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Une fois, Mme Blanche qui sortait, l’ayant priée de l’accompagner, elle se déclara enrhumée et resta au château.

Et le dimanche suivant, Mme Blanche ne voulant pas aller aux vêpres, tante Médie déclara qu’elle irait, et comme il pleuvait, elle demanda qu’on lui attelât une voiture, ce qui fut fait.

Tout cela n’était rien en apparence; en réalité, c’était monstrueux, inimaginable.

Il était clair que la parente pauvre s’exerçait timidement à l’audace…

Jamais devant elle il n’avait été question de ce départ que sa nièce lui annonçait si gaiement; elle en parut toute saisie…

– Ah!… vous partez, répétait-elle, vous quittez Courtomieu…

– Et sans regrets…

– Pour où aller, mon Dieu!…

– À Paris… Nous nous y fixons, c’est décidé. Là est la place de mon mari. Son nom, sa fortune, son intelligence, la faveur du roi lui assurent une grande situation. Il va racheter l’hôtel de Sairmeuse et le meubler magnifiquement. Nous aurons un train princier…

Tous les tourments de l’envie se lisaient sur le visage de la parente pauvre.

– Et moi?… interrogea-t-elle d’un ton plaintif.

– Toi, tante, tu resteras ici; tu y seras dame et maîtresse. Ne faut-il pas une personne de confiance qui veille sur mon pauvre père!… Hein! te voilà heureuse et contente, j’espère.

Mais non; tante Médie ne paraissait point satisfaite.

– Jamais, pleurnicha-t-elle, jamais je n’aurai le courage de rester seule dans ce grand château.

– Eh! sotte, tu auras près de toi des domestiques, le concierge, les jardiniers…

– N’importe!… j’ai peur des fous… Quand le marquis se met à hurler le soir, il me semble que je deviens folle moi-même.

Mme Blanche haussait les épaules.

– Qu’espérais-tu donc? interrogea-t-elle, de l’air le plus ironique.

– Je pensais… je me disais… que tu m’emmènerais avec vous…

– À Paris! tu perds la tête, je crois. Qu’y ferais-tu? bon Dieu!

– Blanche, je t’en conjure, je t’en supplie.

– Impossible, tante, impossible!

Tante Médie semblait désespérée:

– Et si je te disais, insista-t-elle, que je ne puis rester ici, que je n’ose, que c’est plus fort que moi, que j’y mourrai!…

Le rouge de l’impatience commençait à empourprer le front de Mme Blanche.

– Ah! tu m’ennuies, à la fin, dit-elle rudement.

Et avec un geste qui ajoutait à la cruauté de sa phrase:

– Si Courtomieu te déplaît tant que cela, rien ne t’empêche de chercher un séjour plus à ton gré; tu es libre et majeure…

La parente pauvre était devenue excessivement pâle, et elle serrait à les faire saigner ses lèvres minces sur ses dents jaunies.

– C’est-à-dire, fit-elle, que tu me laisses le choix entre mourir de frayeur à Courtomieu, ou mourir de misère à l’hôpital. Merci, ma nièce, merci, je reconnais ton cœur; je n’attendais pas moins de toi, merci!

Elle relevait la tête et une méchanceté diabolique étincelait dans ses yeux.

Et c’est d’une voix qui avait quelque chose du sifflement de la vipère se redressant pour mordre, qu’elle poursuivit:

– Eh bien! cela me décide. Je suppliais, tu m’as brutalement repoussée, maintenant je commande et je dis: je veux! Oui, j’entends et je prétends aller avec vous à Paris… et j’irai. Ah! ah!… cela te surprend d’entendre parler ainsi cette pauvre bonne bête de tante Médie. C’est comme cela. Il y a si longtemps que je souffre, que je me révolte à la fin. Car j’ai souffert la passion chez vous. C’est vrai, vous m’avez recueillie, vous m’avez nourrie et logée, mais vous m’avez pris en échange ma vie entière, heure par heure. Quelle servante jamais endurerait tout ce que j’ai supporté… As-tu jamais, Blanche, traité une de tes femmes comme tu me traitais, moi qui porte votre nom! Et je n’avais pas de gages, moi; bien au contraire je vous devais de la reconnaissance, puisque je vivais à vos crochets. Ah! le crime d’être pauvre, vous me l’avez fait payer cher. M’avez-vous assez ravalée, assez abaissée, assez foulée aux pieds!… À une livre de pain par humiliation, vous êtes en reste avec moi!…

Elle s’arrêta.

Tout le fiel qui depuis des années, goutte à goutte, s’amassait en elle, lui remontait à la gorge et l’étouffait.

Mais ce fut l’affaire d’une seconde, et d’un ton d’amère ironie:

– Tu me demandes ce que je ferai à Paris, continua-t-elle. J’y prendrai du bon temps, donc! Qu’y feras-tu toi-même? Tu iras à la cour, n’est-ce pas, au bal, au spectacle. Eh bien! je t’y suivrai. Je serai de toutes tes fêtes. J’aurai enfin de belles toilettes, moi qui depuis que je me connais ne me suis jamais vue que de tristes robes de laine noire. Avez-vous jamais songé à me donner la joie d’une toilette? Oui, deux fois par an on m’achetait une robe de soie noire, en me recommandant de bien la ménager… Mais ce n’était pas pour moi que vous vous décidiez à cette dépense, c’était pour vous, et pour que la pauvresse fît honneur à votre générosité. Vous me mettiez ça sur le dos, comme vous cousiez du galon d’or aux habits de vos laquais, par vanité. Et moi, je me soumettais à tout, je me taisais petite, humble, tremblante, souffletée sur une joue, je tendais l’autre… il faut manger. Et toi Blanche, combien de fois, pour m’inspirer ta volonté m’as-tu pas dit: «Tu feras ceci ou cela, si tu tiens rester à Courtomieu.» Et j’obéissais, force m’était bien d’obéir, puisque je ne savais où aller… Ah! vous avez abusé de toutes les façons; mais mon tour est venu, et j’abuse…

Mme Blanche était à ce point stupéfiée qu’il lui eût été impossible d’articuler seulement une syllabe pour interrompre tante Médie.

À la fin, cependant, d’une voix à peine intelligible, elle balbutia:

– Je ne te comprends pas, tante, je ne te comprends pas.

Comme sa nièce, l’instant d’avant, la parente pauvre haussa les épaules.

– En ce cas, prononça-t-elle lentement, je te dirai que du moment où tu as fait de moi, bien malgré moi, ta complice, tout, entre nous, doit être commun. Je suis de moitié pour le danger, je veux être de moitié pour le plaisir. Si tout se découvrait!… Penses-tu à cela quelquefois? Oui, n’est-ce pas, et tu cherches à t’étourdir. Eh bien! je veux m’étourdir aussi… J’irai à Paris avec vous…

Faisant appel à toute son énergie, Mme Blanche avait un peu repris possession de soi.

– Et si je répondais non? fit-elle froidement.

– Tu ne répondras pas non.

– Et pourquoi, s’il te plaît?