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«Cela fait plaisir de se revoir! Les amis me demandent bien souvent ce qu'est devenue la belle Mme Trévière. Je leur dirai qu'elle est toujours et plus que jamais la belle Mme Trévière. Au revoir, madame.

– Bonjour, monsieur Lassalle.» André reparut.

«Maman, est-ce que toutes les bêtes ne sont pas au Bon Dieu? Est-ce qu'il y a des bêtes au Diable? Maman? tu ne me réponds pas… Pourquoi?» Et il la tira par sa jupe. Alors elle le gronda.

«André, il ne faut pas m'interrompre, quand je parle à quelqu'un. Tu m'entends?

– Pourquoi?

– Parce que ce n'est pas poli.» Il y eut quelques larmes qui finirent par un sourire dans des baisers. Ce fut encore une jolie journée. On voit sur les campagnes de ces ciels humides et traversés de rayons qui attristent et charment.

À quelques jours de là, par une grosse pluie, M. Lassalle, haut botté, fit une visite à la jeune veuve.

«Bonjour, madame. Eh bien, père Trévière, plus solide que jamais?…

– Le coffre est encore bon, mais les jambes ne valent plus rien.

– Et vous, la mère? toujours le nez sur la marmite, donc? vous goûtez la soupe. C'est d'une bonne cuisinière.» Et ces familiarités faisaient sourire la vieille dont les prunelles pétillaient entre les pommettes ridées.

Il prit André sur ses genoux et lui pinça les joues. Mais l'enfant se dégagea brusquement et alla enfourcher les jambes de son grand-père.

«Tu es le cheval. Je suis le postillon. Hue! Plus fort, plus fort!…» La visite se passa sans que la veuve et le visiteur eussent échangé quatre paroles, mais leurs regards avaient plusieurs fois croisé des lueurs, comme ces éclairs qui jaillissent entre ciel et terre dans les chaudes nuits d'été.

«Papa, est-ce que vous connaissez beaucoup ce monsieur? demanda la jeune femme, avec un air d'indifférence.

– Je le connaissais avant qu'il portât culottes. Et qu'est-ce qui ne connaissait pas son père dans le pays? Des braves gens tout à fait, tout francs et tout ronds. Ils ont du bien. M. Philippe… (nous l'appelons M. Philippe) n'emploie pas moins de soixante ouvriers dans son usine.» André crut le moment venu d'exprimer son sentiment:

«Il est vilain, le monsieur», dit-il.

Sa maman lui répondit vivement que, s'il ne parlait que pour dire des sottises, il ferait mieux de se taire.

Depuis lors, le hasard voulut que Mme Trévière rencontrât M. Lassalle à tous les tournants de la route.

Elle devenait inquiète, distraite, songeuse. Elle tressaillait au bruit du vent dans les feuilles. Elle oubliait sa guipure commencée et prenait l'habitude de soutenir son menton dans le creux de sa main.

Un soir d'automne, tandis qu'une grande tempête, venue de la mer, passait avec de longs hurlements sur la maison du père Trévière et sur toute la contrée, la jeune femme eut hâte de renvoyer la bonne qui faisait le feu et de coucher André. Pendant qu'elle lui tirait ses bas de laine et qu'elle tâtait à pleines mains les petits pieds froids, lui, écoutant les grondements sourds du vent et les tintements de la pluie contre les vitres, il noua ses deux bras sur le cou de sa mère penchée.

«Maman, dit-il, j'ai peur.» Mais elle, en lui donnant un baiser:

«Ne t'agite pas, dors, mon chéri.» fuis elle alla s'asseoir près du feu et lut une lettre.

À mesure qu'elle lisait, ses joues se coloraient; un souffle chaud lui montait de la poitrine. Et, quand elle eut fini de lire, elle resta étendue dans son fauteuil, les mains inertes et l'âme perdue dans un rêve. Elle songeait:

«Il m'aime; il est si bon, si franc, si honnête! Les soirées d'hiver sont bien tristes quand on est seule. Il s'est montré si délicat avec moi! Certainement, il a beaucoup de cœur.

J'en vois la preuve, rien qu'à la manière dont il m'a fait sa demande.» Alors ses yeux rencontrèrent la gravure de la première communion. Je, soussigné, certifie que Pierre-Agénor Trévière…

Elle baissa les yeux. Puis elle songea de nouveau.

«Une femme ne sait pas bien élever toute seule un garçon… André aura un père.»«Maman!» Cet appel, sorti du petit lit, la fit tressaillir.

«Que me veux-tu, André? Tu es bien agité ce soir!

– Maman, je pensais à une chose.

– Au lieu de dormir… À laquelle?

– Papa est mort, n'est-ce pas?

– Oui, mon pauvre enfant.

– Alors il ne reviendra plus!

– Hélas! non, mon chéri.

– Eh bien, maman, c'est bien heureux tout de même.

Parce que Je t'aime tant, vois-tu, maman! tant, que jet aime pour tous les deux. Et, s'il revenait, je ne pourrais plus l'aimer du tout.» Elle le considéra quelque temps avec inquiétude et retomba dans le fauteuil, où elle resta immobile, la tête dans les mains.

Il y avait déjà plus de deux heures que l'enfant dormait aux bruits de la tempête quand, s'étant approchée de lui elle soupira tout bas: '«Dors! il ne reviendra pas.» Et Pourtant deux mois plus tard il revint. Il revint sous la grosse figure hâlée de M. Lassalle, le nouveau maître de la maison. Et le petit André recommença de jaunir, de maigrir et de tomber en langueur.

Maintenant il est guéri. Et il aime sa bonne comme autrefois il aimait sa mère. Il ne sait pas que sa bonne a un amoureux.

II PIERRE

«Quel âge a votre petit garçon, madame?» À cette question, elle regarde son petit garçon comme on regarde la pendule pour voir l'heure. Et elle répond:

«Pierre! il a vingt-neuf mois, madame.» Il valait autant dire deux ans et demi; mais, comme le petit Pierre a beaucoup d'esprit et fait mille choses étonnantes pour son âge, on craint de rendre les autres mères un peu moins jalouses, si on le leur présente un peu plus âgé qu'il n'est, et par conséquent un peu moins prodigieux.

C'est pour une autre raison encore qu'elle ne veut pas qu'on lui vieillisse son Pierre d'un seul jour. Ah! c'est qu'elle veut le garder tout petit, tout bébé. Elle sent bien que, plus il grandira, moins il sera son enfant. Elle sent qu'il lui échappe peu à peu. Hélas! ils ne cherchent qu'à se détacher, ces petits ingrats. La première séparation date de leur naissance. Alors, on a beau être leur mère, on n'a plus qu'un sein et deux bras pour les retenir.

Tout cela fait que Pierre a tout juste vingt-neuf mois.

C'est, d'ailleurs, un bel âge et qui m'inspire, pour ma part, beaucoup de considération; j'ai plusieurs amis de cet âge dont les procédés sont excellents à mon égard. Mais aucun de ces jeunes amis n'a autant d'imagination que Pierre.

Pierre assemble les idées avec une extrême facilité et un peu de caprice.