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Cinq jours plus tard, Fandor, délivré de ses couvertures, de ses liens et de ses bâillons, arpentait fou furieux une sorte de petite cave parfaitement ronde, noire, encombrée de ballots de marchandises.

Fandor, tout en tournant en rond, tapait à grands coups de poing contre les murailles lisses et hurlait d’une voix colère :

— La gardienne, allons la gardienne, venez m’écouter, bon sang de bonsoir ! Voulez-vous descendre, sacrée mégère que vous faites ! Si vous n’êtes pas là dans cinq minutes, jour de ma vie, je vous renvoie dans les étoiles !

Peu à peu il se calma.

— Bon, ce n’est pas la peine de m’enrouer, se déclara-t-il, subitement, cette maudite fumelle serait déjà venue si elle m’entendait, elle doit être dehors. N’importe où. Elle ne peut m’entendre. Patientons.

La patience n’était pas le fort du journaliste. Aussi bien il ne se faisait plus d’illusions et depuis de longs moments, savait exactement à quoi s’en tenir.

La cage ronde qu’il occupait, dans laquelle on le maintenait soigneusement, Jérôme Fandor l’avait parfaitement reconnue.

— Ça, s’était dit le journaliste, lorsque après avoir rompu ses liens, il avait pu inspecter sa prison, ce n’est ni plus ni moins, que le soubassement d’un phare. On m’a emmené en automobile jusqu’à un point de la côte. Là, on m’a embarqué sur un canot, lequel a rallié un phare et c’est dans ce phare que je suis enfermé. Le bruit de la mer que j’entends, suffirait à me convaincre si je pouvais douter de la chose, mais je n’en doute pas. D’ailleurs, la question n’est pas de savoir où je suis, non plus que la façon dont j’y suis, l’essentiel est pour moi d’inventer un moyen de m’en sortir.

Tout cela était fort exact, mais ne comportait pas, hélas, de bien certaines conséquences pratiques. Jérôme Fandor pouvait avoir deviné qu’il était dans un phare et pouvait bien encore décider qu’il allait en sortir, tout ceci ne l’avançait guère. Les murailles étaient solides et Jérôme Fandor avait beau se meurtrir les poings en y appliquant de furieux coups, il ne pouvait que se convaincre de l’inutilité de ses efforts.

Bientôt Jérôme Fandor conçut une nouvelle crainte fort légitime, dans les circonstances particulières où il se trouvait.

— Ah çà, se demanda-t-il, suis-je destiné à crever de faim ? Va-t-on me laisser mourir d’inanition ? Zut, je connais ce genre de mort. Sous les fontaines chantantes, j’ai déjà goûté à ce genre de torture. Je ne tiens pas du tout à recommencer.

Il allait protester, hurler, appeler au secours, lorsque précisément, un bruit de pas se produisit au-dessus de sa tête, et qu’il eut la surprise d’entendre une voix de femme qui semblait provenir du plafond et qui lui disait :

— Tendez la main. Voici de la viande, du pain, je vous passe une bouteille de vin aussi.

Fandor, de surprise, en oublia tout son ressentiment.

— Vous êtes bien honnête, Madame, cria-t-il, mais si cela ne vous fait rien, je voudrais bien m’en aller. Qui êtes-vous ? Où suis-je ? Que me veut-on ?

Ses questions restèrent sans réponse, la visiteuse s’éloignait. Jérôme Fandor attaqua, d’une dent affamée, les provisions qu’on venait de lui passer.

Son appétit satisfait, Jérôme Fandor, naturellement recommença, à examiner minutieusement la prison où il se trouvait et les ballots qui y étaient enfermés avec lui.

Une chose le préoccupait surtout :

Comment était-il entré dans cette pièce ? comment lui avait-on passé le dîner qu’il venait d’absorber ?

Mettre des caisses les unes sur les autres pour se faire une sorte de pylône, grimper sur ces caisses, c’était pour Fandor une besogne aisée. Le journaliste reconnut qu’au centre du plafond de sa cave, se trouvait une trappe formée par une grille aux barreaux assez espacés. C’était à travers ces barreaux qu’on lui avait glissé les provisions. La trappe n’avait dû s’ouvrir qu’au moment où on l’avait introduit dans la cave et Fandor reconnut vite que la grille qui la fermait était assez solide pour qu’il fût parfaitement chimérique d’essayer de l’arracher et de passer au travers.

