Or, comme lady Beltham commençait à gravir les degrés de cet escalier pour aller prendre son poste près du feu, comme elle gravissait les premières marches, s’attendant presque à ce que Jérôme Fandor, dans sa cellule, mît ses menaces à exécution et occasionnât la formidable explosion qu’il projetait, lady Beltham entendit une voix terrifiée qui lui criait :

— Montez vite, montez vite, le feu est éteint. Je ne peux pas le rallumer.

Qui donc parlait ainsi ?

Lady Beltham, défaillante, venait de s’appuyer contre la muraille à bout d’énergie.

— Le feu est éteint !

Qui lui parlait ?

Lady Beltham le savait bien, c’était Anselme Roche.

La veille, en effet, alors que la mer semblait d’huile, tant elle était paisible, une voile blanche avait cinglé sur le récif.

Anselme Roche avait pris pied sur l’écueil, était entré dans le phare avant que lady Beltham, occupée dans la lanterne eût pu s’opposer à son arrivée. Une scène dramatique, courte mais terrible, s’était alors produite.

Anselme Roche, qui avait la bonne foi candide des amoureux, s’était précipité vers celle qu’il considérait toujours comme étant seulement M me Borel et, à mots entrecoupés, lui avait dit :

— Votre amant, c’est Fantômas. Oui, c’est l’abominable Fantômas. Quittez-le. Je vous aime. Vous referez votre vie. Séparez-vous de ce misérable !

À ces paroles ardentes, M me Borel, lady Beltham, plutôt, n’avait d’abord rien répondu. Elle savait bien, elle, la grande dame, que M. Borel n’était autre que Fantômas, elle savait bien aussi qu’Anselme Roche était épris, profondément épris d’elle. Était-ce suffisant pour qu’elle pût trahir l’amant qu’elle aimait toujours ?

Lady Beltham eut donc pour le magistrat des paroles vagues. Elle ne dit ni oui ni non, elle ne refusa ni n’accepta les offres que multipliait le magistrat. Et puis, la nuit était venue, une saute de vent avait bouleversé l’Océan tranquille jusqu’alors, le canot qui avait amené Anselme Roche se brisa contre l’écueil et, par la nuit de tempête, lady Beltham et son compagnon ne purent plus échanger un mot, occupés seulement à rallumer le feu, tant les rafales de vent soufflaient, à manœuvrer la sirène, à sauver les navires qui passaient au large.

Comme la tempête redoublait vers la fin du jour, lady Beltham songeait à Fandor qui, depuis la veille, n’avait reçu d’elle aucune provision.

C’était alors que le journaliste la menaça de faire sauter le phare, et quand elle remonta de la cave où Fandor était prisonnier, Anselme Roche, demeuré dans la lanterne, lui hurla le lugubre avertissement :

— Le feu est éteint. Il y a un navire en perdition. Que faire ?

Lady Beltham, une seconde, s’affola. Son parti, toutefois fut vite pris.

Elle savait qu’en cas de danger, en cas d’avarie survenant au feu, un mécanisme était prévu qui permettait d’actionner une puissante sirène remplaçant l’éclat de la lanterne. Mais cette sirène était lourde à mettre en action. Jamais ni elle ni Anselme Roche n’arriveraient à la faire mouvoir. Lady Beltham n’hésita pas. Elle revint trouver Fandor. Elle ouvrit la trappe :

— Vous nous ferez sauter demain, lui dit-elle, si vous le voulez, mais venez, vous êtes courageux, j’ai confiance en vous, il faut que vous m’aidiez, il s’agit de sauver un navire.

Suivant la grande dame qui lui expliquait la manœuvre, Jérôme Fandor se précipita dans l’escalier en colimaçon qui grimpait vers la lanterne du phare :

— Vite, vite, criait lady Beltham, le passage est si mauvais qu’en un instant un navire peut s’y engloutir. Lady Beltham et Fandor, quelques minutes plus tard, haletants, hors d’haleine, atteignaient la lanterne. Or, comme ils y parvenaient, à travers les vitres de la chambre dé garde, ils aperçurent Anselme Roche qui, debout sur l’étroit balcon entourant le phare, agitait éperdument une cloche en dépit des embruns qui lui sautaient au visage, des rafales de pluie qui l’aveuglaient.

Mais lady Beltham et Fandor n’eurent qu’une seconde à peine le temps d’apercevoir le courageux magistrat.

