— Qu’est-ce qui peut bien briller ainsi au fond de ce bois ? se demandait-il.

Campé sur le bord du chemin, M. Anselme Roche regardait en effet vers l’intérieur du petit bois, comme cherchant à apercevoir un objet qui l’eût intrigué.

— Ma parole, murmura le magistrat, je me demande tout à fait ce que cela peut être… On jurerait un morceau d’acier brillant au soleil.

De plus en plus intrigué, car il ne parvenait pas à deviner quel pouvait être l’objet qui luisait ainsi, Anselme Roche entra délibérément dans le bois. L’endroit était inculte, plein de ronces, de broussailles. Il se fraya un chemin de force, de plus en plus anxieux au fur et à mesure qu’il approchait. Ce n’était plus, en effet, une simple curiosité qui le guidait vers l’objet luisant au fond des broussailles. Dès les premiers pas, le magistrat avait dû reconnaître la nature du scintillement que d’abord il n’avait pu définir :

— Mais c’est le canon d’un fusil que j’aperçois, se dit Anselme Roche. Miséricorde, pensait le procureur de la République, c’est peut-être absolument idiot ce que je fais, mais je veux en avoir le cœur net.

Il ne s’était nullement trompé en croyant reconnaître qu’un fusil était attaché dans les branchages de l’arbre qu’il avait devant lui.

Or, non seulement ce fusil était attaché, mais encore, à côté de lui, lié à la même branche se trouvait une lorgnette ou plus exactement une longue-vue en cuivre, solidement ficelée.

— Qu’est-ce que tout cela veut dire ? pensa le magistrat. Voilà encore un mystère, j’admettrais à la rigueur qu’un braconnier puisse cacher son fusil dans un arbre, mais enfin il n’est pas coutume dans ce cas que le braconnier attache son fusil. De plus, cette longue-vue ne rime à rien, un braconnier n’a pas de longue-vue, que diable. Qui peut avoir préparé ces deux instruments ?

Or, tandis qu’il considérait, toujours debout au pied de l’arbre, le fusil et la longue-vue, le magistrat crut reconnaître, d’abord avec hésitation, bientôt avec certitude, qu’il s’agissait d’une carabine de cavalerie et qu’en outre une mèche d’amadou communiquait avec le tonnerre de l’arme, mèche d’amadou qui était enflammée, et qui, lentement, devait brûler.

— Je deviens fou, pensa Anselme Roche, tout ceci n’a aucune espèce de signification et je ne peux être que la victime d’une hallucination épouvantable.

En même temps, hélas, regardant plus fixement, le magistrat dut se rendre à l’évidence : il n’était nullement victime d’une hallucination.

Quand il s’était approché, en effet, un petit vent léger avait secoué les branches d’arbres environnantes et dissipé par cela même la légère fumée bleuâtre qui se dégageait de la mèche d’amadou incendiée.

Cette fumée, maintenant que l’air était redevenu calme, était très apparente, elle montait en spirales bleuâtres vers le ciel et, volontiers, Anselme Roche eût juré qu’il la sentait.

— Décidément, je ne comprends pas du tout à quoi tout cela peut servir ?

Comme pour la vingtième fois peut-être il se refaisait cette réflexion, Anselme Roche sursauta avec une soudaine frayeur. Brusquement, à l’improviste, une détonation sourde avait éclaté, dont les échos se répétaient à l’infini dans le lointain du petit bois.

Le fusil qu’Anselme Roche considérait venait de partir. La mèche d’amadou que le procureur de la République avait regardée sans la moindre émotion, aboutissait certainement à la poudre d’une cartouche enfermée dans le fusil. Le fusil avait tiré, exactement comme si un chasseur avait appuyé sur la détente…

— Mais… mais… commença le procureur, si ce fusil vient de partir tout seul, il faut bien que cela ait un but, il faut bien que quelqu’un ait voulu qu’il partît tout seul. Qui donc ? Pourquoi ?

Anselme Roche n’était plus très jeune. Cependant, il avait gardé une certaine souplesse et cela devait lui être utile en l’occurrence.

Le magistrat, en effet, sans hésiter le moins du monde, s’approcha de l’arbre sur lequel étaient attachés le fusil et la lorgnette et entreprit d’en escalader le tronc.

