerveillé par le spectacle qu’il avait sous les yeux: Marie Touchet, assise près d’une fenêtre dont les châssis levés laissaient entrer à flots l’air et la lumière, était en déshabillé du matin. Son sein était nu. Et à ce sein se suspendait l’enfant rose, joufflu, ses deux petites mains pressant le beau sein blanc qu’il tétait assidûment, ses jambes en l’air se livrant à une gymnastique de satisfaction; il se frottait les pieds comme on se frotte les mains. Marie le contemplait en souriant. Elle avait l’air de dire: Est-il glouton! Bois mon petit, bois sans crainte le bon lait de ta mère… Charles ne bougeait pas…

Enfin, l’enfant, repu sans doute, s’endormit tout à coup, une goutte de lait au coin des lèvres.

Alors Marie Touchet se leva et le déposa doucement dans le berceau.

Et elle demeura là, le visage plein d’admiration.

À ce moment, Charles s’avança sans bruit, la saisit par derrière dans ses bras et lui mit ses deux mains sur les yeux, en riant comme un gamin qui fait une bonne farce.

Marie le reconnut aussitôt, mais se prêtant au jeu de son amant, elle s’écria dans un joli rire:

– Qui est là? Quel vilain m’empêche de voir monsieur mon fils? Ah! c’est trop fort, je m’en plaindrai au roi…

– Plains-toi donc! fit Charles en ôtant ses mains et en se reculant, car voici le roi.

Et Marie se jetant dans ses bras lui tendit ses lèvres en disant:

– Mon cher seigneur, le premier baiser pour moi… Et maintenant, monsieur votre fils, ajouta-t-elle lorsque Charles l’eut embrassée.

Le roi se pencha sur le berceau. Marie était près de lui, penchée aussi.

Les deux têtes se touchaient.

Toutes les deux exprimaient la même admiration naïve qui, chez le roi, se nuançait d’étonnement… Quoi! ce petit être si fort, si beau, c’est mon fils!… Le roi était perplexe… Il cherchait une place pour embrasser le petit sans l’éveiller, et finalement, n’osant pas, chercha les lèvres de Marie en disant:

– Tiens, donne-lui ce baiser… je pourrais lui faire mal, moi…

Marie Touchet déposa doucement ses lèvres sur le front de l’enfant.

Puis, tous deux se relevant, gagnèrent sur la pointe des pieds la salle à manger où le roi se jeta dans un fauteuil en disant:

– Je tombe de sommeil et de fatigue…

Marie Touchet s’était assise sur ses genoux et caressait doucement les cheveux de Charles.

– Raconte-moi tes peines, disait-elle. Comme tu es pâle!… Qui t’a encore tourmenté?… J’espère que tu n’as pas eu de crise, au moins?… Mon bon Charles… raconte à ta petite amie…