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– On consent à vous recevoir, suivez-moi.

Chupin suivit; mais le domestique, extraordinairement intrigué et tout brûlant de curiosité, ne se hâtait pas, espérant tirer quelque éclaircissement de ce campagnard.

– Ce n’est pas pour vous flatter, mon garçon, dit-il, mais votre nom a produit un fier effet sur Mme la marquise!

Le prudent paysan dissimula sous un sourire niais la joie dont l’inonda cette nouvelle.

– Comme ça, poursuivit le domestique, elle vous connaît?

– Un petit peu.

– Vous êtes pays?

– Je suis son frère de lait.

Le domestique n’en crut pas un mot; il soupçonnait bien autre chose, vraiment! Cependant, comme il était arrivé à la porte de l’appartement du marquis de Sairmeuse, il ouvrit et poussa Chupin dans le salon.

Le mauvais gars avait d’avance préparé une petite histoire, mais il fut si bien ébloui de la magnificence du salon, qu’il resta court et béant. Ce qui l’interloquait surtout, c’était une grande glace, en face de la porte, où il se voyait en pied, et les belles fleurs du tapis qu’il craignait d’écraser sous ses gros souliers.

Après un moment, voyant qu’il demeurait stupide, un sourire idiot sur les lèvres, tortillant son chapeau de feutre, Mme Blanche se décida à rompre le silence.

– Vous désirez?… demanda-t-elle.

Le gars Chupin était intimidé, mais il n’avait point peur: ce n’est pas du tout la même chose. Il garda son masque de gaucherie, mais recouvrant son aplomb, il se mit à débiter avec, un accent traînard toutes les formules de respect qu’il savait.

– Au fait, insista la jeune femme impatientée.

Amener au fait un paysan n’est pas facile, et ce n’est qu’après beaucoup de vaines paroles encore, que Chupin expliqua longuement qu’il avait été obligé de quitter le pays à cause des ennemis qu’il y avait, qu’on n’avait pas retrouvé le trésor de son père, qu’il était, en conséquence, sans ressources…

– Oh! assez! interrompit Mme Blanche.

Puis, d’un ton qui n’était rien moins que bienveillant:

– Je ne vois pas, continua-t-elle, à quel titre vous vous adressez à moi. Vous aviez, comme toute votre famille, une réputation détestable à Sairmeuse. Enfin, n’importe, vous êtes de mon pays, je consens à vous accorder un secours, à la condition que vous n’y reviendrez pas.

C’est d’un air moitié humble et moitié goguenard que Chupin écouta cette semonce. À la fin, il releva la tête:

– Je ne demande pas l’aumône, articula-t-il fièrement.

– Que demandez-vous donc?

– Mon dû.

Mme Blanche reçut un coup dans le cœur, et cependant, elle eut le courage de toiser Chupin d’un air dédaigneux, en disant:

– Ah! je vous dois quelque chose!…

– Pas à moi personnellement, madame la marquise, mais à mon défunt père. Au service de qui donc a-t-il péri? Pauvre vieux! Il vous aimait bien, allez… tout comme moi, du reste. Sa dernière parole, avant de mourir, a été pour vous. «Vois-tu, gars, qu’il me dit, il vient de se passer des choses terribles à la Borderie. La jeune dame de M. le marquis en voulait à Marie-Anne, et elle lui a fait passer le goût du pain. Sans moi, elle était perdue. Quand je serai crevé, laisse-moi tout mettre sur le dos, la terre n’en sera pas plus froide et ça innocentera la jeune dame… Et après, elle te récompensera bien, et tant que tu te tairas tu ne manqueras de rien…»

Si grande que fût son impudence, il s’arrêta, stupéfait de la physionomie de Mme Blanche.

En présence de cette dissimulation supérieure, il douta presque du récit de son père.

C’est que véritablement la jeune femme fut héroïque en ce moment. Elle avait compris que céder une fois c’était se mettre à la discrétion de ce misérable, comme elle était déjà à la merci de tante Médie. Et avec une merveilleuse énergie, elle payait d’audace.

– En d’autres termes, fit-elle, vous m’accusez du meurtre de Mlle Lacheneur, et vous me menacez de me dénoncer si je ne vous accorde pas ce que vous allez exiger?

Le gars Chupin inclina affirmativement la tête.

– Eh bien!… reprit Mme Blanche, puisqu’il en est ainsi, sortez!…

Il est sûr qu’elle allait, à force d’audace, gagner cette partie périlleuse, dont le repos de sa vie était l’enjeu; Chupin était absolument déconcerté, lorsque tante Médie qui écoutait, debout devant la fenêtre, se retourna, tout effarée, en criant:

– Blanche!… ton mari… Martial!… Il entre… il monte.

La partie fut perdue… La jeune femme vit son mari arrivant, trouvant Chupin, le faisant parler, découvrant tout.

Sa tête s’égara, elle s’abandonna, elle se livra.

Brusquement elle mit sa bourse dans la main du misérable et l’entraîna, par une porte intérieure, jusqu’à l’escalier de service.

– Prenez toujours cela, disait-elle d’une voix sourde, ce n’est qu’un à-compte… Nous nous reverrons. Et pas un mot! Pas un mot à mon mari, surtout!…

Elle avait été bien inspirée de ne pas perdre une minute; lorsqu’elle rentra, elle trouva Martial dans le salon.

Il était assis, la tête inclinée sur la poitrine, et tenait à la main une lettre déployée.

Au bruit que fit sa femme, il se dressa, et elle put voir rouler dans ses yeux une larme furtive.

– Quel malheur nous frappe encore!… balbutia-t-elle d’une voix que l’excès de son émotion de tout à l’heure rendait à peine intelligible.

Martial ne remarqua pas ce mot «encore,» qui l’eût au moins étonné.

– Mon père est mort, Blanche, prononça-t-il.

– Le duc de Sairmeuse!… Mon Dieu!… Comment cela?…

– D’une chute de cheval, dans les bois de Courtomieu, près des roches de Sanguille…

– Ah!… c’est là que mon pauvre père a failli être assassiné.

– Oui… c’est au même endroit, en effet.

Un moment de silence suivit.

Martial n’aimait que très médiocrement son père, et il n’en était pas aimé, il le savait; et il s’étonnait de l’amère tristesse qui l’envahissait en songeant qu’il n’était plus.

Puis, il y avait autre chose encore.

– D’après cette lettre, que m’apporte un exprès, poursuivit-il, tout le monde, à Sairmeuse, croit à un accident. Mais moi!… moi!…

– Eh bien!…

– Moi, je crois à un crime.