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Un journal lui donna le mot de l’énigme.

Chupin était en prison.

Le misérable, un soir qu’il avait bu plus que de coutume, s’était pris de querelle avec son frère, et l’avait assommé à coups de barre de fer.

Le sang de Lacheneur vendu par le vieux braconnier, retombait sur la tête de ses enfants.

Traduit en cour d’assises, Chupin fut condamné à vingt ans de travaux forcés et envoyé à Brest.

Cette condamnation ne devait pas rendre la paix à Mme Blanche. Le meurtrier lui avait écrit de sa prison de Paris, dès qu’il n’avait plus été au secret; il lui écrivait du bagne.

Mais il n’envoyait pas ses lettres par la poste. Il les confiait à des camarades qui avaient fait leur temps, qui se présentaient à l’hôtel de Sairmeuse et qui demandaient à parler à Mme la duchesse.

Et elle les recevait. Ils lui racontaient toutes les misères qu’on endure là-bas «au pré,» et leur commission faite, ils finissaient toujours par réclamer quelque petit secours…

Enfin, un matin, un homme dont les regards lui firent peur lui apporta ce laconique billet:

«Je m’ennuie à crever ici; quitte à risquer ma peau, je veux m’évader. Venez à Brest; vous visiterez le bagne, je vous verrai et nous nous entendrons. Et que ça ne traîne pas, sinon je m’adresse au duc, qui m’obtiendra ma grâce en échange de ce que je lui apprendrai.»

Mme Blanche demeura un moment anéantie… il était impossible, croyait-elle, de crouler plus bas.

– Eh bien! demanda l’homme, d’une voix affreusement enrouée, quelle réponse faut-il faire au camarade?

– J’irai, dites-lui que j’irai!…

Elle fit le voyage, en effet, elle visita le bagne, mais elle n’aperçut pas Chupin.

La semaine précédente, il y avait eu au bagne une sorte de révolte, la troupe avait fait feu et Chupin avait été tué roide.

Cependant, la duchesse, de retour à Paris, n’osait pas trop se réjouir.

Elle supposait que le misérable devait avoir livré à la créature qu’il avait épousée, le secret de sa puissance.

– Je ne tarderai pas à la voir, pensait-elle.

La veuve Chupin se présenta en effet, peu après, mais humblement et en suppliante.

Elle avait souvent ouï dire, prétendait-elle, à son pauvre défunt, que Mme la duchesse était sa protectrice, et se trouvant sans ressources aucunes, elle venait solliciter un petit secours qui lui permit de lever un débit de boissons.

Justement son fils, Polyte, ah! un bien bon sujet! qui avait alors dix-huit ans, venait de découvrir, du côté de Montrouge, une petite maison bien commode et pas trop chère, et sûrement, avec trois ou quatre cents francs…

Mme Blanche remit 500 francs à l’affreuse mégère.

– Son humilité n’est-elle qu’un masque, pensait-elle, ou son mari ne lui a-t-il rien dit?

Cinq jours plus tard, ce fut Polyte Chupin qui arriva.

Il manquait, déclara-t-il, trois cents francs pour l’installation, et il venait de la part de sa mère supplier la bonne dame de les avancer…

Résolue à savoir au juste à quoi s’en tenir, la duchesse refusa net, et l’affreux garnement se retira sans souffler mot.

Evidemment, ni la veuve ni son fils ne savaient… Chupin était mort avec son secret…

Cela se passait dans les premiers jours de janvier…

Vers la fin de février, tante Médie fut enlevée par une fluxion de poitrine prise en sortant d’un bal travesti où elle s’était obstinée à aller, malgré sa nièce, avec un costume ridicule.

Sa passion pour la toilette la tuait.

La maladie ne dura que trois jours, mais l’agonie fut effroyable.

Les approches de la mort éclairèrent de lueurs terribles la conscience de la parente pauvre. Elle comprit qu’ayant profité et même abusé du crime de sa nièce, elle était coupable autant que si elle l’eût aidée à le commettre. Elle avait été très pieuse, autrefois; la foi lui revint avec son cortège de terreurs.

– Je suis damnée!… criait-elle; je suis damnée!…

Elle se débattait sur son lit, elle se tordait comme si elle eût vu l’enfer s’entr’ouvrir pour l’engloutir. Elle hurlait comme si déjà elle eût senti les morsures des flammes.

Puis elle appelait la sainte vierge et tous les saints à son secours. Elle priait Dieu de la laisser vivre encore un peu pour se repentir, pour expier… Elle demandait un prêtre, jurant qu’elle ferait une confession publique.

Plus pâle que la mourante, mais implacable, Mme Blanche veillait, aidée par celle de ses femmes en qui elle avait le plus confiance.

– Si cela dure, pensait-elle, je suis perdue… Je serai forcée d’appeler quelqu’un, et cette malheureuse dira tout.

Cela ne dura pas.

Le délire ne tarda pas à s’emparer de tante Médie, puis un anéantissement survint, si profond, qu’on pouvait croire à toute minute qu’elle allait passer.

Cependant, vers le milieu de la nuit, elle parut se ranimer et reprendre connaissance.

Elle se tourna péniblement vers sa nièce, et d’une voix où vibraient ses dernières forces:

– Tu n’as pas eu pitié de moi, Blanche, dit-elle, tu veux me perdre dans l’autre vie comme dans celle-ci… Dieu te punira. Tu mourras désespérée, toi aussi, seule, comme un chien… Sois maudite!

Et elle expira. Deux heures sonnaient.

Il était loin, le temps où Mme Blanche eût donné quelque chose de sa vie pour sentir tante Médie à six pieds sous terre.

En ce moment, la mort de cette pauvre vieille l’affectait profondément.

Elle perdait une complice qui parfois l’avait consolée, et elle ne gagnait rien en liberté, puisqu’une femme de chambre se trouvait initiée au secret du crime de la Borderie.

Toutes les personnes de l’intimité de la duchesse de Sairmeuse remarquèrent, à cette époque, son abattement et s’en étonnèrent.

– N’est-il pas singulier, disait-on, que la duchesse, une femme supérieure, regrette si fort cette antique caricature!

C’est que Mme Blanche avait été extraordinairement impressionnée par les sinistres prophéties de cette parente pauvre, devenue à la longue son âme damnée, et à qui elle avait refusé les consolations suprêmes de la religion.

Contrainte à un retour vers le passé, elle s’épouvantait, comme jadis les paysans de Sairmeuse, de l’acharnement de la fatalité à poursuivre, jusque dans leurs enfants, ceux qui avaient versé le sang.