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Bientôt on n’entendit plus que les ronflements énormes du soudard.

Alors, Pâquette et Roussotte se relevèrent et prêtèrent l’oreille…

Sous leurs fards, elles étaient livides et des frissons les secouaient.

* * * * *

Transportons-nous maintenant à la maison des Fossés-Montmartre. Il est onze heures du soir. Le maréchal de Damville vient de rentrer. Il est sombre: ordre du chef de la conjuration de ne rien tenter contre le Louvre! Tous les grands projets remis à plus tard!… Mais, en même temps, une joie funeste jaillit de ses yeux en flammes de cruauté: on lui livre son frère! Il est chargé d’attaquer l’hôtel de Montmorency; c’est lui qui doit mettre à mort celui qu’on appelle le chef des politiques!

Et dans cet hôtel de Montmorency, c’est Jeanne de Piennes qu’il va enfin reconquérir!…

Son frère mort, Jeanne est à lui! Et qui, maintenant, peut la sauver de ses griffes?

Le maréchal traverse les vastes salles de sa maison. Elles sont remplies de soldats, les uns aiguisent leurs dagues sur des pierres; d’autres visitent leurs pistolets; d’autres chargent leurs arquebuses; tout cela se fait silencieusement. Sur des tables sont posées d’énormes cruches de vin. Tantôt l’un, tantôt l’autre se verse un grand gobelet. L’ivresse monte; une ivresse lourde travaille ces épaisses cervelles; des rires sourds éclatent parfois; mais aussitôt un sergent commande le silence…

Damville a fait signe à une douzaine de gentilshommes qui l’attendent. Et il va s’enfermer avec eux pour donner à chacun des ordres et lui indiquer sa besogne. Mais avant de disparaître, il demande où est son favori, le vicomte d’Aspremont; et on lui répond qu’Orthès est avec ses chiens. Damville va le voir et le trouve dans une cour qu’éclairent deux torches.

– Eh bien! lui demande-t-il, tu n’apprêtes donc pas tes armes, toi?

Sans répondre, Orthès d’Aspremont lui montre ses deux molosses. Damville sourit.

Dans cette cour étroite que les lueurs des deux torches teintaient de rouge, le vicomte d’Aspremont se livrait à un singulier travail. Il allait et venait lentement, les mains au dos. Ces mains tenaient un fouet à chiens. Sur ses talons, marchaient gravement deux chiens, la gueule entr’ouverte, les yeux sanglants, les épaisses babines pendantes: Pluton et Proserpine!

Et derrière Proserpine, un chien-berger à poil roux ébouriffé faisait des grâces, bondissait, se roulait: Pipeau!

Pipeau était le commensal de Proserpine…

Orthès avait voulu le renvoyer, mais Proserpine lui avait montré les dents.

Quant à Pluton, il avait admis le partage, soit par indifférence philosophique, soit en reconnaissance de la carcasse de poulet.

Pipeau, féru d’amour pour la belle Proserpine, mangeait d’ailleurs fort peu: il en oubliait le boire et le manger, il ne songeait qu’à conter d’indécentes fleurettes à son amante.

Pluton et Proserpine, donc, suivaient pas à pas leur maître.

Celui-ci arrivait au bout de la cour; là, un homme debout attendait, tout raide, sans un geste, sans un mouvement.

Alors, Orthès se retournait brusquement vers les deux molosses, et faisait claquer son fouet. À ce signal, les deux monstrueuses bêtes sautaient sur l’homme immobile et, d’un seul coup, avec un grondement terrible, lui enfonçaient leurs crocs dans la gorge!…

Pipeau, la patte dressée, examinait cette scène avec étonnement.

Alors le vicomte d’Aspremont relevait l’homme, le remettait debout, arrangeait ses vêtements et son masque: l’homme était un mannequin…

Puis, le vicomte recommençait sa promenade, son fouet au dos, les deux chiens sur ses talons, Pipeau courtisant Proserpine.

Et tout à coup, il donnait encore le signal… la hideuse leçon était répétée.

Alors, Orthès d’Aspremont se tourna vers le maréchal qui examinait cette scène effrayante et, avec un calme plus effrayant, il dit:

– Monseigneur, voila mes armes!

* * * * *

Au cabaret des Deux morts qui parlent, vers minuit. Depuis longtemps, Catho avait renvoyé ses ordinaires clients nocturnes. Et même, par une exception unique dans le mémorial de son auberge, elle avait condamné sa porte au moment où le couvre-feu avait sonné.

Mais à partir de onze heures, cette porte s’entrebâilla.

Bientôt, une femme parut, une pauvresse misérablement vêtue. Puis deux vieilles entrèrent, espèces de sorcières à capuches noires. Puis une borgnesse, un emplâtre sur l’œil, qui, en entrant, défit son emplâtre. Puis une hideuse manchote à tête de furie, qui, s’étant assise, délia quelques cordes et retrouva son bras. Puis cinq ou six béquillardes qui se traînaient péniblement et qui jetèrent leurs béquilles dès qu’elles furent dans le cabaret. Vers minuit, l’auberge était bondée, toutes ses salles occupées, toutes ses tables prises: et là grouillait un monde fantastique, une foule défiant pinceaux, crayons et plumes, un étrange fouillis d’êtres bizarres, sordides, loqueteux, visages fanés, visages terribles, rien que des femmes, toute la cour des Miracles femelle, truandes, diseuses de bonne aventure, danseuses de corde, mendiantes, les unes jolies sous les haillons, les autres hideuses, toutes vêtues de pièces et morceaux.

À toutes, Catho, aidée de deux ou trois femmes, servait à manger, versait à boire: ce qu’il y avait de meilleur dans sa cave y passait; elle causait vivement à quelques-unes, glissant à celle-ci un ducat, à celle-là un écu d’or…

Puis, tout à coup, après que Catho eut dit quelques mots, cette vision s’évanouit; les béquillardes reprirent leurs béquilles, les bossues leur bosse, les borgnes leur emplâtre et, en quelques minutes, l’auberge se vida.

Tout ce monde inouï, exorbitant, s’était enfoncé dans l’ombre sereine de la nuit d’été.

Catho, alors, alla à une armoire et en tira trois sacs d’écus d’argent et d’or.

– La fin! murmura-t-elle avec une grimace.

Et elle attendit, prêtant l’oreille.

Vers une heure, le cabaret qui s’était vidé commença à se remplir de nouveau: cette fois encore, il ne vint que des femmes. Et leur misère, à celles-ci, était plus décente et s’attifait d’oripeaux. Il y en avait de très jolies. Il y en avait des laides. La plupart étaient jeunes. Presque toutes portaient la robe lâche et la ceinture; beaucoup de ces ceintures étaient brodées d’or…

Et c’étaient les ribaudes, toutes celles qui faisaient métier de leur corps, et que Catho, l’une après l’autre, avait depuis trois jours décidées. Elles riaient, chantaient, les unes d’une voix douce et dolente, les autres d’une voix enrouée; toutes buvaient, buvaient! et leurs regards brillaient, et elles s’exaltaient!…