Visage dans les yeux
Puisant je ne sais quoi; au fond de ses yeux jetant le panier tressé de mon désir, je n'ai pas obtenu le jappement de l'eau pure et profonde.
Main sur main, pesant la corde écailleuse, me déchirant les paumes, je n'ai levé pas même une goutte de l'eau pure et profonde:
Ou que le panier fut lâchement tressé, ou la corde brève; ou s'il n'y avait rien au fond.
Inabreuvé, toujours penché, j'ai vu, oh! soudain, un visage: monstrueux comme chien de Fô au mufle rond aux yeux de boules.
Inabreuvé, je m'en suis allé; sans colère ni rancune, mais anxieux de savoir d'où vient la fausse image et le mensonge:
De ses yeux? – Des miens?
On me dit
On me dit: Vous ne devez pas l'épouser. Tous les présages sont d'accord, et néfastes: remarquez bien, dans son nom, l'EAU, jetée au sort, se remplace par le VENT.
Or, le vent renverse, c'est péremptoire. Ne prenez donc pas cette femme. Et puis il y a le commentaire: écoutez: «Il se heurte aux rochers. Il entre dans les ronces. Il se vêt de poil épineux…» et autres gloses qu'il vaut mieux ne pas tirer.
Je réponds: Certes, ce sont là présages douteux. Mais ne donnons pas trop d'importance. Et puis, elle est veuve et tout cela regarde le premier mari.
Préparez la chaise pour les noces.
Mon amante a les vertus de l'eau
Mon amante a les vertus de l'eau: un sourire clair, des gestes coulants, une voix pure et chantant goutte à goutte.
Et quand parfois, – malgré moi – du feu passe dans mon regard, elle sait comment on l'attise en frémissant: eau jetée sur les charbons rouges.
Mon eau vive, la voici répandue, toute, sur la terre! Elle glisse, elle me fuit; – et j'ai soif, et je cours après elle.
De mes mains je fais une coupe. De mes deux mains je l'étanche avec ivresse, je l'étreins, je la porte à mes lèvres:
Et j'avale une poignée de boue.
Pierre musicale
Voici le lieu où ils se reconnurent, les amants amoureux de la flûte inégale;
Voici la table où ils se réjouirent l'époux habile et la fille enivrée;
Voici l'estrade où ils s'aimaient par les tons essentiels,
Au travers du métal des cloches, de la peau dure des silex tintants,
A travers les cheveux du luth, dans la rumeur des tambours, sur le dos du tigre de bois creux,
Parmi l'enchantement des paons au cri clair, des grues à l'appel bref, du phénix au parler inouï.
Voici le faîte du palais sonnant que Mou-Koung, le père, dressa pour eux comme un socle,
Et voilà, – d'un envol plus suave que phénix, oiselles et paons, – voilà l'espace où ils ont pris essor.
*
Qu'on me touche: toutes ces voix vivent dans ma pierre musicale.
Supplique
Tu seras priée de sourires, de regards et de certains abandons, et d'offrandes que tu repousses par principe, jeune fille encore;
Tu seras implorée de dire quoi tu veux, ce dont tu as soif, les parures à ton gré, – rouges linges nuptiaux, poèmes, chants et sacrifices…
Cet homme indigne, – moi, – indigne de mendier, ne supplie de toi que l'apparence, la forme qui te hante, le geste où tu te poses, oiseau dansant.
Ou bien ta voix non modulée, ou bien ce reflet, bleu dans tes cheveux. Mais ton âme, lourde dix mille fois aux yeux du Sage,
Cache bien ton âme au fond d'elle, déconcertante,
Belle jeune fille, tais-toi.
Sœur équivoque
De quel nom te désigner, de quelle tendresse? Sœur cadette non choisie, sage complice d'ignorances,
Te dirai-je mon amante? Non point, tu ne le permettrais pas. Ma parente? Ce lien pouvait exister entre nous. Mon aimée? Toi ni moi ne savions aimer encore.
Sœur équivoque, et de quel sang inconnu! – Maintenant, sois satisfaite: ni sœur ni amie ni maîtresse ni aimée, chère indécise d'autrefois,
Te voici désormais fixée, dénommée, par coutume et rite et sort (ayant perdu le nom de ta jeunesse),
Sois satisfaite: te voici mariée. Tu es emplie de joie permise,
Tu es femme.
Stèle provisoire
Ce n'est point dans ta peau de pierre, insensible, que ceci aimerait à pénétrer; ce n'est point vers l'aube fade, informe et crépusculaire, que ceci, laissé libre, voudrait s'orienter;
Ce n'est pas pour un lecteur littéraire, même en faveur d'un calligraphe, que ceci a tant de plaisir à être dit:
Mais pour Elle.
Vienne un jour Elle passe par ici. Droite et grande et face à toi, qu'elle lise de ses yeux mouvants et vivants, protégés de cils dont je sais l'ombre;
Qu'elle mesure ces mots avec des lèvres tissées de chair (dont je n'ai pas perdu le goût) avec sa langue nourrie de baisers, avec ses dents dont voici toujours la trace,
Qu'elle tremble à fleur d'haleine, – moisson souple sous le vent tiède, – propageant des seins aux genoux le rythme propre de ses flancs – que je connais,
Alors, ce déduit, enjambant l'espace et dansant sur ses cadences; ce poème, ce don et ce désir,
Tout d'un coup s'écorchera de ta pierre morte, oh! précaire et provisoire, – pour s'abandonner à sa vie,
Pour s'en aller vivre autour d'Elle.