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– Hein!… qu’est-ce, fit Chupin, vous êtes incommodée…

Et comme il n’avait pas ces scrupules, il enjamba le corps, enleva Mme Blanche comme un enfant et l’emporta…

Le vieux maraudeur était tout en joie. L’avenir ne l’inquiétait plus, maintenant que Mme Blanche était rivée à lui, par cette chaîne plus solide que celle des forçats, la complicité d’un crime.

Il se sentait sur la planche, ainsi qu’il se le disait, une vie de seigneur, des années de bombances et de ribotes. Les remords de sa délation, si terribles au commencement, ne le troublaient plus guère. Il se voyait nourri, logé, renté, vêtu, bien gardé surtout par une armée de domestiques.

Cependant, Mme Blanche, qui s’était trouvée mal, fut ranimée par le grand air.

– Je veux marcher, dit-elle.

Chupin la déposa à terre, à vingt pas de la maison. Alors, elle se souvint.

– Et tante Médie!… s’écria-t-elle.

La parente pauvre était là; pareille à ces chiens que leurs maîtres laissent à la porte des maisons où ils entrent, elle avait vu sortir sa nièce, portée par le vieux maraudeur, et instinctivement elle avait suivi.

– Il ne s’agit pas de causer, dit Chupin aux deux femmes, rentrez, je vais vous conduire.

Et prenant le bras de Mme Blanche, il se dirigea du côté du «bocage.»

– Ah! Marie-Anne avait un enfant, disait-il tout en hâtant le pas. Elle qui faisait tant sa Sainte-n’y-touche. Mais où diable a-t-elle mis le petit en nourrice?…

– Je chercherai…

– Hum!… c’est facile à dire…

Un rire strident, qui retentit dans l’obscurité, l’interrompit. Il lâcha le bras de Mme Blanche et tomba en garde…

Précaution vaine. Un homme caché derrière un tronc d’arbre bondit jusqu’à lui, et par quatre fois le frappa d’un couteau, en criant:

– Bonne Sainte Vierge, voilà mon vœu rempli! Je ne mangerai plus avec mes doigts.

– L’aubergiste!… murmura le traître en s’affaissant.

Pour une fois tante Médie eut de l’énergie.

– Viens! dit-elle, folle de peur, en entraînant sa nièce, viens, il est mort!

Pas tout à fait, car le traître eut la force de se traîner jusqu’à sa maison et d’y frapper.

Sa femme et son fils cadet dormaient. Son fils aîné qui rentrait du cabaret vint lui ouvrir.

Voyant son père à terre, ce garçon le crut ivre et voulut le relever; le vieux maraudeur le repoussa.

– Laisse-moi, dit-il, mon compte est réglé; écoute-moi plutôt… La fille à Lacheneur vient d’être empoisonnée par Mme Blanche… C’est pour t’apprendre ça que je suis venu crever ici… Ça vaut une fortune, mon gars… si tu n’es pas une bête…

Et il expira, sans avoir pu dire aux siens où il avait enfoui le prix du sang de Lacheneur.

XLVII

De tous les gens qui avaient été témoins de l’épouvantable chute du baron d’Escorval, l’abbé Midon avait été le seul à ne pas désespérer…

Il n’était pas médecin, de par le diplôme; mais il avait en sa vie, toute de dévouement, raccommodé tant de bras et «rebouté» tant de jambes, que les blessures, ainsi qu’il le disait, le connaissaient.

Ce que plus d’un savant docteur n’eût pas osé, il l’osa.

Il était prêtre, il avait la foi, il se souvint de la réponse sublime de modestie d’Ambroise Paré: «Je le pansai, Dieu le guérit.»

Le baron devait être guéri.

Après six mois passés à la ferme du père Poignot, M. d’Escorval se levait et s’essayait à marcher en s’aidant de béquilles.

C’est alors, surtout, qu’il souffrit du défaut d’espace, dans le grenier où la prudence le confinait, et c’est avec un véritable transport de joie qu’il accueillit l’idée de se réfugier à la Borderie, près de Marie-Anne.

Le jour du départ fixé, c’est avec l’impatience d’un écolier attendant les vacances qu’il compta pour ainsi dire les minutes. Il y a toujours de l’enfant, chez le convalescent qui se reprend à aimer la vie.

– J’étouffe, ici, répétait-il à sa femme, j’étouffe!… Comme le temps est long!… Quand donc arrivera le jour béni!…

Il arriva. Dès le matin, tous les objets que les proscrits avaient réussi à se procurer, pendant leur séjour à la ferme, furent réunis et empaquetés. Enfin, la nuit venue, le fils Poignot commença le déménagement.

– Tout est à la Borderie, dit ce brave garçon, au retour de son dernier voyage, Mlle Lacheneur ne demande à M. le baron qu’un bon appétit.

– Et j’en aurai, morbleu! répondit gaiement le baron. Nous en aurons tous!…

Dans la cour de la ferme, le père Poignot attelait lui-même son meilleur cheval à la charrette qui devait transporter M. d’Escorval.

Le brave homme était tout triste du départ de ces hôtes pour lesquels il s’était exposé à de si grands périls. Il sentait qu’ils lui manqueraient, qu’il trouverait la maison vide, qu’il regretterait peut-être jusqu’à ses soucis.

Il ne voulut laisser à personne le soin de disposer bien commodément dans la charrette un bon matelas.

– Allons!… voilà qu’il est temps de partir!… soupira-t-il quand il eut terminé.

Et lentement, il gravit l’étroit escalier du petit grenier.

M. d’Escorval n’avait pas prévu ce moment.

À la vue de l’honnête fermier qui s’avançait, rouge d’émotion, pour lui faire ses adieux, il oublia tout le bien-être qu’il se promettait à la Borderie, pour ne se souvenir que de la loyale et courageuse hospitalité de cette maison qu’il allait quitter. Son cœur se serra, et une larme roula dans ses yeux.

– Vous m’avez rendu un de ces services dont on ne s’acquitte pas, père Poignot, prononça-t-il, avec une gravité solennelle, vous m’avez sauvé la vie…

– Oh! ne parlons pas de ça, monsieur le baron. À ma place, vous eussiez fait comme moi, n’est-ce pas, ni plus ni moins…

– Soit!… je ne vous dirai même pas merci. J’espère maintenant vivre assez pour vous prouver que je ne suis pas un ingrat.

L’escalier était si raide et si étroit qu’on eut toutes les peines du monde à descendre le baron. On l’étendit sur le matelas, et en cas de fâcheuse rencontre, on étendit sur lui quelques brassées de paille qui le cachaient entièrement…

– Adieu donc!… dit le vieux fermier, ou plutôt au revoir, monsieur le baron, madame la baronne, et vous aussi monsieur le curé…

Puis, quand la dernière poignée de main eut été échangée: