Изменить стиль страницы

– Mon homme d’affaires, dit-il, n’est qu’un nigaud. Il n’osait pas m’écrire qu’un coquin, de qui dépend la conclusion de la vente, exige un pot-de-vin de cinquante mille francs; il les aura, pardieu!

Et d’un ton de galanterie affectée qu’il prenait toujours en s’adressant à sa femme:

– Je n’ai plus qu’à signer, ma chère amie, ajouta-t-il; mais je ne le ferai que si l’hôtel vous convient. Je vous demanderais, si vous n’êtes pas trop lasse, de venir le visiter. Le temps presse, nous avons des concurrents…

Cette visite, assurément, était de pure forme. Mais Mme Blanche eût été bien difficile si elle n’eût pas été satisfaite de cet hôtel de Sairmeuse, qui est un des plus magnifiques de Paris, dont l’entrée est rue de Grenelle et dont les jardins ombragés d’arbres séculaires s’étendent jusqu’à la rue de Varennes.

Cette belle demeure malheureusement avait été fort négligée depuis plusieurs années.

– Il faudra six mois pour tout restaurer, disait Martial d’un ton chagrin, un an peut-être… Il est vrai qu’on peut, avant trois mois, avoir ici un appartement provisoire très habitable.

– On y serait chez soi, du moins, approuva Mme Blanche, devinant le désir de son mari.

– Ah!… c’est aussi votre avis!… En ce cas, comptez sur moi pour presser les ouvriers.

En dépit, ou plutôt en raison de son immense fortune, le marquis de Sairmeuse savait qu’on n’est guère bien servi, vite et selon ses désirs que par soi-même. Pressé, il résolut de s’occuper de tout. Il s’entendait avec les architectes, il voyait les entrepreneurs, il courait les fabricants.

Sitôt levé, il décampait, déjeunait dehors, le plus souvent, il ne rentrait que pour dîner.

Réduite par le mauvais temps à passer toutes ses journées dans son appartement de l’hôtel Meurice, Mme Blanche ne se trouvait pourtant pas à plaindre.

Le voyage, le mouvement, la vue d’objets inaccoutumés, le bruit de Paris sous ses fenêtres, un entourage étranger, toutes sortes de préoccupations enfin, l’arrachaient pour ainsi dire à soi-même. Les épouvantements de ses nuits faisaient trêve, une sorte de brume enveloppait l’horrible scène de la Borderie, les clameurs de sa conscience devenaient murmure…

Même, elle en arrivait à haïr moins tante Médie, qui, à la condition près de faire deux toilettes par jour, reprenait ses vieilles habitudes de servilité et lui tenait compagnie…

Le passé s’effaçait, croyait-elle, et elle s’abandonnait aux espérances d’une vie toute nouvelle et meilleure, quand un jour un des domestiques de l’hôtel parut, et dit:

– Il y a en bas un homme qui demande à parler à madame la marquise.

LII

À demi-couchée sur un canapé, le coude sur les coussins, le front dans la main, Mme Blanche écoutait la lecture d’un livre nouveau que lui faisait tante Médie.

L’entrée du domestique ne lui fit seulement pas lever la tête.

– Un homme? interrogea-t-elle, quel homme?

Elle n’attendait personne. Dans sa pensée, celui qui venait ainsi ne pouvait être qu’un des ouvriers employés par Martial.

– Je ne puis renseigner madame la marquise, répondit le domestique. Cet individu est tout jeune, il est vêtu comme les paysans, je supposais qu’il cherchait une place…

– C’est sans doute M. le marquis qu’il veut voir?

– Madame m’excusera, c’est bien à Madame qu’il veut parler, il me l’a dit.

– Alors, sachez comme il s’appelle et ce qu’il désire.

Et se retournant vers la parente pauvre:

– Continue, tante, dit Mme Blanche, on nous a interrompues au passage le plus intéressant.

Mais tante Médie n’avait pas eu le temps de finir la page, que déjà le domestique était de retour.

– L’homme, dit-il, prétend que madame la marquise comprendra ce dont il s’agit dès qu’elle saura son nom.

– Et ce nom?

– Chupin.

Ce fut comme un obus éclatant tout à coup dans le salon de l’hôtel Meurice.

Tante Médie eut un gémissement étouffé; elle laissa son livre et s’affaissa sur sa chaise, tout inerte, les bras pendants.

Mme Blanche, elle, se dressa tout d’une pièce, plus pâle que son peignoir de cachemire blanc, l’œil trouble, les lèvres tremblantes.

– Chupin! répétait-elle, comme si elle eût espéré qu’on allait lui dire qu’elle avait mal entendu, Chupin!…

Puis, avec une certaine violence:

– Répondez à cet homme que je ne veux ni le voir ni l’entendre. Il est inutile qu’il se représente. Jamais je ne le recevrai!…

Mais, dans le temps que mit le domestique à s’incliner respectueusement et à gagner la porte à reculons, la jeune femme se ravisa.

– Au fait, non, prononça-t-elle, j’ai réfléchi, faites monter cet homme.

– Oui, approuva tante Médie d’une voix défaillante, qu’il vienne, cela vaut mieux.

Le domestique sortit, et les deux femmes restèrent en face l’une de l’autre, immobiles, consternées, le cœur serré par les plus effroyables appréhensions, la gorge serrée au point de ne pouvoir qu’à grand peine articuler quelques paroles.

– C’est un des fils de ce vieux scélérat de Chupin, dit enfin Mme Blanche.

– En effet, je le crois, mais que veut-il?

– Quelque secours, probablement.

La parente pauvre leva les bras au ciel.

– Fasse Dieu qu’il ignore tes rendez-vous avec son père, Blanche, prononça-t-elle. Doux Jésus!… pourvu qu’il ne sache rien!

– Eh! que veux-tu qu’il sache. Ne vas-tu pas te désespérer à l’avance! Dans dix minutes, nous serons fixées. D’ici là, tante, du calme. Et même, crois-moi, tourne-nous le dos, regarde dans la rue pour qu’on ne voie pas ta figure… Mais pourquoi ce coquin tarde-t-il tant à paraître…

Mme Blanche ne se trompait pas.

C’était bien l’aîné des Chupin qui était là, celui à qui le vieux maraudeur mourant avait confié son secret.

Depuis son arrivée à Paris, il battait le pavé du matin au soir, demandant partout et à tous l’adresse du marquis de Sairmeuse. On venait de lui indiquer l’hôtel Meurice, et il accourait.

Ce n’est toutefois qu’après s’être bien assuré de l’absence de Martial qu’il avait demandé Mme la marquise.

Il attendait le résultat de sa démarche sous le porche, debout, les mains dans les poches de sa veste, sifflotant, lorsque le domestique revint en lui disant: