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L'enfant n'était que délicat. Mais il lui fallait la pleine campagne.

Mme Trévière fit ses malles et partit pour Brolles, où les parents de son mari étaient cultivateurs. Car vous savez que Trévière était fils de paysans et que, jusqu'à douze ans, il dénicha des merles en revenant de l'école.

On s'embrassa sous les jambons pendus aux solives de la salle enfumée. La mère Trévière, accroupie devant les tisons de la grande cheminée et ne lâchant pas la queue de la poêle, regardait d'un œil méfiant la Parisienne et sa bonne. Mais elle trouva le petit «bien mignon et tout le portrait de son père». Quant au bonhomme Trévière, sec et roide dans sa veste de gros drap, il était bien content de voir son petit-fils André.

On n'avait pas fini de souper, et déjà André donnait de gros baisers à son grand-papa, dont le menton piquait, piquait. Puis, monté tout droit sur les genoux du bonhomme, il lui enfonçait le poing dans la joue, en lui demandant pourquoi c'était creux.

«Parce que je n'ai plus de dents.

– Et pourquoi tu n'as plus de dents?

– Parce qu'elles étaient devenues noires et que je les ai semées dans le sillon pour voir s'il n'en pousserait point des blanches.» Et André riait de tout son cœur. Les joues de son grand-père, c'était bien autre chose que les joues de sa maman!

On avait réservé à la Parisienne et au petit la chambre d'honneur, où était le lit nuptial, dans lequel les bonnes gens n'avaient couché qu'une fois, et l'armoire de chêne, bourrée de linge, fermée à clef. La couchette qui avait toutefois servi à l'enfant de la maison avait été tirée du grenier pour le petit-fils. On l'avait dressée dans le coin le plus abrité, sous une tablette chargée de pots de confitures.

Mme Trévière, en femme ordonnée, fit, pour se reconnaître, trente-six petits tours sur le plancher de sapin qui craquait. Mais elle eut la déception de ne découvrir aucun porte-manteau.

Le plafond à poutres saillantes et les murs étaient blanchis à la chaux. Mme Trévière remarqua peu les images coloriées qui égayaient cette belle chambre; pourtant, elle vit au-dessus du lit nuptial une gravure représentant des enfants en veste noire et en pantalon blanc, un brassard au coude, un cierge à la main, défilant dans une église gothique. Elle lut au-dessous cette formule gravée, avec les noms, date et signature remplis à la main:

«Je, soussigné, certifie que Pierre-Agénor Trévière a fait sa première communion, dans l'église paroissiale de Brolles, le 15 mai 1849.

«Gontard, curé.»

La veuve lut et poussa un soupir, un de ces soupirs de femme raisonnable et forte qui sont, avec les larmes d'amour, les plus beaux trésors de la terre. Ceux qui sont aimés ne devraient pas mourir.

Quand elle eut déshabillé André:

«Allons, lui dit-elle, fais ta prière.» Il murmura:

«Maman, je t'aime.» Et, sur cette dévotion, laissant tomber sa tête et fermant les, deux poings, il s'endormit en paix.

À son réveil, il découvrit la basse-cour. Surpris, émerveillé, enchanté, il vit les poules, la vache, le vieux cheval borgne et le cochon. Le cochon surtout le ravit. Et le charme dura des jours et des jours. Quand c'était l'heure du repas, on parvenait à grand-peine à le ramener, couvert de paille et de fumier, avec des toiles d'araignée dans les cheveux et du purin dans les bottines, les mains noires, les genoux écorchés, les joues roses, riant, heureux.

«Ne m'approche pas, petit monstre!» lui criait sa mère.

Et c'étaient des embrassements sans fin.

Assis devant la table, sur le bord de la bancelle, et mordant un énorme pilon de volaille, il avait l'air d'un petit Hercule dévorant sa massue.

Il mangeait sans s'en apercevoir, oubliait de boire et babillait.

«Maman, qu'est-ce que c'est qu'un poulet vert?

– Cela ne peut être qu'un perroquet», répondit trop légèrement la Parisienne.

C'est ainsi qu'André fut induit à désigner par le nom de perroquets les canards de son grand-père, ce qui rendait ses récits prodigieusement obscurs.

Mais il ne s'en laissait pas facilement imposer.

«Maman, sais-tu ce que grand-père m'a dit? Il m'a dit que c'étaient les poules qui faisaient les œufs. Mais je sais bien que non. Je sais bien que c'est le fruitier de l'avenue de Neuilly qui fait les œufs; alors on les porte aux poules pour qu'elles les réchauffent. Car, comment veux-tu, maman, que les poules fassent des œufs, puisqu'elles n'ont pas de mains?» Et André continua à explorer la nature. En se promenant dans la forêt avec sa maman, il éprouvait toutes les émotions de Robinson Crusoé. Un jour, tandis que Mme Trévière, assise sous un chêne au bord de la route, travaillait à sa guipure, il trouva une taupe. C'est très grand, une taupe. Il est vrai que celle-là était morte. Elle avait même du sang au museau. Sa maman lui cria:

«André! veux-tu bien laisser ces horreurs… Tiens, regarde vite là, dans l'arbre.» Et il aperçut un écureuil qui sautait dans les branches.

Sa maman avait raison: un écureuil vivant est plus joli qu'une taupe morte.

Mais il était parti trop vite, et André demandait si les écureuils ont des ailes, quand un passant, dont la face mâle et franche était encadrée d'une belle barbe brune, tira son chapeau de paille et s'arrêta devant Mme Trévière.

«Bonjour, madame; vous vous portez bien? Comme on se retrouve! voilà votre petit bonhomme? Il est très gentil.

On m'avait bien dit que vous logiez ici chez le père Trévière… Excusez-moi. Je le connais depuis si longtemps!

– Nous sommes venus ici parce que mon petit garçon avait besoin du grand air. Mais vous, monsieur, je me rappelle que vous habitiez déjà dans ces parages quand j'avais mon mari.» Comme la voix de la jeune veuve s'éteignait, il reprit d'un ton grave:

«Je sais, madame.» Et, très naturellement, il inclina la tête comme pour saluer au passage le souvenir d'un grand deuil.

Puis, après un moment de silence:

«C'était le bon temps! Que de braves gens il y avait alors, qui sont partis depuis! Mes pauvres paysagistes!

Mon pauvre Millet! C'est égal. Je suis resté l'ami des peintres, comme ils m'appellent tous là-bas, à Barbizon. Je les connais tous. Ce sont de bons enfants.

– Et votre fabrique?

– Ma fabrique? elle va toute seule.» André vint se jeter entre eux.

«Maman! maman! il y a sous une grosse pierre des bêtes au Bon Dieu. Il y en a au moins un million, vrai!

– Tais-toi et va jouer», lui répondit sèchement sa mère.

L'ami des peintres reprit de sa belle voix chaude: