Изменить стиль страницы

– En sorte que?…

– En sorte que six mille cavaliers nous ont été signalés ce matin, et seront dans la journée à Paris; en sorte que huit à dix mille fantassins doivent arriver ce soir ou demain matin au plus tard; en sorte que sous trois jours, il y aura dans Paris ou sur les murs de Paris une armée de vingt-cinq mille combattants aux ordres du roi.

Cette fois, Henri de Guise ne dissimula plus: il était atterré.

– La partie est perdue! gronda-t-il.

Et il s’inclina devant la reine avec un respect qu’il ne lui avait jamais témoigné: il était vaincu.

Mais déjà Nancey reprenait:

– Puisque nous parlons de ces choses, madame, voulez-vous me dire qui doit prendre le commandement des troupes du Louvre? Est-ce M. de Cosseins?

Le duc de Guise tressaillit d’espoir: Cosseins était à lui, on le sait. Mais cet espoir fut de courte durée.

– Monsieur de Cosseins, dit la reine, a obtenu du roi la garde de l’hôtel-amiral. Qu’il y reste. Nancey, vous commanderez. Je sais à quel point vous êtes dévoué.

Nancey mit un genou à terre et dit:

– Jusqu’à la mort, Majesté!

– Je le sais. Faites donc, dès la nuit tombante, charger les arquebuses. Placez vos hommes en les distribuant à chaque porte. Que les canons soient chargés et pointés dans toutes les directions. Que les cavaliers se tiennent à cheval dans la grande cour, prêts à charger. Mettez quatre cents suisses autour du roi, et si on tente de marcher sur le Louvre, feu, Nancey, feu de vos arquebuses, feu de vos canons, feu partout et contre qui que ce soit, manants, bourgeois, prêtres, gentilshommes, huguenots ou catholiques… tuez tout!

– Je tuerai tout! s’écria Nancey en se relevant. Mais, madame, autour de Votre Majesté… qui dois-je placer?

Catherine se leva, tendit son bras vers le Christ d’argent, et d’une voix qui eut des sonorités étranges, elle répondit:

– Autour de moi? Personne: j’ai Dieu pour moi!…

– Madame, dit Guise d’une voix altérée, lorsque Nancey fut sorti, Votre Majesté sait qu’elle peut faire état de moi pour le service du roi aussi bien que pour la défense de la religion…

– Je le sais, monsieur le duc. Aussi, croyez bien que si vous n’aviez vous-même choisi votre besogne dans la grande œuvre qui se prépare, c’est à vous que j’eusse demandé de prendre le commandement au Louvre.

Guise se mordit les lèvres jusqu’au sang: il s’était enferré lui-même.

– Madame, reprit-il, il ne me reste plus qu’à vous demander la faveur de vouloir bien recevoir l’homme à qui j’ai donné des ordres pour la nuit prochaine. Cet homme a des scrupules et ne veut agir que sur un ordre positif de Votre Majesté.

– Qu’il vienne! dit Catherine.

Guise alla ouvrir la porte d’un couloir et fit un signe. Une sorte de colosse à figure niaise et poupine, aux mains énormes, aux yeux ronds à fleur de tête, bleu faïence, au front bas et têtu, entra en se dandinant.

Cet homme s’appelait Dianowitz. Mais comme il était d’origine bohémienne, le duc de Guise, selon l’usage qui faisait nommer les domestiques du nom de leur province, l’appelait Bohème et par abréviation, simplement Bême.

La reine regarda le géant avec une admiration exagérée. Le géant sourit et caressa sa moustache.

– Tu t’es chargé de quelque chose pour cette nuit? demanda Catherine.

– De tuer l’Antéchrist, oui. Si Votre Majesté veut, je lui coupe la tête.

– Je le veux, dit la reine. Va, et obéis à ton maître.

Le géant se dandina sur ses jambes, mais demeura sur place.

– Eh bien, Bême! as-tu entendu? fit le duc.

– Oui; mais je veux pouvoir sortir tranquillement de Paris avec deux ou trois bons compagnons qui m’escorteront jusqu’à Rome… vous savez que toutes les portes sont fermées, monseigneur.

Catherine s’assit et écrivit rapidement quelques lignes sur un papier qu’elle signa et sur lequel elle apposa le sceau royal.

Bême le lut attentivement. Il contenait ces mots:

«Sauf-conduit pour toute porte de Paris, valable ce jourd’hui 23 août et jusque dans trois jours. – Laissez passer le porteur des présentes et les personnes qui l’accompagnent. Service du roi.»

Le géant plia le papier et le plaça dans son pourpoint. Puis il fit deux pas vers la porte.

– Tu oublies ceci, dit Catherine.

Elle laissa tomber une bourse pleine d’or sur le plancher.

Le géant se baissa, la ramassa, et sortit convaincu qu’il avait produit sur la reine une impression extraordinaire.

– Quelle magnifique brute! fit la reine. Je vous félicite, monsieur le duc, d’être capable d’avoir près de vous de pareils serviteurs… Et maintenant, allons conférer avec nos amis.

* * * * *

La conférence dura jusqu’à sept heures du soir.

Toute cette après-midi, il y eut dans le Louvre des allées et venues mystérieuses.

À diverses reprises, la reine envoya chercher le roi; mais le roi jouait à la paume avec les huguenots et refusa constamment de se rendre à la prière de sa mère.

Peut-être espérait-il que sans lui on n’oserait prendre les décisions suprêmes. Peut-être voulait-il simplement s’étourdir. Quoi qu’il en soit, jamais il ne s’était montré aussi aimable avec ses hôtes…

À huit heures du soir, il y eut dans l’hôtel du duc de Guise une réunion de tous ceux qui avaient placé en lui toutes leurs espérances et déjà le considéraient comme le roi de France – depuis Damville jusqu’à Cosseins, depuis Sorbin de Sainte-Foi jusqu’à Guitalens.

– Messieurs, leur dit-il, cette nuit nous sauvons la religion de la Messe. Vous savez tous ce que vous avez à faire…

Un profond silence accueillit ces paroles: on en attendait d’autres…

– Quant à nos projets, continua Guise, ils sont remis à plus tard. La reine est sur ses gardes. Messieurs, montrons ce soir que nous sommes des sujets fidèles… et pour le reste, nous attendrons. Allez, messieurs.

C’est ainsi qu’Henri de Guise donna contre-ordre aux conjurés. Il paraissait troublé, inquiet, furieux. Nul n’osa lui demander compte de ce brusque changement qui remettait à date inconnue la réalisation de tant d’ambitions.

À partir de neuf heures et jusqu’à onze heures, le duc reçut les curés des diverses paroisses et les capitaines de quartier, qu’on alla chercher par groupes de huit à dix.