Les gens de Mani
Quant à ceux-ci, ils servent non pas un principe unique, mais DEUX: ce sont les gens de Mani.
Ils récusent le mariage, abusant de ce qui n'est point mariage: ils accomplissent sans dire mot, comme la tortue et le serpent.
Ils méprisent les médecines et se régalent de poisons médicaux. Maudissant la viande avant de la manger, leurs amis avant de les aimer, l'un des principes avant de l'adorer.
Ils songent tout le plein jour et veillent toutes les ténèbres… Ceci ne vaudrait pas un exergue, à peine d'être dit.
S'ils n'usaient entre eux d'un parfum magique: vous les reconnaîtrez à leur odeur.
Vision pieuse
Le peuple dit avoir vu de ses yeux sans nombre, ici même: le Prêtre-Lama, gros de sainteté, prenant son couteau et d'un seul trait s'ouvrant du nombril au cœur.
Puis il exhiba ses entrailles, dévida les boucles, défit les nœuds et cependant donnait des réponses claires sur les fortunes et les sorts.
Puis il empoigna les agiles serpents humides. Soufflant sur ses mains, poussant un cri de porc, il se frotta le ventre de nouveau nu, sans couture, et que des gens vénéraient aussitôt.
Le peuple a vu, de ses yeux indiscutables. Sans plus examiner, Nous avons fait graver ceci.
(Le graveur ne fut pas témoin. La pierre n'est pas responsable. Nous ne sommes pas répondant.)
Aux dix mille années
Ces barbares, écartant le bois, et la brique et la terre, bâtissent dans le roc afin de bâtir éternel!
Ils vénèrent des tombeaux dont la gloire est d'exister encore; des ponts renommés d'être vieux et des temples de pierre trop dure dont pas une assise ne joue.
Ils vantent que leur ciment durcit avec les soleils; les lunes meurent en polissant leurs dalles; rien ne disjoint la durée dont ils s'affublent ces ignorants, ces barbares!
Vous! fils de Han, dont la sagesse atteint dix mille années et dix mille dix milliers d'années, gardez-vous de cette méprise.
Rien d'immobile n'échappe aux dents affamées des âges. La durée n'est point le sort du solide. L'immuable n'habite pas vos murs, mais en vous, hommes lents, hommes continuels.
Si le temps ne s'attaque à l'œuvre, c'est l'ouvrier qu'il mord. Qu'on le rassasie: ces troncs pleins de sève, ces couleurs vivantes, ces ors que la pluie lave et que le soleil éteint.
Fondez sur le sable. Mouillez copieusement votre argile. Montez les bois pour le sacrifice: bientôt le sable cédera, l'argile gonflera, le double toit criblera le sol de ses écailles:
Toute l'offrande est agréée!
Or, si vous devez subir la pierre insolente et le bronze orgueilleux, que la pierre et que le bronze subissent les contours du bois périssable et simulent son effort caduc:
Point de révolte: honorons les âges dans leurs Chutes successives et le temps dans sa voracité.
Ordre de marche
Plus de stupeur! Croyez-vous ces palais immobiles? Lourds à l'égal des bâtis occidentaux? Assez longtemps ils ont accueilli notre venue: qu'ils s'en viennent à nous, à leur tour.
Debout, l'arche triomphale et sa bannière en horizon et sa devise: Porche oscillant des nues. Des porteurs pour ses hampes droites; des porteurs aux hampes obliques. Qu'ils gonflent l'épaule, piétinant.
Derrière, le pont en échine de bête arquée: d'un saut il franchira l'eau de jade fuyant sous lui. Qu'on l'attelle à la voie du milieu déroulant son trait impérial.
À gauche et à droite, dans un mouvement balancé, riche d'équilibre, marchent la Tour de la Cloche et la Tour du Tambour aux puissants cœurs sonores de bois et d'airain sur leurs huit pieds éléphantins.
Viennent ensuite les gardes lourdes des tripodes; et s'ébranlent enfin les poteaux du Palais au toit double ondulant comme un dais, soufflant de haut en bas.
Pour le démarrer, lâchez les cavaleries d'arêtes, les hordes montées aux coins cornus. Et déroulez les nues des balustres, les flammes des piliers. Laissez tourbillonner les feux, vibrer les écailles, se hérisser les crocs et les sourcils du Dragon.
Le beau cortège étalé pour tant de règnes implore qui lui rendra sa vertu d'en-allée. Il ne pèse plus: il attend.
Qu'il se déploie!
*
Seules immobiles contre le défilé, voici les Pierres mémoriales que nul ordre de marche ne peut toucher ni ébranler.
Elles demeurent.
Nominations
Chaque officier, civil ou militaire, détient son titre dans l'Empire. De soi-même le nom se glorifie; le grade et la faveur grandissent: obtenir un emploi du Prince n'est-ce pas là le plus noble but?
Je veux investir mes êtres familiers. Qu'ils n'envient plus rien désormais aux sages, aux Saints, aux conseillers et aux généraux qui ne fuient pas devant l'ennemi, – car je décide:
Ce laurier fidèle et fleuri sera mon satellite; ce pin qui m'observe et reste droit est fait juge de seconde classe; mon puits devient Grand Astrologue puisqu'il voit le Ciel profond en plein jour.
Reconnaissons que dans la basse-cour, ce volatile est Maître des Cérémonies: n'a-t-il point, de par la naissance, la noble démarche du canard?
Ainsi, recevez de moi vos apanages, ô mes êtres familiers, et en raison de vos qualités justes. Tel par le Fils du Ciel le Mont T'aï pour sa hauteur et son poids déclaré Duc et gardien de l'Empire.
Départ
Ici, l'Empire au centre du monde. La terre ouverte au labeur des vivants. Le continent milieu des Quatre-mers. La vie enclose, propice au juste, au bonheur, à la conformité.
Où les hommes se lèvent, se courbent, se saluent à la mesure de leurs rangs. Où les frères connaissent leurs catégories: et tout s'ordonne sous l'influx clarificateur du Ciel.
Là, l'Occident miraculeux, plein de montagnes au-dessus des nuages; avec ses palais volants, ses temples légers, ses tours que le vent promène. Tout est prodige et tout inattendu: le confus s'agite: la Reine aux désirs changeants tient sa cour. Nul être de raison jamais ne s'y aventure.
Son âme, c'est vers Là que, par magie, Mou-wang l'a projetée en rêve. C'est vers là qu'il veut porter ses pas.
Avant que de quitter l'Empire pour rejoindre son âme, il en a fixé, d'Ici, le départ.