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Il se le tint pour dit, et se confondit en excuses.

Mais tout en écoutant et en notant les indispensables détails que lui donnait la jeune femme, il pensait:

– Quel œil! quel ton!… De la part d’une bourgeoise du quartier Saint-Denis, c’est louche…

Ses soupçons furent confirmés par la somme de 20,000 francs que lui promit imprudemment Mme Blanche en cas de succès et par la consignation de 500 francs d’arrhes.

– Et où aurai-je l’honneur de vous adresser mes communications, madame?… demanda-t-il.

– Nulle part… répondit la jeune femme, je passerai ici de temps à autre…

Lorsqu’il reconduisit ses clientes, l’espion ne doutait plus…

Dès qu’il les jugea au bas de l’escalier, il s’élança dehors en se disant:

– Pour le coup, je crois que la chance me sourit.

Suivre ces deux clientes que lui envoyait sa bonne étoile, s’informer, découvrir leur nom et leur qualité n’était qu’un jeu pour l’ancien agent de Fouché.

Il avait la partie d’autant plus belle, qu’elles étaient à mille lieues de soupçonner ses desseins.

La bassesse du personnage et sa générosité, à elle, rassuraient absolument Mme Blanche. Il lui avait d’ailleurs si fort vanté ses prodigieux moyens d’investigations, qu’elle se tenait pour certaine du succès.

Tout en regagnant l’hôtel Meurice, elle s’applaudissait de sa démarche.

– Avant un mois, disait-elle à tante Médie, nous aurons cet enfant; je le ferai élever secrètement et il sera notre sauvegarde…

La semaine suivante, seulement, elle reconnut l’énormité de son imprudence.

Etant retournée chez Chefteux, il l’accueillit avec de telles marques de respect, qu’elle vit bien qu’elle était connue…

Consternée, elle essaya de donner le change, mais l’espion l’interrompit:

– Avant tout, fit-il avec un bon sourire, je constate l’identité des personnes qui m’honorent de leur confiance. C’est comme un échantillon de mon savoir-faire, que je donne… gratis. Mais que madame la duchesse soit sans crainte: je suis discret par caractère et par profession. Nous avons d’ailleurs quantité de dames de la plus haute volée dans la position de madame la duchesse. Un petit accident avant le mariage est si vite arrivé!…

Ainsi Chefteux était persuadé que c’était son enfant à elle, que la jeune duchesse de Sairmeuse faisait rechercher.

Elle n’essaya pas de le dissuader. Mieux valait qu’il crût cela que s’il eût soupçonné la vérité.

Mme Blanche rentra dans un état à faire pitié.

Elle se sentait comme prise sous un inextricable filet, et à chaque mouvement, loin de se dégager, elle resserrait les mailles.

Le secret de sa vie et de son honneur, trois personnes le possédaient. Comment dans de telles conditions espérer garder un secret, cette chose subtile qui, le temps seulement de passer de la bouche à une oreille amie, s’évapore et se répand!

Elle se voyait trois maîtres qui d’un geste, d’un mot, d’un regard, pouvaient plier sa volonté comme une baguette de saule.

Et elle n’était plus libre comme autrefois.

Martial était revenu. Le temps avait marché. La somptueuse installation de l’hôtel de Sairmeuse était terminée…

Désormais, la jeune duchesse était condamnée à vivre sous les yeux de cinquante domestiques, de quarante ennemis au moins, par conséquent intéressés à la surveiller, à épier ses démarches, à deviner jusqu’à ses plus intimes pensées.

Il est vrai que tante Médie lui était plus utile que nuisible. Elle lui achetait une robe toutes les fois qu’elle s’en achetait une, elle la traînait partout à sa suite, et la parente pauvre se déclarait ravie et prête à tout.

Chefteux n’inquiétait pas non plus beaucoup Mme Blanche.

Tous les trois mois, il présentait un mémoire de «frais d’investigations» s’élevant à dix mille francs environ, et il était clair que tant qu’on le payerait il se tairait.

L’ancien espion n’avait d’ailleurs pas fait mystère de l’espoir qu’il avait d’une rente viagère de vingt-quatre mille francs.

Mme Blanche lui ayant dit, après deux années, qu’il devait renoncer à ses explorations puisqu’il n’aboutissait à rien:

– Jamais, répondit-il, je chercherai tant que je vivrai… à tout prix.

Restait Chupin malheureusement…

Pour commencer, il avait fallu lui compter vingt mille francs, d’un seul coup…

Son frère cadet venait de le rejoindre, l’accusant d’avoir volé le magot paternel, et réclamant sa part un couteau à la main.

Il y avait eu bataille, et c’est la tête tout enveloppée de linges ensanglantés que Chupin s’était présenté à Mme Blanche.

– Donnez-moi, lui avait-il dit, la somme que le vieux avait enterrée, et je laisserai croire à mon frère que je l’avais prise… C’est bien désagréable de passer pour un voleur, quand on est honnête, mais je supporterai cela pour vous… Si vous refusez, par exemple, il faudra bien que je lui avoue d’où je tire mon argent, et comment…

S’il avait toutes les corruptions, les vices et la froide perversité du vieux maraudeur, ce misérable n’en avait ni l’intelligence ni la finesse.

Loin de s’entourer de précautions, comme le lui commandait son intérêt, il semblait prendre, à compromettre la duchesse, un plaisir de brute.

Il assiégeait l’hôtel de Sairmeuse. On ne voyait que lui pendu à la cloche. Et il venait à toute heure, le matin, l’après-midi, le soir, sans s’inquiéter de Martial.

Et les domestiques étaient stupéfaits de voir que leur maîtresse, si hautaine, quittait tout, sans hésiter, pour cet homme de mauvaise mine, qui empestait le tabac et l’eau-de-vie.

Une nuit qu’il y avait une grande fête à l’hôtel de Sairmeuse, il se présenta ivre, et impérieusement exigea qu’on allât prévenir Mme Blanche qu’il était là et qu’il attendait.

Elle accourut avec sa magnifique toilette décolletée, blême de rage et de honte sous son diadème de diamants…

Et comme, dans son exaspération, elle refusait au misérable ce qu’il demandait:

– C’est-à-dire que je crèverais de faim pendant que vous faites la noce!… s’écria-t-il. Pas si bête! De la monnaie, et vite, ou je crie tout ce que je sais!

Que faire? céder. La duchesse s’exécuta, comme toujours.

Et cependant, il devenait de jour en jour plus insatiable.

L’argent ne tenait pas plus dans ses poches que l’eau dans un crible.