Fandor, alors, se sentit désespéré.

Comme il traversait la salle d’attente, ne sachant trop ce qu’il allait faire, une pensée nouvelle lui vint :

— Bon Dieu, que je suis bête ! J’ai encore un autre moyen de prévenir Juve, je vais lui télégraphier.

Fandor revint supplier le chef de gare et obtint cette fois, sans trop de peine, d’envoyer une longue dépêche au policier.

Cette dépêche, Fandor voulait la faire adresser à deux endroits différents :

— J’en enverrai un exemplaire rue Tardieu, expliqua-t-il, et l’autre à la Préfecture de Police, Juve l’aura toujours à l’un ou à l’autre de ces endroits.

Et, pour rédiger son texte, Fandor, quittant le bureau du chef de gare aux allées et venues continuelles, passa dans la salle d’attente. Or, au moment même où le journaliste se trouvait sur le quai, il s’arrêta, devenu blême de saisissement : devant lui, à quelques mètres à peine, tenant une valise à la main, portant un pardessus sur son bras, ayant tout l’air de s’apprêter à faire un long voyage, un homme :

— Fernand Ricard, dit Fandor. Ah, ça, mais je deviens fou ! Comment ? Le voilà revenu ?

Or, précisément, un employé annonçait sur le quai :

— Les voyageurs pour le train du Havre, avançons s’il vous plaît ! Le rapide est signalé !

Jérôme Fandor entendit cela comme dans un rêve. Quelques secondes encore, le rapide arrivait. Alors, brusquement, Fandor prit une décision :

— Monsieur le chef de gare ! Monsieur le chef de gare !

Comme un fou, le journaliste avait bondi vers le bureau du brave homme.

— Voici ma dépêche.

D’une écriture illisible, Fandor griffonnait :

Je pars pour je ne sais où, Le Havre sans doute, derrière Fernand Ricard qui semble en fuite. Vous télégraphierai rue Tardieu. Amitiés, Fandor.

Le journaliste, rapidement, jetait cela aux mains du chef de gare, qui devant sa précipitation, perdait la tête :

— Mais que faites-vous ? disait le brave homme. Où allez-vous ?

Le rapide allait démarrer, Fandor sauta sur le marchepied.

— Mais vous n’avez pas de billet ! hurla le chef de gare.

— Je m’en fous ! cria Fandor.

La réponse du journaliste se perdit dans le fracas.

24 – CRIME OU SUICIDE ?

— En voiture, les voyageurs pour Vernon, allons, dépêchons !

On claquait les portières, déjà le train s’ébranlait. Un homme qui arrivait en courant, se précipita sur le marchepied, ouvrit une portière de wagon, grimpa dans un compartiment et tomba plus qu’il ne s’assit sur la banquette.

— Ouf, murmura-t-il, il était temps.

Cet homme, c’était Juve.

Le célèbre policier, après avoir été convoqué par M. de Parcelac, directeur du Comptoir National, afin de découvrir l’homme qui avait osé truquer la roue de la loterie, n’avait pas hésité à conclure :

— C’est encore du Fantômas.

L’inspecteur de la Sûreté avait, en outre, eut la certitude qu’il fallait rattacher les diverses aventures de l’affaire Baraban à cette nouvelle affaire.

— Si Fantômas s’est fait passer pour Baraban, se disait Juve, c’est certainement qu’il y avait un intérêt. Le truquage de la roue n’a été fait et combiné qu’en vue de gagner le gros lot de deux cent mille francs. Fantômas sachant que le numéro 6 666 appartenait à Baraban, s’est arrangé pour d’abord, en se faisant passer pour M. Dominet, secrétaire de la Chambre des notaires, s’emparer du cachet du Comptoir National, et ensuite des numéros devant être tirés le soir même. Il les a remplacés par des 6.

Et mentalement, Juve repassait dans son esprit toutes les aventures qui s’étaient déroulées les jours précédents. L’imbroglio de l’affaire Baraban ne se dénouait encore pas tout à fait aux yeux du policier :

— Sans aucun doute, c’est Fantômas qui s’est substitué au véritable Baraban, c’est lui qui a combiné l’affaire du 6 666 gagnant des deux cent mille francs, mais enfin, il y a eu un véritable oncle Baraban. Qu’est-il devenu ? Je vais finir maintenant, par croire qu’il a été assassiné, et assassiné par Fantômas.

