Et Anselme Roche, incapable de bouger, la rage au cœur, dut rester lié à son arbre, cependant que ceux qu’il avait d’abord pris pour d’empressés sauveteurs regagnaient leur automobile et s’éloignaient à toute vitesse.

C’étaient les Espagnols qui, le soir même, devaient enlever Hélène au château de Garros.

25 – S.O.S. BOUZILLE

— Il est incontestable que je n’ai pas de chance. À Beylonque, où je m’étais installé propriétaire, j’ai eu tous les ennuis du monde avec les gens de justice, qui se sont obstinés à me considérer comme un malfaiteur, alors que j’étais tout simplement un rentier sans rentes. De Beylonque, je suis parti pour aller récolter des champignons à Garros. Des champignons ? Ah ! je t’en fiche. J’avais à peine fait quatre cueillettes que je tombais dans la plus fantastique des aventures et j’étais obligé de libérer un brave jeune homme qui, deux minutes plus tard, tombait assassiné sans que seulement j’aie rien compris à la façon dont on l’avait tué sous mes yeux. Très bien. Il faut être philosophe. Comme je ne réussissais guère à Garros, je suis parti pour Biarritz. J’espérais bien à Biarritz découvrir un moyen solide pour faire une fortune idem. Mais à Biarritz, j’ai tout bonnement rencontré des bougres de ma sorte, pas méchants, bien sûr, mais peu placés pour m’avancer des capitaux. De plus, si je ne suis pas devenu complètement imbécile, j’ai deviné que le Fantômas n’était pas loin. Évidemment Fantômas ne m’a jamais fait de mal, à moi, mais il a, malgré tout, rudement compliqué ma vie, et pas dans le meilleur sens. Il n’y a pas de place sur la terre, au même endroit, pour Fantômas et Bouzille. Comme ce n’est pas Fantômas qui s’en ira, je crois que j’ai fait sagement en fichant le camp de Biarritz. Me revoici à Garros. Qu’est-ce que je vais encore devenir ?

« J’ai déjà été de la police, se disait Bouzille, qui n’oubliait pas le court séjour qu’il avait fait à Monaco, pourquoi ne me referais-je pas indicateur ?

L’idée, d’abord vague qu’il avait eue, se précisait dans sa pensée. Bouzille savait que Juve devait être à Garros, il allait sans hésiter au château, dans le désir de voir le policier et de se faire embaucher par lui.

Bouzille, d’ailleurs, ne s’inquiétait nullement de l’accueil que lui réserverait Juve, il était sans rancune, et n’en voulait nullement au détective qui, cependant, l’avait fait arrêter au moment précis où il arrivait à Beylonque déguisé en charlatan.

— Ce vieil ami de Juve, pensait Bouzille, a de temps en temps des mouvements un peu vifs, mais enfin, c’est un excellent homme, qui sait ce que parler veut dire, et nous pourrions ensemble faire d’excellente besogne. Juve sera enchanté, Juve me paiera très cher. Juve me confiera des missions.

Marchant d’un grand pas, un gros bâton à la main, Bouzille, à la façon d’un conquérant, entra dans le parc de Garros, prêt à se diriger vers chez Fargeaux.

Malheureusement, si Bouzille avait de beaux projets, il avait aussi d’excellents souvenirs. Quelque part, dans le parc, à quelque distance du pavillon, Bouzille savait fort bien qu’il avait posé une douzaine de collets avant son départ.

— Je vais aller les chercher, pensa Bouzille, après tout, je ne suis pas pressé de voir Juve, et si cet après-midi, un lapin ou un lièvre, voire même un faisan voulait se débarrasser de la vie, je n’y verrais aucun inconvénient.

Bouzille abandonna la route, coupa à travers bois. Or, il y avait à peine cinq minutes qu’il cheminait dans les fourrés du parc lorsqu’il s’arrêta brusquement, le nez en l’air et sa figure chafouine, prit un air inquiet. Bouzille avait entendu ou cru entendre un appel.

— Hé, hé, pensa le chemineau, est-ce que par hasard il y aurait un garde par ici ? Je n’aime pas rencontrer du monde, moi. J’ai plutôt la vocation d’ermite que celle de chef du protocole. Il s’agirait de ne pas tomber à l’improviste sur le passage de quelque individu.