Sans qu’ils pussent se rendre compte de ce qui se passait, ils virent Anselme Roche soudain arraché au balcon par quelque chose qui heurta le phare à grand fracas.

Le corps du malheureux était entraîné dans le vide.

Un paquet de mer un instant, dissimula l’horizon. L’endroit où s’était trouvé Anselme Roche quelques secondes auparavant, était vide, brusquement.

Le vent, la tempête, autre chose peut-être l’avaient emporté, arraché, lancé à la mer.

27 – QUATRE CRIS DANS LA TOURMENTE

Que s’était-il donc passé ?

Une heure environ avant que Fandor et lady Beltham eussent vu le procureur Anselme Roche si extraordinairement enlevé du haut de la galerie du phare, par une sorte de perche qui avait semblé surgir du sein des flots, Juve, qui depuis le début de la soirée était sur les traces de Fantômas, avait fini par rejoindre le bandit au moment où celui-ci arrivait au Port-Vieux à Biarritz.

Fantômas un instant, semblait-il à Juve, avait eu l’idée de pénétrer dans l’auberge de José Farina. Il était vraisemblablement trop tard, les volets, les fameux volets du cabaret étaient hermétiquement clos et le bandit, qui certainement se sentait poursuivi, avait dû se rendre compte qu’il n’aurait pas le temps de se faire ouvrir avant d’être rejoint.

Fantômas prenant une décision rapide, se perdit alors dans une ruelle étroite et sombre qui faisait l’angle de la maison de José Farina. Cette ruelle conduisait au port. Fantômas la suivit en courant, il n’avait pas le droit de s’attarder, derrière lui, en effet, il entendit le bruit des pas précipités de Juve et l’insaisissable bandit devait redouter d’être capturé enfin.

Fantômas s’élança sur la jetée qui menait à l’entrée du port et, dès lors, à la lueur vacillante des lampadaires électriques, Juve, qui s’en rapprochait de plus en plus, pouvait le voir courant devant lui. C’était un spectacle impressionnant que celui de ces deux hommes dont l’un poursuivait l’autre et qui couraient sur cette jetée étroite, rendue glissante par les vagues qui y déferlaient.

La mer était très dure, on entendait au lointain le grondement de l’océan en furie, la plainte brutale du vent auxquels se mêlaient le long cri plaintif des sirènes actionnées par les navires qu’inquiétaient la tempête, au loin.

Lorsque se produisait une accalmie, le vent apportait par bribes les échos lointains de l’orchestre de tziganes du Casino aux salons brillamment illuminés.

Juve songeait, cependant que, frileusement, il refermait son pardessus qu’arrachait la tempête :

— Que va faire Fantômas ? Il n’est point d’issue à l’extrémité de cette jetée et, comme je doute qu’il se jette à la mer, j’imagine qu’il va se retourner, que nous allons nous livrer, seul à seul devant l’immensité, une lutte d’homme à homme.

Juve, surexcité par la poursuite à laquelle il se livrait et se sentant tout près d’atteindre le but, éprouvait au fond de lui-même une satisfaction intense à l’idée que le dénouement qui approchait désormais était inévitable.

— À nous deux, Fantômas ! cria-t-il.

Mais, à ce moment, Juve poussa un juron. Le bandit venait de disparaître. Il avait sauté de la jetée, semblait s’être perdu dans la mer. Juve se précipita jusqu’à l’extrême pointe de la digue avancée au milieu des flots.

— Il ne sera pas dit que Fantômas m’échappera, s’écria-t-il.

Et Juve sauta à son tour par-dessus le parapet, s’élança à la poursuite de Fantômas, car Juve, en un éclair, avait compris ce qui se passait. Et, avec une témérité sans pareille, il avait décidé de poursuivre coûte que coûte le Maître de l’Effroi dans ses périlleuses entreprises.

Un bateau à vapeur, de petites dimensions, que Juve n’avait pas remarqué jusqu’alors, avait évolué dans le port au moment où la poursuite prenait place. Il dansait sur les vagues, ballotté comme une coque de noix, cependant que sa cheminée vomissait des torrents de fumée qui venaient, en nuages d’encre, se perdre dans l’obscurité de la nuit. Or, au moment précis où Fantômas atteignait l’extrémité de la jetée, ce vapeur doublait la digue, la rasant de près. Et Fantômas avait bondi, en un saut prodigieux.