— C’est assommant, grommela le journaliste en redescendant du haut de son échafaudage, je suis exactement dans la situation d’un serin jaune des Canaries. On m’a enfermé dans une cave et l’on me passe à manger à travers les barreaux. Charmant séjour pour un journaliste. Fantômas doit bien se payer ma tête. C’est vexant.

Fandor, après avoir grommelé, avoir minutieusement parcouru sa cellule en tous sens, décida qu’il n’avait rien de mieux à faire qu’à se coucher pour prendre un peu de repos.

— Dormons, la nuit porte conseil. C’est le cas ou jamais d’en faire l’expérience.

Fandor dut dormir longtemps, dormir en toute tranquillité, sans avoir le moindre cauchemar, car, lorsqu’il se réveilla, il se sentit parfaitement reposé, frais et dispos.

— Dommage, pensait-il, tout en s’asseyant sur son séant et en vérifiant qu’il lui restait encore quelques cigarettes dans sa poche, dommage que je ne puisse prévenir Juve que j’ai découvert un tel lieu de repos. Je ne doute pas que mon excellent ami, dûment averti, ne vienne y faire une cure de santé.

Tirant une cigarette, Jérôme Fandor allait l’allumer lorsque, brusquement, il s’abstint de le faire, ayant eu une pensée qu’il appelait lui-même, lumineuse.

— Je suis un crétin, songeait Fandor, puisque j’ai une allumette et que j’en ai même plusieurs, puisque je possède une boîte de tisons, toute neuve, il s’agit d’en tirer parti.

Fandor, sans faire de bruit, grimpa au sommet de l’échafaudage qu’il avait constitué la veille au soir. Là, il eut la patience de demeurer debout pendant de longues heures, approchant son visage autant qu’il le pouvait de la grille de la trappe :

Que voulait faire Fandor ?

Son plan était simple.

— Puisqu’on m’a donné de quoi manger hier soir, supputait le jeune homme, il est probable qu’on m’accordera encore une pitance quelconque aujourd’hui. Je suis dans le noir et je ne peux pas apercevoir mon geôlier, mais j’ai des allumettes, ce dont il ne se doute pas.

Quand on viendra, je craquerai l’un de mes tisons, je verrai la tête de cet individu, ce sera toujours une satisfaction.

Le raisonnement était juste et, après de longues heures d’attente, Jérôme Fandor eut le plaisir en effet d’entendre quelqu’un s’approcher de la grille.

— Monsieur, commença la voix qui lui avait déjà parlé, la voix de femme.

Fandor ne répondit pas.

— Monsieur, continuait-on, voici votre déjeuner.

— Crac.

Fandor venait d’enflammer une allumette tison. Or, dans l’auréole que dessinait la mince petite flamme, Jérôme Fandor aperçut, très distinctement, le visage de la femme qui se penchait sur la grille.

Et c’étaient deux cris, deux cris de surprise qui jaillissaient dans le phare :

— Lady Beltham !

— Jérôme Fandor !

Fandor, qui se brûlait les mains consciencieusement, se hâta de craquer une autre allumette, mais déjà sa geôlière avait disparu.

Le journaliste ne pouvait que s’emporter d’une colère soudaine :

— Lady Beltham, hurla-t-il, ah, j’aurais dû m’en douter, c’est lady Beltham qui est ma gardienne. C’est bien cela. Plus de doute, je suis aux mains de Fantômas. Bougre de bougre, me voilà frais.

Et il cria plus fort :

— Lady Beltham ? Lady Beltham ? Venez, j’ai à vous parler.

Fandor cria longtemps. Il allait cesser d’appeler, épuisé, lorsque la maîtresse de Fantômas réapparut enfin.

La grande dame, blanche comme un linge, tremblante, effarée, entra dans la pièce située au-dessus de la prison de Fandor. Elle avait des gestes d’automate, et Fandor ne pouvait s’empêcher de penser en lui-même :

— Dieu, qu’elle est belle et comme elle paraît malheureuse.

Lady Beltham, en effet, ayant été reconnue par le journaliste, ne prenait plus la peine de se cacher. Elle tenait une lampe dont la lumière aveuglait Fandor. S’approchant de la grille, elle lui dit d’une voix qui tremblait ;