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– Le père saura bien le retrouver, songeait-elle.

Ce que valaient les menaces de sa victime, elle devait l’éprouver le soir même…

Brisée de fatigue, elle s’était retirée dans sa chambre de fort bonne heure, et, au lieu de lire, comme elle en avait l’habitude, elle éteignit sa bougie dès qu’elle fut couchée, en se disant:

– Il faut dormir.

Mais c’en était fait du repos de ses nuits…

Son crime se représentait à sa pensée, et elle en jugeait l’horreur et l’atrocité… Elle se percevait double, pour ainsi dire; elle se sentait dans son lit, à Courtomieu, et cependant il lui semblait être là-bas, dans la maison de Chanlouineau, versant le poison, puis ensuite épiant ses effets, cachée dans le cabinet de toilette…

Elle luttait, elle dépensait toute la puissance de sa volonté pour écarter ces souvenirs odieux, quand elle crut entendre grincer une clef dans sa serrure. Brusquement elle se dressa sur ses oreillers.

Alors, aux lueurs pâles de sa veilleuse, elle crut voir sa porte s’ouvrir lentement, sans bruit… Marie-Anne entrait… Elle s’avançait, elle glissait plutôt comme une ombre. Arrivée à un fauteuil, en face du lit, elle s’assit… De grosses larmes roulaient le long de ses joues, et elle regardait d’un air triste et menaçant à la fois…

L’empoisonneuse, sous ses couvertures, était baignée d’une sueur glacée.

Pour elle, ce n’était pas une apparition vaine… c’était une effroyable réalité.

Mais elle n’était pas d’une nature à subir sans résistance une telle impression. Elle secoua la stupeur qui l’envahissait et elle se mit à se raisonner, tout haut, comme si le son de sa voix eût dû la rassurer.

– Je rêve! disait-elle… Est-ce que les morts reviennent!… Suis-je enfant de me laisser émouvoir ainsi par les fantômes ridicules de mon imagination!…

Elle disait cela, mais le fantôme ne se dissipait pas.

Elle fermait les yeux, mais elle le voyait à travers ses paupières… à travers ses draps, qu’elle relevait sur sa tête, elle le voyait encore…

Au petit jour seulement, Mme Blanche reposa.

Et ce fut ainsi le lendemain, et le surlendemain encore, et toujours, et toujours, et l’épouvante de chaque nuit s’augmentait des terreurs des nuits précédentes.

Le jour, aux clartés du soleil, elle retrouvait sa bravoure et les forfanteries du scepticisme. Alors elle se raillait elle-même.

– Avoir peur d’une chose qui n’existe pas, se disait-elle, est-ce stupide!… Ce soir je saurai bien triompher de mon absurde faiblesse…

Puis, le soir venu, toutes ces belles résolutions s’envolaient; la fièvre la reprenait, quand arrivaient les ténèbres avec leur cortège de spectres.

Il est vrai que toutes les tortures de ses nuits, Mme Blanche les attribuait aux inquiétudes de la journée.

Les gens de justice étaient encore à Sairmeuse, et elle tremblait. Que fallait-il pour que de Chupin on remontât jusqu’à elle? Un rien, une circonstance insignifiante. Qu’un paysan l’eût rencontrée avec Chupin, lors de leur rendez-vous, et les soupçons étaient éveillés et le juge d’instruction arrivait à Courtomieu.

– L’enquête terminée, pensait-elle, j’oublierai.

L’enquête finit, et elle n’oublia pas.

Darvin l’a dit: «C’est quand l’impunité leur est assurée que les grands coupables connaissent véritablement le remords.»

Mme Blanche devait justifier le dicton plus profond observateur du siècle.

Et cependant l’atroce supplice qu’elle endurait ne détournait pas sa volonté du but qu’elle s’était fixé le jour de la visite de Martial.

Elle joua pour lui une si merveilleuse comédie, que touché, presque repentant, il revint cinq ou six fois, et enfin un soir demanda à ne pas rentrer à Montaignac.

Mais ni la joie de ce triomphe, ni les premiers étonnements du mariage, n’avaient rendu la paix à Mme Blanche.

Entre ses lèvres et les lèvres de Martial, se dressait encore, implacable épouvantement, le visage convulsé de Marie-Anne.

Il est vrai de dire que ce retour de son mari lui apportait une cruelle déception. Elle reconnut que cet homme, dont le cœur avait été brisé, n’offrait aucune prise, et qu’elle n’aurait jamais sur lui la moindre influence.

Et pour comble, il avait ajouté à ses tortures déjà intolérables, une angoisse plus poignante encore que toutes les autres.

Parlant un soir de la mort de Marie-Anne, il s’oublia et avoua hautement ses serments de vengeance. Il regrettait que Chupin fût mort, car il eût éprouvé, disait-il, une indicible jouissance à tenailler, à faire mourir lentement au milieu d’affreuses souffrances, le misérable empoisonneur.

Il s’exprimait avec une violence inouïe, d’une voix où vibrait encore sa puissante passion…

Et Mme Blanche se demandait quel serait son sort, si jamais son mari venait à découvrir qu’elle était coupable… et il pouvait le découvrir…

C’est vers cette époque qu’elle commença à regretter de n’avoir pas tenu le serment fait à sa victime, et qu’elle résolut de faire rechercher l’enfant de Marie-Anne.

Mais, pour cela, il fallait à toute force qu’elle habitât une grande ville, Paris, par exemple, où, avec de l’argent, elle trouverait des agents habiles et discrets…

Il ne s’agissait que de décider Martial.

Le duc de Sairmeuse aidant, ce ne fût pas difficile, et, un matin, Mme Blanche rayonnante, put dire à tante Médie:

– Tante, nous partons d’aujourd’hui en huit.

LI

Dévorée d’angoisses, obsédée de soucis poignants, Mme Blanche n’avait pas remarqué que tante Médie n’était plus la même.

Le changement, à vrai dire, était peu sensible, il ne frappait pas les domestiques, mais il n’en était pas moins positif et réel, et se trahissait par quantité de petites circonstances inaperçues.

Par exemple, si la parente pauvre gardait encore son air humblement résigné, elle perdait petit à petit ses mouvements craintifs de bête maltraitée; elle ne tressaillait plus quand on lui adressait la parole, et il y avait par instants des velléités d’indépendance dans son accent.

Depuis la fameuse semaine où on l’avait servie dans sa chambre, elle hasardait toutes sortes de démarches insolites.

S’il venait des visites, au lieu de se tenir modestement à l’écart, elle avançait sa chaise et même se mêlait à la conversation. À table, elle laissait paraître ses dégoûts ou ses préférences. À deux ou trois reprises elle eut une opinion qui n’était pas celle de sa nièce, et il lui arriva de discuter des ordres.