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– Elle a péri victime d’un crime!… s’écria-t-il. Un monstre existait qui la haïssait à ce point de la tuer… la haïr, elle!

Il se recueillit un moment, et d’une voix déchirante:

– Mais si elle est morte ainsi, reprit-il, foudroyée, notre enfant est peut-être perdu à tout jamais! Et moi qui lui avais recommandé, ordonné les plus savantes précautions! Ah! c’est une malédiction!…

Il retomba sur le fauteuil, abîmé de douleur, l’éclat de ses yeux pâlit et des larmes silencieuses roulèrent le long de ses joues.

– Il est sauvé!… pensa l’abbé Midon.

Et il restait là, tout ému de ce désespoir immense, insondable, quand il se sentit tirer par la manche.

Jean Lacheneur, dont les yeux flamboyaient, l’entraîna dans l’embrasure d’une croisée.

– Qu’est-ce que cet enfant? demanda-t-il d’un ton rauque.

Une fugitive rougeur empourpra les pommettes du prêtre.

– Vous avez entendu, répondit-il.

– J’ai compris que Marie-Anne était la maîtresse de Maurice, et qu’elle a eu un enfant de lui. C’est donc vrai?… Je ne voulais pas, je ne pouvais pas le croire!… Elle que je vénérais à l’égal d’une sainte!… Son front si pur et ses chastes regards mentaient. Et lui, Maurice, qui était mon ami, qui était comme le fils de notre maison!… Son amitié n’était qu’un masque qu’il prenait pour nous voler plus sûrement notre honneur!…

Il parlait, les dents serrées par la colère, si bas, que Maurice ne pouvait l’entendre.

– Mais comment a-t-elle donc fait, poursuivait-il, pour cacher sa grossesse… Personne dans le pays ne l’a soupçonnée, personne absolument. Et après? qu’a-t-elle fait de l’enfant?… Aurait-elle été prise de l’effroi de la honte, de ce vertige qui pousse au crime les pauvres filles séduites et abandonnées… Aurait-elle tué son enfant?…

Un sourire sinistre effleurait ses lèvres minces.

– Si l’enfant vit, ajouta-t-il, comme en a parte, je saurai bien le découvrir où qu’il soit, et Maurice sera puni de son infamie…

Il s’interrompit; le galop de deux chevaux, sur la grande route, attirait son attention et celle de l’abbé Midon.

Ils regardèrent à la fenêtre et virent un cavalier s’arrêter devant le petit sentier, descendre de cheval, jeter la bride à son domestique, à cheval comme lui, et s’avancer vers la Borderie…

À cette vue, Jean Lacheneur eut un véritable rugissement de bête fauve.

– Le marquis de Sairmeuse, hurla-t-il, ici!…

Il bondit jusqu’à Maurice, et le secouant avec une sorte de frénésie:

– Debout!… lui cria-t-il, voilà Martial, l’assassin de Marie-Anne! debout, il vient, il est à nous!…

Maurice se dressa, ivre de colère, mais l’abbé Midon leur barra le passage.

– Pas un mot, jeunes gens, prononça-t-il, pas une menace, je vous le défends… respectez au moins cette pauvre morte qui est là!…

Son accent et ses regards avaient une autorité si irrésistible, que Jean et Maurice furent comme changés en statues.

Le prêtre n’eut que le temps de se retourner, Martial arrivait…

Il ne dépassa pas le cadre de la porte, son coup d’œil si pénétrant embrassa la scène, il pâlit extrêmement, mais il n’eut ni un geste, ni une exclamation…

Si grande cependant que fût son étonnante puissance sur soi, il ne put articuler une syllabe, et c’est du doigt qu’il interrogea, montrant Marie-Anne, dont il distinguait la figure convulsée dans l’ombre des rideaux.

– Elle a été lâchement empoisonnée hier soir, prononça l’abbé Midon.

Maurice, oubliant les ordres du prêtre, s’avança…

– Elle était seule, dit-il, et sans défense, je ne suis en liberté que depuis deux jours. Mais je sais le nom de celui qui m’a fait arrêter à Turin et jeter en prison, on me l’a dit!

Instinctivement Martial recula.

– C’est donc toi, misérable!… s’écria Maurice, tu avoues donc ton crime, infâme…

Une fois encore l’abbé intervint; il se jeta entre ces deux ennemis, persuadé que Martial allait se précipiter sur Maurice.

Point. Le marquis de Sairmeuse avait repris cet air ironique et hautain qui lui était habituel. Il sortit de sa poche une volumineuse enveloppe et la lançant sur la table:

– Voici, dit-il froidement, ce que j’apportais à Mlle Lacheneur. C’est d’abord un sauf-conduit de Sa Majesté pour M. le baron d’Escorval. De ce moment, il peut quitter la ferme de Poignot et rentrer à Escorval, il est libre, il est sauvé; sa condamnation sera réformée. C’est ensuite un arrêt de non-lieu rendu en faveur de M. l’abbé Midon, et une décision de l’évêque qui le réinstalle à sa cure de Sairmeuse. C’est, enfin, un congé en bonne forme et un brevet de pension au nom du caporal Bavois.

Il s’arrêta, et comme la stupeur clouait tout le monde sur place, il s’approcha du lit de Marie-Anne.

Il étendit la main au-dessus de la morte, et d’une voix qui eût fait frémir la coupable jusqu’au plus profond de ses entrailles, si elle l’eût entendue:

– À vous, Marie-Anne, prononça-t-il, je jure que je vous vengerai!…

Il demeura dix secondes immobile, perdu de douleur, puis tout à coup, vivement, il se pencha, mit un baiser au front de la morte, et sortit…

– Et cet homme serait coupable!… s’écria l’abbé Midon, vous voyez bien, Jean, que vous êtes fou!…

Jean eut un geste terrible.

– C’est juste!… fit-il, et cette dernière insulte à ma sœur morte, c’est bien de l’honneur, n’est-ce pas?…

– Et le misérable me lie les mains, en sauvant mon père! s’écria Maurice.

Placé près de la fenêtre, l’abbé put voir Martial remonter à cheval…

Mais le marquis de Sairmeuse ne reprit pas la route de Montaignac, c’est vers le château de Courtomieu qu’il galopa…