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– Quel caractère de fer! pensait-elle.

C’est que, dans son aveuglement imbécile, elle ne remarquait rien de ce qui eût éclairé le plus médiocre observateur.

Mme Blanche était assise sur son lit, les cheveux dénoués, les pommettes enflammées, l’œil brillant de l’éclat du délire, «tremblant la fièvre,» selon l’expression vulgaire.

Et sa parole saccadée, ses gestes désordonnés, décelaient, quoi qu’elle fit, l’égarement de sa pensée et le trouble affreux de son âme…

Et elle discourait, elle discourait, d’une voix tour à tour sourde et stridente, s’exclamant, interrogeant, forçant tante Médie à répondre, essayant enfin de s’étourdir et d’échapper en quelque sorte à elle-même!

Le jour était venu depuis longtemps, et le château s’emplissait du mouvement des domestiques, que la jeune femme, insensible aux circonstances extérieures, expliquait encore comment elle était sûre d’arriver, avant un an, à rendre à Maurice d’Escorval l’enfant de Marie-Anne…

Tout à coup, cependant, elle s’interrompit au milieu d’une phrase…

L’instinct l’avertissait du danger qu’elle courait à changer quelque chose à ses habitudes.

Elle renvoya donc tante Médie, en lui recommandant bien de défaire son lit, et comme tous les jours elle sonna…

Il était près de onze heures, et elle venait d’achever sa toilette, quand la cloche du château tinta, annonçant une visite.

Presque aussitôt, une femme de chambre parut, tout effarée.

– Qu’y a-t-il? demanda vivement Mme Blanche; qui est là?

– Ah! madame!… c’est-à-dire, mademoiselle, si vous saviez…

– Parlerez-vous!…

– Eh bien! M. le marquis de Sairmeuse est en bas, dans le petit salon bleu, et il prie mademoiselle de lui accorder quelques minutes…

La foudre tombant aux pieds de l’empoisonneuse l’eût moins terriblement impressionnée que ce nom qui éclatait là, tout à coup.

Sa première pensée fut que tout était découvert… Cela seul pouvait amener Martial.

Elle avait presque envie de faire répondre qu’elle était absente, partie pour longtemps, ou dangereusement malade, mais une lueur de raison lui montra qu’elle s’alarmait peut-être à tort, que son mari finirait toujours par arriver jusqu’à elle, et que, d’ailleurs, tout était préférable à l’incertitude.

– Dites à M. le marquis que je suis à lui dans un instant, répondit-elle.

C’est qu’elle voulait rester seule un peu, pour se remettre, pour composer son visage, pour rentrer en possession d’elle-même, s’il était possible, pour laisser au tremblement nerveux qui la secouait comme la feuille, le temps de se calmer.

Mais au moment où elle s’inquiétait le plus de l’état où elle était, une inspiration qu’elle jugea divine lui arracha un sourire méchant.

– Eh!… pensa-t-elle, mon trouble ne s’explique-t-il pas tout naturellement… Il peut même me servir…

Et tout en descendant le grand escalier:

– N’importe!… se disait-elle, la présence de Martial est incompréhensible.

Bien extraordinaire, du moins! Aussi, n’est-ce pas sans de longues hésitations qu’il s’était résigné à cette démarche pénible.

Mais c’était l’unique moyen de se procurer plusieurs pièces importantes, indispensables pour la révision du jugement de M. d’Escorval.

Ces pièces, après la condamnation du baron, étaient restées entre les mains du marquis de Courtomieu. On ne pouvait les lui redemander maintenant qu’il était frappé d’imbécillité. Force était de s’adresser à sa fille pour obtenir d’elle la permission de chercher parmi les papiers de son père.

C’est pourquoi, le matin, Martial s’était dit:

– Ma foi!… arrive qui plante, je vais porter à Marie-Anne le sauf-conduit du baron, je pousserai ensuite jusqu’à Courtomieu.

Il arrivait tout en joie à la Borderie, palpitant, le cœur gonflé d’espérances… Hélas! Marie-Anne était morte.

Nul ne soupçonna l’effroyable coup qui atteignait Martial. Sa douleur devait être d’autant plus poignante que l’avant-veille, à la Croix-d ’Arcy, il avait lu dans le cœur de la pauvre fille…

Ce fut donc bien son cœur, frémissant de rage, qui lui dicta son serment de vengeance. Sa conscience ne lui criait-elle pas qu’il était pour quelque chose dans ce crime, qu’il en avait à tout le moins facilité l’exécution.

C’est que c’était bien lui qui, abusant des grandes relations de sa famille, avait obtenu l’arrestation de Maurice à Turin.

Mais s’il était capable des pires perfidies dès que sa passion était en jeu, il était incapable d’une basse rancune.

Marie-Anne morte, il dépendait uniquement de lui d’anéantir les grâces qu’il avait obtenues; l’idée ne lui en vint même pas. Insulté, il mit une affectation dédaigneuse à écraser ceux qui l’insultaient par sa magnanimité.

Et lorsqu’il sortit de la Borderie, plus pâle qu’un spectre, les lèvres encore glacées du baiser donné à la morte, il se disait:

– Pour elle, j’irai à Courtomieu… En mémoire d’elle, le baron doit être sauvé.

À la seule physionomie des valets quand il descendit de cheval dans la cour du château et qu’il demanda Mme Blanche, le marquis de Sairmeuse fut averti de l’impression qu’il allait produire.

Mais que lui importait! Il était dans une de ces crises de douleur où l’âme devient indifférente à tout, n’apercevant plus de malheur possible.

Il tressaillit pourtant, lorsqu’on l’introduisit dans un petit salon du rez-de-chaussée, tendu de soie bleu.

Ce petit salon, il le reconnaissait. C’était là que d’ordinaire se tenait Mme Blanche, autrefois, dans les premiers temps qu’il la connaissait, lorsque son cœur hésitait encore entre Marie-Anne et elle, et qu’il lui faisait la cour…

Que d’heures heureuses ils y avaient passé ensemble. Il lui semblait la revoir, telle qu’elle était alors, radieuse de jeunesse, insoucieuse et rieuse… sa naïveté était peut-être cherchée et voulue, en était-elle moins adorable.

Cependant, Mme Blanche entrait…

Elle était si défaite et si changée, que c’était à ne la pas reconnaître, on eût dit qu’elle se mourait. Martial fut épouvanté.

– Vous avez donc bien souffert, Blanche, murmura-t-il sans trop savoir ce qu’il disait.

Elle eut besoin d’un effort pour garder le secret de sa joie. Elle comprenait qu’il ne savait rien. Elle voyait son émotion et tout le parti qu’elle en pouvait tirer.

– Je n’ai pas su me consoler de vous avoir déplu, répondit-elle d’une voix navrante de résignation, je ne m’en consolerai jamais.