Изменить стиль страницы

– Parce que… parce que…

– Iras-tu donc me dénoncer à la justice?

Tante Médie hocha négativement la tête,

– Pas si bête, répondit-elle, ce serait me livrer moi-même… Non, je ne ferais pas cela, seulement, je raconterais à ton mari l’histoire de la Borderie.

La jeune femme frissonna. Nulle menace n’était capable de l’épouvanter autant que celle-là.

– Tu viendras avec nous, tante, lui dit-elle, je te le promets.

Et plus doucement:

– Mais il était inutile de me menacer. Tu as été cruelle, tante, et injuste en même temps. Il se peut que tu aies été fort malheureuse dans notre maison; c’est à toi seule que tu dois t’en prendre. Pourquoi ne nous rien dire?… J’attribuais toutes tes complaisances à ton amitié pour moi…

Elle eut un sourire contraint et ajouta encore:

– Quant à deviner que toi, une femme si simple et si modeste, tu souhaitais des toilettes tapageuses… avoue que c’était impossible. Ah! si j’avais su!… Mais tranquillise-toi, je réparerai ma sottise…

Et comme la parente pauvre, ayant obtenu ce qu’elle voulait, balbutiait quelques excuses:

– Bast! s’écria Mme Blanche, oublions cette vilaine querelle… Tu me pardonnes, n’est-ce pas?… Allons, viens, embrasse-moi comme autrefois.

La tante et la nièce s’embrassèrent en effet, avec de grandes effusions de tendresse, comme deux amies qu’un malentendu a failli séparer.

Mais les patelinages de cette réconciliation forcée ne trompaient pas plus l’inepte tante Médie que la perspicace Mme Blanche.

– Ah! je ferai sagement de rester sur le qui-vive, pensait la parente pauvre. Dieu sait avec quel bonheur ma chère nièce m’enverrait rejoindre Marie-Anne.

Peut-être, en effet, quelque pensée pareille traversa-t-elle l’esprit de Mme Blanche.

Sa sensation était celle du forçat qui verrait river à sa chaîne d’ignominie son ennemi le plus exécré, son dénonciateur, par exemple, l’agent de police qui l’a arrêté.

– Ainsi, pensait-elle, me voici maintenant et pour toujours liée à cette dangereuse et perfide créature. Je ne m’appartiens plus, je suis à elle. Qu’elle exige, je devrai obéir. Il me faudra adorer ses caprices… et elle a quarante ans d’humiliation et de servitude à venger.

Les perspectives de cette existence commune la faisaient frémir, et elle se torturait à chercher par quels moyens elle parviendrait à se débarrasser de cette complice.

Elle n’en apercevait aucun pour le présent, mais il lui semblait en entrevoir vaguement plusieurs dans l’avenir…

Serait-il donc impossible, avec beaucoup d’adresse, d’inspirer à tante Médie l’ambition de vivre indépendante dans une maison à soi, servie par des gens à soi!…

Était-il prouvé qu’on ne réussirait pas à pousser au mariage cette vieille folle, qui paraissait avoir encore des velléités de coquetterie et la passion de la toilette… L’appât d’une bonne dot attirerait toujours un mari.

Mais, dans un cas comme dans l’autre, il fallait à Mme Blanche de l’argent, beaucoup d’argent, dont elle pût disposer sans avoir à en rendre compte à personne.

Cette conviction la décida à détourner de la fortune de son père, une somme de deux cent cinquante mille francs environ, en billets et en or…

Cette somme représentait les économies du marquis de Courtomieu depuis trois ans, personne ne la lui connaissait, et maintenant qu’il était devenu imbécile, sa fille, qui connaissait la cachette, pouvait sans danger s’emparer du trésor.

– Avec cela, se disait la jeune femme, je puis, à un moment donné, enrichir tante Médie, sans avoir recours à Martial.

La tante et la nièce semblaient d’ailleurs, depuis la scène décisive, vivre mieux qu’en bonne intelligence. C’était, entre elles, un perpétuel échange d’attentions délicates et de soins touchants.

Et, du matin au soir, ce n’était que des «petite tante chérie,» ou des «chère nièce aimée,» à n’en plus finir.

Même, il était temps que le départ arrivât. Plusieurs femmes de hobereaux du voisinage, accoutumées aux façons d’autrefois, au ton impérieux de l’une et à l’humilité de l’autre, commençaient à trouver cela drôle.

Ces dames eussent eu un bien autre texte de conjectures, si on leur eût appris que Mme Blanche avait fait venir, pour que tante Médie n’eût pas froid en route, un manteau garni de précieuses fourrures, exactement pareil au sien.

Elles eussent été confondues, si on leur eût dit que tante Médie voyageait, non dans la grande berline des gens de service, mais dans la propre chaise de poste des maîtres, entre le marquis et la marquise de Sairmeuse.

C’était trop fort pour que Martial ne le remarquât pas, et à un moment où il se trouvait seul avec sa femme:

– Oh! chère marquise, dit-il, d’un ton de bienveillante ironie, que de petits soins! Nous finirons par la mettre dans du coton, cette chère tante.

Mme Blanche tressaillit imperceptiblement et rougit un peu.

– Je l’aime tant, cette bonne Médie! fit-elle. Jamais je ne reconnaîtrai assez les témoignages d’affection et de dévouement qu’elle m’a donnés quand j’étais malheureuse.

C’était une explication si plausible et si naturelle, que Martial ne s’était plus inquiété d’une circonstance toute futile en apparence.

Il avait, d’ailleurs, à ce préoccuper de bien d’autres choses.

L’homme d’affaires qu’il avait envoyé à Paris pour racheter, si faire se pouvait, l’hôtel de Sairmeuse, lui avait écrit d’accourir, se trouvant, marquait-il, en présence d’une de ces difficultés qu’un mandataire ne saurait résoudre. Il ne s’expliquait pas davantage.

– La peste étouffe le maladroit! répétait Martial. Il est capable de manquer une occasion que mon père attendait depuis dix ans. Je ne saurais me plaire à Paris, si je n’habite l’hôtel de ma famille.

Sa hâte d’arriver était si grande, que le second jour de voyage, le soir il déclara que s’il eût été seul il eût couru la poste toute la nuit.

– Qu’à cela ne tienne, dit gracieusement Mme Blanche, je ne me sens aucunement fatiguée, et une nuit en voiture est loin de me faire peur…

Ils marchèrent en conséquence toute la nuit, et le lendemain, qui était un samedi, sur les neuf heures du matin, ils descendaient à l’hôtel Meurice.

C’est à peine si Martial prit le temps de déjeuner.

– Il faut que je voie où nous en sommes, fit-il en se dépêchant de sortir, je serai bientôt de retour.

Il reparut, en effet, moins de deux heures après, tout joyeux, cette fois.