Bouzille qui prêtait toujours l’oreille et ne bougeait aucunement, tressaillait encore quelques minutes plus tard.

— Mais on appelle, se répéta le chemineau. Il n’y a pas à hésiter, on appelle, et on appelle au secours.

Bouzille, d’abord, pensa fuir. Puis, il se ravisa.

— Au moment où j’entre dans la police, il ne serait peut-être pas mauvais de commencer par opérer un sauvetage. Si j’allais voir qui crie ?

En fait, si Bouzille revenait sur ses pas, c’était peut-être moins dans un esprit de dévouement, que dans le désir de donner satisfaction à sa curiosité toujours en éveil.

Bouzille avec de grandes précautions, s’arrêtant de longs instants derrière de gros arbres pour observer les environs, puis, se décidant à avancer de trois pas, et recommençant son manège, marcha dans la direction d’où il lui avait semblé entendre des gémissements.

Bouzille ne s’était pas trompé. Au fur et à mesure qu’il approchait, il entendait en effet, et de plus en plus distinctement, une sorte de plainte étouffée qui ne pouvait être qu’un appel au secours, un appel très angoissé.

— Seigneur Dieu, Jésus, grommelait de temps à autre Bouzille, bien sûr que je vais encore trouver un particulier pris dans une sale situation. Mais où est-il donc ce particulier ?

Plus Bouzille, en effet, s’approchait de la route, et plus les plaintes devenaient distinctes. Or, Bouzille voyait parfaitement le sol blanc de la chaussée, et il ne s’y trouvait personne.

La route était déserte.

À force d’avancer pourtant, Bouzille finit par apercevoir l’homme qui gémissait. Seulement, au moment même où Bouzille le distinguait, le chemineau s’immobilisa et il éclata d’un grand rire.

— Ah bien, déclara-t-il, elle est pas ordinaire celle-là. Qu’est-ce qui a pu se passer ?

Bouzille s’élança en avant, sans plus prendre de précaution, il courut à un arbre, contre lequel était attaché, bâillonné de très près, le malheureux procureur de la République, M. Anselme Roche.

Bouzille connaissait fort bien le magistrat qui l’avait interrogé, lors de son arrestation à Beylonque.

Il le salua d’un geste ample, avec une excessive politesse :

— Monsieur le procureur, demanda Bouzille, je serais bougrement satisfait de savoir pourquoi vous montez la garde ici, ficelé à cet arbre comme une andouille, sauf vot’ respect ?

Anselme Roche, était bien empêché pour répondre étant donné que son bâillon lui laissait à peine la faculté de pousser des gémissements. Bouzille, par bonheur était à ce point bavard qu’il suffisait à lui seul, très facilement, pour entretenir une conversation :

— Ça ne fait rien continuait donc le chemineau, qui tournait autour du magistrat, et semblait s’amuser follement. Vous êtes dans une drôle de situation. J’ai déjà entendu dire que les juges comme vous, c’étaient des attachés au Parquet, mais je ne savais pas que c’étaient des attachés aux arbres. Après tout, c’est peut-être bien de l’éducation physique que vous faites ? Vous suivez peut-être la méthode du D r Kneipp [6].

Bouzille tout en tournant, autour de l’arbre qui servait de poteau de supplice au magistrat, aperçut enfin, la feuille de papier que celui-ci portait, épinglée à son veston. Bouzille lut le document.

— Oh, oh, déclara-t-il, et comme ça vous êtes un assassin ? Vous avez donc changé de situation ? Drôle d’idée. J’aurais cru que ça rapportait plus d’être juge. Au fait, Monsieur le procureur, vous attendez pt’être, que je vous détache ? Oui, c’est cela que veut dire ce grognement, que vous poussez ? eh bien, c’est compris je m’en vais vous rendre la liberté.

Bouzille se mit en devoir de défaire la corde qui immobilisait Anselme Roche lorsqu’il s’arrêta, pris de peur.

— Dites donc, commença-t-il, je vous libère, c’est entendu, mais va falloir faire attention, vous savez. Ça ne leur porte pas bonheur, aux gens, d’être mis en liberté par moi. Je vous conseillerais même de ne pas passer sur la petite colline de sable. Martial Altarès, lui, quand je l’ai fait sortir de sa cave… Ah, mais au fait, vous ne connaissez pas cette histoire-là !