Et malgré lui, le célèbre inspecteur se remémorait ses diverses perquisitions au domicile du disparu. Il se rappelait cette mise en scène, à coup sûr voulue, ces taches de sang, tout ce désordre truqué. Juve alors ne pouvait s’empêcher de murmurer :

— Peut-être Fantômas a-t-il pris seulement la personnalité du véritable Baraban pour voler le billet de la loterie, et peut-être aussi le vrai Baraban, l’oncle des Ricard est-il bien le personnage qui est débarqué au moment de l’arrestation à Vernon. Car enfin, je ne vois plus l’intérêt qu’aurait eu Fantômas à sauver les Ricard, à moins qu’ils ne soient ses complices ? Et puis il y a ce notaire, Gauvin, qui détenait le billet de loterie. Est-ce que Fantômas aurait eu l’audace d’aller à Vernon toucher ces deux cent mille francs à l’étude, dans son personnage de Baraban ? Le mieux est d’aller moi-même à Vernon. J’interrogerai d’abord M e Gauvin, et ensuite les Ricard. Peut-être, de la sorte, retrouverai-je la filière de toutes ces aventures et aussi le principal acteur de cette sinistre comédie. Ah, Fantômas ! Fantômas, il ne sera pas dit que vous m’échapperez encore. Cette fois, nous jouons serré. Il s’agit de vie ou de mort. Je n’hésiterai pas, si je vous rencontre sur mon chemin, à vous abattre comme une bête féroce que vous êtes.

Le train filait à toute allure. Les stations passaient les unes après les autres, et bientôt, des voix crièrent :

— Vernon, Vernon !

Son billet à la main, Juve se dirigea vers la sortie de la station. Au moment où il atteignait la barrière, il se heurta à un gros homme, qui n’était autre que le brave chef de gare et qui, à sa vue, immédiatement, pâlit, leva les bras au ciel :

— Ah monsieur, quel malheur, gémissait-il, un si brave homme !

Juve n’eut aucune envie d’éterniser les lamentations du personnage qu’il rencontrait, il pensait qu’il s’agissait du retour de l’oncle Baraban.

Discrètement, il serra la main du chef de gare et s’apprêtait à poursuivre son chemin. Le policier prit donc un ton enjoué pour répondre :

— Bah, il ne faut pas se frapper, tout est bien qui finit bien, l’oncle Baraban est de retour, c’est une affaire terminée.

Mais, au fur et à mesure qu’il parlait, Juve voyait un sentiment d’horreur mêlé de stupéfaction se peindre sur les traits du chef de gare :

— Ah ça, s’écria enfin le fonctionnaire, mais il me semble que je deviens fou, monsieur le policier, vous dites que tout est bien qui finit bien ?

— Sans doute ! répondit Juve bonasse. Dans quinze jours on ne parlera plus de cette histoire-là.

Juve, péremptoire, venait de répondre, il allait s’éloigner en haussant les épaules pour se débarrasser du fâcheux, mais le chef de gare le retenait par la manche de sa jaquette :

— Sûrement, disait le brave homme, vous ne savez pas, monsieur Juve, ce qui est arrivé ?

— Quoi donc ?

— Monsieur Juve, vous ne connaissez pas le malheur de cette nuit ?

— Quel malheur ? Que s’est-il passé ?

— Monsieur Juve, c’est une chose effroyable, abominable ! M e Gauvin, notre excellent notaire, un homme que tout le monde respectait ici, que tout le monde avait plaint lorsque son fils avait paru compromis…

— Oui, oui, alors ?

— Alors, murmura tout bas le chef de gare, ce pauvre M e Gauvin s’est suicidé cette nuit. Il y a deux heures, on l’a retrouvé…

Mais Juve n’écoutait plus le brave homme. Il avait pris sa course et, le plus vite qu’il le pouvait, se dirigeait vers Vernon.

Le policier, à cet instant, était fou d’émotion :

— Ça, pensait-il, c’est plus fort que tout, et j’étais loin de m’y attendre. M e Gauvin se suicidant, allons donc ! C’est extraordinaire !

Et Juve, au même instant, pensait que M e Gauvin s’était suicidé après le tirage de cette loterie où le 6 666 qu’il détenait au nom de Baraban avait gagné les deux cent mille francs.