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À chaque groupe, il tint en termes brefs, d’une voix saccadée, le même langage:

– Messieurs, la bête est prise au piège; il faut se soûler de son sang… le roi le veut!

– À mort! À mort! répondaient prêtres et capitaines.

Et à mesure que chaque groupe se retirait, on lui donnait les dernières instructions; le signal devait être donné par le tocsin de toutes les églises; les fidèles serviteurs de la religion porteraient un brassard blanc, ceux qui n’auraient pas le temps de confectionner un brassard mettraient un mouchoir autour du bras.

– Le roi le veut! répétait Guise avec une rage concentrée.

Puisqu’il était obligé de se courber, puisque cette royauté qu’il croyait tenir lui échappait, il voulait au moins qu’une part de responsabilité de ce qui allait sans doute se passer retombât sur Charles IX.

À minuit, un lourd silence pesait sur la ville.

La nuit était claire; le ciel rayonnait de toutes ses constellations; l’immensité paisible et sereine toute parsemée de diamant donnait la profonde, l’émouvante impression de la beauté immuable dans l’infini.

Ô nuit d’été!… ô tranquille et majestueuse nuit d’été!… Comme tu étais douce, et quels rayons de suave bonté tombaient de tes étoiles d’or sur Paris recueilli dans un grave sommeil!…

XXIX ÉTONNEMENT DE MONTLUC: SUITE DES AMOURS DE PIPEAU ET NOUVELLE RUINE DE CATHO

Or, en cette soirée, trois scènes bien différentes, mais également étranges, des scènes de rêve et de fantasmagorie qu’on eût dites combinées par des gnomes poètes ivres de folie se déroulèrent sur les points divers de Paris.

La première, au Temple.

La deuxième, dans le repaire de Damville, aux Fossés-Montmartre.

La troisième, dans le cabaret des Deux morts qui parlent.

Vers neuf heures, deux femmes couvertes de grands manteaux furent mystérieusement introduites dans la prison du Temple et conduites à l’appartement du gouverneur: c’étaient Pâquette et La Roussotte.

Montluc les attendait devant une table chargée de mets et de vins. Et, pour avoir liberté complète dans l’orgie, il avait donné congé à ses trois valets et à sa servante, lesquels, heureux de cette aubaine, qui leur arrivait toutes les fois que leur maître se voulait divertir, s’étaient empressés d’aller respirer au dehors un autre air que celui de la prison.

– Vous voilà, mes tourterelles! s’écria Marc de Montluc en éclatant de rire. Venez çà, que je vous embrasse!

Mais Pâquette et La Roussotte, au lieu d’obéir, dégrafèrent leurs manteaux et les laissèrent tomber.

Montluc ouvrit des yeux énormes et demeura bouche bée. Les deux ribaudes lui apparurent vêtues de satin, le cou enfoncé dans de vastes collerettes, la taille pincée et amincie sur le devant en pointe; des costumes, non de bourgeoises, mais de princesses. Elles étaient chargées de bijoux au cou, aux oreilles, aux poignets, aux doigts; elles étaient fardées comme des grandes dames.

Dans son ingénuité, Catho avait cru devoir faire les choses en grand et avait visé à la magnificence. Où s’était-elle procuré ces nippes? Au fond de quelle friperie de la cour des Miracles? Peu importe.

Ce qui est sûr, c’est qu’elle avait transformé les ribaudes en princesses: seulement, il y avait des détails qui révélaient la parfaite ignorance de Catho en matière de costumes de cour. En outre, si les robes étaient de satin authentique, elles étaient fripées et tachées. Les bijoux étaient en verroterie et en cuivre. Les deux ribaudes étaient fardées, mais elles l’étaient outrageusement, et le vermillon trop vif des lèvres, le noir trop noir des yeux, l’incarnat incandescent des joues, la pâte blanche gorge, tout cela hurlait et jurait. Leurs pauvres souliers de traîneuses des rues, éculés et rapiécés, achevaient cet ensemble qui allait du grotesque au macabre; on eût dit deux poupées mal peintes, deux figures de Callot habillées et maquillées par un peintre en délire.

Telles qu’elles étaient, elles s’admirèrent naïvement et, à peine leurs manteaux furent-ils tombés, qu’elles se regardèrent un instant, toutes saisies; puis, s’avançant vers Montluc ébahi, elles exécutèrent les trois révérences que Catho leur avait apprises.

Montluc, déjà ivre, car il en était à sa quatrième bouteille en les attendant, Montluc se leva, effaré, subjugué, se demandant s’il était en proie à un cauchemar, et si, au lieu des deux ribaudes qu’il attendait, il ne recevait pas la visite de deux reines. Les détails que nous venons de signaler disparaissaient à ses yeux. Rouge jusqu’aux oreilles, il répondit à la triple révérence par un salut si profond qu’il faillit en perdre l’équilibre. Les ribaudes, se voyant prises au sérieux, demeurèrent soudain pétrifiées.

– Hein? fit Montluc.

Alors, elles crurent devoir recommencer les révérences, avec quelle gaucherie innocente!

– Or çà! gronda Montluc en se remettant, que signifie?

– Eh bien, mais, dit La Roussotte, nous sommes habillées pour la fête de demain matin.

– La fête! bégaya Montluc en passant ses mains sur son front pour chasser le cauchemar.

– Eh oui, dit gentiment Pâquette, les deux truands qu’on va questionner, tenailler et mettre au chevalet…

Montluc avala une formidable rasade et, remis d’aplomb, son rire fit trembler les vitraux.

– La fête! Ah! oui, j’y suis… Et comme ça, vous vous êtes déguisées en princesses pour voir la question? Cornes du diable! Tripes et ventre! Voilà une idée! J’étouffe de rire! Ah! les dignes gueuses! Et moi qui ne les reconnaissais pas!… Je pouffe, j’étouffe, j’étrangle!… Des princesses! Holà! les gardes de Leurs Majestés!… Tudieu, je veux que vous soyez des reines, ce soir! Tais-toi, La Roussotte… Assieds-toi là, à ma gauche, et toi, Pâquette, à ma droite! Par les boyaux du dernier parpaillot que j’ai occis! Il faut que j’écrive la chose à M. Blaise, mon père, pour qu’il la raconte en son mémoire qu’il écrit… Des reines? Oui-dà! Je le veux ainsi! Et je serai roi… Voyons, toi, La Roussotte, tu seras… tu seras Madame Margot en personne! Et toi, Pâquette, que seras-tu! Tu seras Élisabeth d’Espagne… Silence! Que tout se taise dans Paris, en cette nuit mémorable! Quelle nuit! Messire Marc de Montluc couche avec la reine de Navarre et la reine d’Espagne!… Toi, la reine de Navarre, emplis-moi mon verre. Et toi, la reine d’Espagne, viens t’asseoir sur mes genoux.

Il n’entre pas dans notre dessein d’offusquer le lecteur par le récit de l’orgie qui suivit: nous voulions simplement indiquer l’entrée des deux ribaudes au Temple.

À minuit, Montluc était au dernier degré de l’ivresse. Et pourtant, il luttait encore.

À deux heures, il roulait sur le plancher, serrant contre lui dans une étreinte furieuse les deux reines dont les robes étaient en lambeaux, dont les coiffures s’étaient déroulées, dont les fards s’étaient liquéfiés et se mêlaient en un coloris sans nom sur leurs visages.