D’abord, il n’y parvint pas, car l’habitude lui manquait pour un pareil exercice, mais il redoubla d’efforts et après cinq minutes de peine, cependant qu’il avait souillé son pantalon, verdi sa chemise, écorché ses mains, il eut l’heureuse chance de pouvoir s’agripper à une branche, ce qui lui permit, dans un dernier effort, de se mettre de niveau à peu près avec le fusil qui venait de tirer.

Le premier geste d’Anselme Roche était naturellement de porter la main sur le canon du fusil.

Si le canon était chaud, Anselme Roche aurait du même coup la certitude qu’il ne s’était pas trompé, qu’il ne rêvait pas, qu’il n’était pas victime d’un cauchemar et que réellement le fusil avait tiré. Si le canon de l’arme était froid, il devrait évidemment douter du témoignage de ses sens et s’accuser de somnambulisme.

Anselme Roche put à peine passer la main sur la culasse de l’arme. Il n’avait à coup sûr pas été halluciné quelques minutes avant, le fusil était bien chaud, une cartouche venait bien d’être tirée et la chaleur même était telle qu’Anselme Roche, qui avait servi au 13 erégiment de chasseurs à cheval et en tirait quelque vanité, ne pouvait plus douter que c’était une cartouche de guerre, une véritable cartouche Lebel qui avait chargé l’arme.

Mystère.

Cramponné à la branche d’arbre qui lui servait de piédestal, Anselme Roche réfléchissait encore, quand il lui vint à l’idée que rien ne l’empêchait de regarder dans la longue-vue et de voir par conséquent sur quoi l’instrument était braqué.

Le procureur de la République alors, mit l’œil à l’oculaire.

Mais à peine eut-il regardé dans la lorgnette, à peine eut-il compris ce qu’il voyait, qu’il se prit à pâlir.

— Soyons de sang-froid, se dit-il, regardons.

Ce qu’Anselme Roche avait vu, en effet était surprenant au plus haut point :

La longue-vue fixée à l’arbre était, par un trou du feuillage, braquée sur une fenêtre, qui ne pouvait être que la fenêtre d’une des chambres du château de Garros. Et, dans le champ de la lorgnette, Anselme Roche apercevait dès lors, très distinctement, si près de lui qu’il eût cru pouvoir causer avec les personnages qui s’y agitaient, une chambre, la chambre de Timoléon Fargeaux, dans laquelle se trouvaient Juve, un individu, vêtu d’une blouse bleue et enfin, tombé par terre, inanimé, rigide, mort peut-être, mort sans doute, le malheureux Timoléon Fargeaux.

Dans la lorgnette à laquelle il continuait de coller son visage, il voyait très distinctement encore les vitres de la fenêtre qu’il considérait. L’une de ces vitres était brisée, le carreau était étoilé de grandes fêlures et, en son centre, un petit trou expliquait ce qui venait de s’être passé.

Si Timoléon Fargeaux était étendu sur le sol, inanimé, c’est qu’il avait reçu la balle qui avait passé à travers la fenêtre, si Juve s’agitait, faisant de grands gestes, si il semblait menacer d’abord puis, interroger le paysan en blouse bleue qui était avec lui, c’est que peut-être le policier l’accusait d’avoir tiré le coup de feu, ou du moins exigeait de lui une déposition que l’autre refusait.

Or, Anselme Roche, maintenant, ne pouvait plus hésiter. Le coup de feu qui avait tué Timoléon Fargeaux, ne venait-il pas, lui, de le voir tirer ? À côté de la lorgnette à laquelle il se cramponnait avec une fiévreuse nervosité, n’y avait-il pas un mousqueton, un mousqueton de cavalerie encore chaud ?

Certes, de l’endroit où il se trouvait au château de Garros, il y avait tout près de douze cents mètres, mais une carabine de cavalerie légère tire juste jusqu’à une distance de quinze cents mètres à peu près. Et le drame ainsi apparaissait à Anselme Roche dans toute sa simplicité.

— Je cherche le nom du meurtrier, se déclara soudain Anselme Roche, en frissonnant, mais parbleu, qui donc peut avoir eu l’idée d’un attentat aussi lâche et aussi savant, si ce n’est Fantômas, si ce n’est ce M. Borel ?