Изменить стиль страницы

Cette piste si visible s’arrêtait à la maison de Chupin. La porte était fermée. Jean frappa sans hésiter.

L’aîné des fils du vieux maraudeur vint lui ouvrir, et il vit un spectacle étrange.

Le cadavre du traître avait été jeté à terre, dans un coin; le lit était bouleversé et brisé, toute la paille de la paillasse était éparpillée, et les fils et la femme du défunt, armés de pelles et de pioches, retournaient avec acharnement le sol battu de la masure. Ils cherchaient le trésor…

– Qu’est-ce que vous voulez?… demanda rudement la veuve.

– Le père Chupin…

– Tu vois bien qu’on l’a assassiné, répondit un des fils. Et brandissant son pic à deux pouces de la tête de Jean:

– Et l’assassin est peut-être dans ta chemise, canaille!… ajouta-t-il. Mais c’est l’affaire de la justice… Allons, décampe, ou sinon!…

S’il n’eût écouté que les inspirations de sa colère, Jean Lacheneur eût certes essayé de faire repentir les Chupin de leurs provocations et de leurs menaces…

Mais une rixe, en ce moment, était-elle admissible?

Il s’éloigna donc sans mot dire, et rapidement reprit la route de la Borderie.

Que Chupin eût été tué, cela renversait toutes ses idées et en même temps l’irritait.

– J’avais juré, murmurait-il, que le traître qui a vendu mon père ne périrait que de ma main, et voici que ma vengeance m’échappe, on me l’a volée!…

Puis, il se demandait quel pouvait bien être le meurtrier du vieux maraudeur.

– Serait-ce Martial, pensait-il, qui l’a assassiné après qu’il a eu empoisonné Marie-Anne?… Tuer un complice, c’est un moyen sûr de s’assurer de son silence!…

Il était arrivé à la Borderie, et déjà il prenait la rampe pour monter au premier étage, quand il crut entendre comme le murmure d’une conversation dans la pièce du fond.

– C’est étrange, se dit-il, qui donc serait là!…

Et, poussé par un mouvement instinctif de curiosité, il alla frapper à la porte de communication…

À l’instant même, l’abbé Midon parut, et retira brusquement la porte à lui. Il était plus pâle que de coutume, et visiblement agité.

– Qu’y a-t-il? monsieur le curé, demanda Jean vivement.

– Il y a… il y a… Devinez qui est là, de l’autre côté…

– Eh! comment deviner?…

– Maurice d’Escorval et le caporal Bavois.

Jean eut un geste de stupeur.

– Mon Dieu!… balbutia-t-il.

– Et c’est miracle qu’il ne soit pas monté.

– Mais d’où vient-il, comment n’avait-il pas donné de ses nouvelles!…

– Je l’ignore… Il n’y a pas cinq minutes qu’il est là… Pauvre garçon!… Après que je lui ai eu dit que son père est sauvé, son premier mot a été: «Et Marie-Anne?» Il l’aime plus que jamais… il arrive le cœur tout rempli d’elle, confiant, radieux d’espoir, et moi je tremble, j’ai peur de lui annoncer la vérité…

– Oh! le malheureux! le malheureux!…

– Vous voici prévenu, soyez prudent… et maintenant, venez.

Ils entrèrent ensemble, et c’est avec toutes les effusions de l’amitié la plus vive, que Maurice et le vieux soldat serrèrent les mains de Jean Lacheneur.

Ils ne s’étaient pas vus depuis le duel dans les landes de la Rèche, interrompu par l’arrivée des soldats, et quand ils s’étaient séparés ce jour-là, ils ne savaient pas s’ils se reverraient jamais…

– Et cependant nous voici réunis, répétait Maurice, et nous n’avons plus rien à craindre.

Jamais cet infortuné n’avait été si gai, et c’est de l’air le plus enjoué qu’il se mit à expliquer les raisons de son long silence.

– Trois jours après avoir passé la frontière, racontait-il, le caporal Bavois et moi arrivions à Turin. Franchement il était temps, nous étions épuisés de fatigue. J’avais tenu à descendre dans une assez piteuse auberge, et on nous avait donné une chambre à deux lits…

Je me rappelle que le soir, en nous couchant, le caporal me disait: «Je suis capable de dormir deux jours sans débrider.» Moi, je me promettais bien un somme de plus de douze heures… Nous comptions sans notre hôte, comme vous l’allez voir…

Il faisait à peine jour, le lendemain, quand nous sommes éveillés par un grand tumulte… Une douzaine de messieurs de mauvaise mine envahissent notre chambre, et nous commandent brutalement, en italien, de nous habiller… Nous n’étions pas les plus forts, nous obéissons. Et une heure plus tard, nous étions bel et bien en prison, enfermés dans la même cellule. Nos idées, j’en conviens, n’étaient pas couleur de rose…

Il me souvient parfaitement que le caporal ne cessait de me dire du plus beau sang-froid: «Pour obtenir notre extradition, il faut quatre jours, trois jours pour nous ramener à Montaignac, ça fait sept; mettons qu’on me laissera là-bas vingt-quatre heures pour me reconnaître, c’est en tout huit jours que j’ai encore à vivre.»

– C’est que, ma foi!… je le pensais, approuva le vieux soldat.

– Pendant plus de cinq mois, poursuivit Maurice, nous nous sommes dit, en guise de bonsoir: «C’est demain qu’on viendra nous chercher.» Et on ne venait pas.

Nous étions, d’ailleurs, convenablement traités; on m’avait laissé mon argent et on nous vendait volontiers certaines petites douceurs; on nous accordait, chaque jour, deux heures de promenade dans une cour aussi large qu’un puits; on nous prêtait même quelques livres…

Bref, je ne me serais pas trouvé extraordinairement à plaindre, si j’avais pu recevoir des nouvelles de mon père et de Marie-Anne et leur donner des miennes… Mais nous étions au secret, sans communications avec les autres prisonniers…

Enfin, à la longue, notre détention nous parut si étrange et nous devint si insupportable, que nous résolûmes, le caporal et moi, d’obtenir, quoi qu’il dût nous en coûter, des éclaircissements.

Nous changeâmes de tactique. Nous nous étions jusqu’alors montrés résignés et soumis, nous devînmes tout à coup indisciplinés et furieux. Nous remplissions la prison de nos protestations et de nos cris, nous demandions sans cesse le directeur; nous réclamions l’intervention de l’ambassadeur français.

Ah! le résultat ne se fit pas attendre.

Par une belle après-dîner, le directeur nous mit poliment dehors, non sans nous avoir exprimé le regret qu’il éprouvait de se séparer de pensionnaires de notre importance, si aimables et si charmants.

Notre premier soin, vous le comprenez, fut de courir à l’ambassade. Nous n’arrivâmes pas à l’ambassadeur, mais le premier secrétaire nous reçut. Il fronça le sourcil, dès que je lui eus exposé notre affaire, et sa mine devint excessivement grave.