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XLVIII

La raison de Mme Blanche était déjà affreusement troublée quand Chupin l’emporta hors de la chambre de Marie-Anne.

Elle perdit toute conscience d’elle lorsqu’elle vit tomber le vieux maraudeur.

Mais il était dit que cette nuit-là tante Médie prendrait sa revanche de toutes ses défaillances passées.

À grand’peine tolérée jusqu’alors à Courtomieu, et à quel prix! elle conquit le droit d’y vivre désormais respectée et même redoutée.

Elle qui s’évanouissait d’ordinaire si un chat du château s’écrasait la patte, elle ne jeta pas un cri.

L’extrême épouvante lui communiqua ce courage désespéré qui enflamme les poltrons poussés à bout. Sa nature moutonnière se révoltant, elle devint comme enragée.

Elle saisit le bras de sa nièce éperdue, et moitié de gré, moitié de force, la traînant, la poussant, la portant parfois, elle la ramena au château de Courtomieu en moins de temps qu’il n’en avait fallu pour aller à la Borderie.

La demie de une heure sonnait comme elles arrivaient à la petite porte du jardin par où elles étaient sorties…

Personne, au château, ne s’était aperçu de leur longue absence… personne absolument.

Cela tenait à diverses circonstances. Aux précautions prises par Mme Blanche, d’abord. Avant de sortir, elle avait défendu qu’on pénétrât chez elle, sous n’importe quel prétexte, tant qu’elle ne sonnerait pas.

En outre, c’était la fête du valet de chambre du marquis; les domestiques avaient dîné mieux que de coutume; ils avaient chanté au dessert, et à la fin ils s’étaient mis à danser.

Ils dansaient encore à une heure et demie, toutes les portes étaient ouvertes, et ainsi les deux femmes purent se glisser, sans être vues, jusqu’à la chambre de Mme Blanche.

Alors, quand les portes de l’appartement furent bien fermées, lorsqu’il n’y eut plus d’indiscrets à craindre, tante Médie s’avança près de sa nièce.

– M’expliqueras-tu, interrogea-t-elle, ce qui s’est passé à la Borderie, ce que tu as fait?…

Mme Blanche frissonna.

– Eh!… répondit-elle; que t’importe!

– C’est que j’ai cruellement souffert, pendant plus de trois heures que je t’ai attendue. Qu’est-ce que ces cris déchirants que j’entendais? Pourquoi appelais-tu au secours?… Je distinguais comme un râle qui me faisait dresser les cheveux sur la tête… D’où vient que Chupin t’a emportée entre ses bras?…

Tante Médie eût peut-être fait ses malles le soir même, et quitté Courtomieu, si elle eût vu de quels regards l’enveloppait sa nièce.

En ce moment, Mme Blanche souhaitait la puissance de Dieu pour foudroyer, pour anéantir cette parente pauvre, irrécusable témoin qui d’un mot pouvait la perdre, et qu’elle aurait toujours près d’elle, vivant reproche de son crime.

– Tu ne me réponds pas?… insista la pauvre tante.

C’est que la jeune femme en était à se demander si elle devait dire la vérité, si horrible qu’elle fût, ou inventer quelque explication à peu près plausible.

Tout avouer! C’était intolérable, c’était renoncer à soi, c’était se mettre corps et âme à l’absolue discrétion de tante Médie.

D’un autre côté, mentir, n’était-ce pas s’exposer à ce que tante Médie la trahit par quelque exclamation involontaire quand elle viendrait, ce qui ne pouvait manquer, à apprendre le crime de la Borderie?

– Car elle est stupide! pensait Mme Blanche.

Le plus sage était encore, elle le comprit, d’être entièrement franche, de bien faire la leçon à la parente pauvre et de a’efforcer de lui communiquer quelque chose de sa fermeté.

Et cela résolu, la jeune femme dédaigna tous les ménagements…

– Eh bien!… répondit-elle, j’étais jalouse de Marie-Anne, je croyais qu’elle était la maîtresse de Martial, j’étais folle, je l’ai tuée!…

Elle s’attendait à des cris lamentables, à des évanouissements; pas du tout. Si bornée que fût la tante Médie, elle avait à peu près deviné. Puis, les ignominies qu’elle avait endurées depuis des années avaient éteint en elle tout sentiment généreux, tari les sources de la sensibilité, et détruit tout sens moral.

– Ah! mon Dieu!… fit-elle d’un ton dolent, c’est terrible… Si on venait à savoir!…

Et elle se mit à pleurer, mais non beaucoup plus que tous les jours pour la moindre des choses.

Mme Blanche respira un peu plus librement. Certes, elle se croyait bien assurée du silence et de l’absolue soumission de la parente pauvre.

C’est pourquoi, tout aussitôt, elle se mit à raconter tous les détails de ce drame effroyable de la Borderie.

Sans doute, elle cédait à ce besoin d’épanchement plus fort que la volonté, qui délie la langue des pires scélérats et qui les force, qui les contraint de parler de leur crime, alors même qu’ils se défient de leur confident.

Mais quand l’empoisonneuse en vint aux preuves qui lui avaient été données que sa haine s’était égarée, elle s’arrêta brusquement.

Ce certificat de mariage, signé du curé de Vigano, qu’en avait-elle fait, qu’était-il devenu? Elle se rappelait bien qu’elle l’avait tenu entre les mains.

Elle se dressa tout d’une pièce, fouilla dans sa poche et poussa un cri de joie. Elle le tenait, ce certificat! Elle le jeta dans un tiroir qu’elle ferma à clef.

Il y avait longtemps que tante Médie demandait à gagner sa chambre, mais Mme Blanche la conjura de ne pas s’éloigner. Elle ne voulait pas rester seule, elle n’osait pas, elle avait peur…

Et comme si elle eût espéré étouffer les voix qui s’élevaient en elle et l’épouvantaient, elle parlait avec une extrême volubilité, ne cessant de répéter qu’elle était prête à tout pour expier, et qu’elle allait tenter l’impossible pour retrouver l’enfant de Marie-Anne…

Et certes, la tâche était difficile et périlleuse.

Faire chercher cet enfant ouvertement, n’était-ce pas s’avouer coupable?… Elle serait donc obligée d’agir secrètement, avec beaucoup de circonspection, et en s’entourant des plus minutieuses précautions.

– Mais je réussirai, disait-elle, je prodiguerai l’argent…

Et se rappelant et son serment, et les menaces de Marie-Anne mourante, elle ajoutait d’une voix étouffée:

– Il faut que je réussisse, d’ailleurs… le pardon est à ce prix… j’ai juré!…

L’étonnement suspendait presque les larmes faciles de tante Médie.

Que sa nièce, les mains chaudes encore du meurtre, pût se posséder ainsi, raisonner, délibérer, faire des projets, cela dépassait son entendement.