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Jamais, la veille seulement, elle n’eût osé une énormité pareille. Mais son audace, pour cette fois, fut absolument irréfléchie.

– Eh bien! Blanche, dit-elle, nous en sommes quittes pour la peur.

La jeune femme ne répondit pas.

Encore sous le coup de sa terrible émotion, toute saisie des façons de Martial, elle réfléchissait, s’efforçant de déterminer les conséquences probables de tous ces événements qui se succédaient avec une foudroyante rapidité.

– Peut-être l’heure de ma revanche va-t-elle sonner, murmura Mme Blanche, comme se parlant à soi-même.

– Hein! Tu dis? interrogea curieusement la parente pauvre.

– Je dis, tante, qu’avant un mois je serai marquise de Sairmeuse autrement que de nom. Mon mari me sera revenu, et alors… oh! alors…

– Dieu t’entende! fit hypocritement tante Médie.

Au fond elle croyait peu à la prédiction, et qu’elle se réalisât ou non, peu lui importait.

– Encore une preuve, reprit-elle tout bas de ce ton que prennent deux complices quand ils parlent de leur crime, encore une preuve que ta jalousie s’est trompée, là-bas, à la Borderie, et que… ce que tu as fait était inutile.

Tel avait été, tel n’était plus l’avis de Mme Blanche.

Elle hocha la tête, et de l’air le plus sombre:

– C’est, au contraire, ce qui s’est passé là-bas qui me ramène mon mari, répondit-elle. J’y vois clair, à cette heure… C’est vrai, Marie-Anne n’était pas la maîtresse de Martial, mais Martial l’aimait… Il l’aimait, et les résistances qu’il avait rencontrées avaient exalté sa passion jusqu’au délire. C’est bien pour cette créature qu’il m’avait abandonnée, et jamais, tant qu’elle eût vécu, il n’eût seulement pensé à moi… Son émotion en me voyant, c’était un reste de son émotion quand il a vu l’autre… Son attendrissement n’était qu’une expression de sa douleur… Quoi qu’il advienne, je n’aurai que les restes de cette créature, que ce qu’elle a dédaigné!…

Ses yeux flamboyaient, elle frappa du pied avec une indicible rage.

– Et je regretterais ce que j’ai fait, s’écria-t-elle… jamais!… non, jamais.

Ce jour-là, en ce moment, elle eût recommencé, elle eût tout bravé…

Mais des transes terribles l’assaillirent quand elle apprit que la justice venait de commencer une enquête.

Il était venu de Montaignac le procureur du roi et un juge qui interrogeaient quantité de témoins, et une douzaine d’hommes de la police se livraient aux plus minutieuses investigations. On parlait même de faire venir de Paris un de ces agents au flair subtil, rompus à déjouer toutes les ruses du crime.

Tante Médie en perdait la tête, et ses frayeurs à certains moments étaient si évidentes que Mme Blanche s’en inquiéta.

– Tu finiras par nous trahir, tante, lui dit-elle.

– Ah!… c’est plus fort que moi.

– Ne sors plus de ta chambre, en ce cas.

– Oui, ce serait plus prudent.

– Tu te diras un peu souffrante, on te servira chez toi.

Le visage de la parente pauvre s’épanouissait.

– C’est cela, approuvait-elle en battant des mains, c’est cela!

Véritablement, elle était ravie.

Être servie chez soi, dans sa chambre, dans son lit le matin, sur une petite table au coin du feu, le soir, cela avait été longtemps le rêve et l’ambition de la parente pauvre. Mais le moyen!… Deux ou trois fois, étant un peu indisposée, elle avait osé demander qu’on lui montât ses repas, mais elle avait été vertement repoussée.

– Si tante Médie a faim, elle descendra se mettre à table avec nous, avait répondu Mme Blanche. Qu’est-ce que ces fantaisies!…

Positivement, c’est ainsi qu’on la traitait, dans ce château où il y avait toujours dix domestiques à bayer aux corneilles.

Tandis que maintenant…

Tous les matins, sur l’ordre formel de Mme Blanche, le cuisinier montait prendre les ordres de tante Médie, et il ne tenait qu’à elle de dicter le menu de la journée, et de se commander les plats qu’elle aimait.

Et la tante Médie trouvait cela excellent d’être ainsi soignée, choyée, mignotée et dorlotée. Elle se délectait dans ce bien-être comme un pauvre diable dans des draps bien blancs, sans être resté des mois sans coucher dans un lit.

Et ces jouissances nouvelles faisaient naître en elle quantité de pensées étranges et lui enlevaient beaucoup des regrets qu’elle avait du crime de la Borderie…

L’enquête cependant était le sujet de toutes ses conversations avec sa nièce. Elles en avaient des nouvelles fort exactes par le sommelier de Courtomieu, grand amateur de choses judiciaires, qui avait trouvé, dans sa cave, le secret de se faufiler parmi les agents venus de Montaignac.

Par lui, elles surent que toutes les charges pesaient sur défunt Chupin. Ne l’avait-on pas aperçu, le soir du crime, rôdant autour de la Borderie? Le témoignage du jeune paysan qui avait prévenu Jean Lacheneur paraissait décisif.

Quant au mobile de Chupin, on le connaissait, pensait-on. Vingt personnes l’avaient entendu déclarer avec d’affreux jurons qu’il ne serait pas tranquille tant qu’il resterait un Lacheneur sur la terre.

Ainsi, tout ce qui eût dû perdre Mme Blanche la sauva, et la mort du vieux maraudeur lui parut véritablement providentielle.

Pouvait-elle soupçonner que Chupin avait eu le temps de révéler son secret avant de mourir?…

Le jour où le sommelier lui dit que juges et agents de police venaient de repartir pour Montaignac, elle eut grand peine à dissimuler sa joie.

– Plus rien à craindre, répétait-elle à tante Médie… plus rien!…

Elle échappait en effet à la justice des hommes…

Restait la justice de Dieu.

Quelques semaines plus tôt, cette idée de «la justice de Dieu» eût peut-être amené un sourire sur les lèvres de Mme Blanche.

Femme positive s’il en fut, un peu esprit fort même, à ce qu’elle prétendait, elle eût traité cette incompréhensible justice de lieu commun de morale ou encore d’épouvantail ingénieux imaginé pour contenir dans les limites du devoir les consciences timorées…

Le lendemain de son crime, elle haussait presque les épaules en songeant aux menaces de Marie-Anne mourante…

Elle se souvenait de son serment, mais elle n’était plus disposée à le tenir.

Elle avait réfléchi, et elle avait vu à quels périls elle s’exposerait en faisant rechercher l’enfant de Marie-Anne.