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Ce qui est sûr, c’est que, dès qu’il fut envoyé en possession, il vendit tout, s’inquiétant peu du prix pourvu qu’on payât comptant.

Il ne s’était réservé que les meubles qui garnissaient la belle chambre de la Borderie, et il les brûla.

On connut cette particularité, et ce fut le comble.

– Ce pauvre garçon est fou! devint l’opinion généralement admise.

Et ceux qui doutaient n’eurent plus de doutes, quand on sut que Jean Lacheneur s’était engagé dans une troupe de comédiens de passage à Montaignac.

Les bons conseils, cependant, ne lui avaient pas manqué.

Pour déterminer ce malheureux jeune homme à retourner à Paris terminer ses études, M. d’Escorval et l’abbé Midon avaient mis en œuvre toute leur éloquence…

C’est que ni le prêtre, ni le baron n’avaient besoin de se cacher désormais. Grâce à Martial de Sairmeuse, ils vivaient au grand jour, comme autrefois, l’un à son presbytère, l’autre à Escorval.

Acquitté par un nouveau tribunal, rentré en possession de ses biens, ne gardant de son effroyable chute qu’une légère claudication, le baron se fût estimé heureux, après tant d’épreuves imméritées, si son fils ne lui eût causé les plus poignantes inquiétudes.

Pauvre Maurice!… son cœur s’était brisé au bruit sourd des pelletées de terre tombant sur le cercueil de Marie-Anne; et sa vie, depuis lors, semblait ne tenir qu’à l’espérance qu’il gardait encore de retrouver son enfant.

Du moins avait-il des raisons sérieuses d’espérer.

Sûr déjà du puissant concours de l’abbé Midon, il avait tout avoué à son père, il s’était confié au caporal Bavois devenu le commensal d’Escorval, et ces amis si dévoués lui avaient promis de tenter l’impossible.

La tâche était difficile cependant, et les volontés de Maurice diminuaient encore les chances de succès.

Au contraire de Jean, il mettait son honneur à garder l’honneur de la morte, et il avait exigé que le nom de Marie-Anne ne fût jamais prononcé.

– Nous réussirons quand même, disait l’abbé; avec du temps et de la patience, on vient à bout de tout…

Il avait divisé le pays en un certain nombre de zones, et chacun, chaque jour, en parcourait une, allant de porte en porte, interrogeant, questionnant, non sans précautions toutefois, de peur d’éveiller des défiances, car le paysan qui se défie devient intraitable.

Mais le temps passait, les recherches restaient vaines et le découragement s’emparait de Maurice.

– Mon enfant est mort en naissant… répétait-il.

Mais l’abbé le rassurait.

– Je suis moralement sûr du contraire, répondait-il. Je sais exactement, par une absence de Marie-Anne, à quelle époque est né son enfant. Je l’ai revue dès qu’elle a été relevée, elle était relativement gaie et souriante… tirez la conclusion.

– Et cependant il n’est bientôt plus, aux environs, un coin que nous n’ayons fouillé.

– Eh bien!… nous étendrons le cercle de nos investigations…

Le prêtre, en ce moment, cherchait surtout à gagner du temps, sachant bien que le temps est le guérisseur souverain de toutes les douleurs.

Sa confiance, très grande au commencement, avait été singulièrement altérée par la réponse d’une bonne femme qui passait pour une des meilleures langues de l’arrondissement.

Adroitement mise sur la sellette, cette vieille répondit qu’elle n’avait aucune connaissance d’un bâtard mis en nourrice dans les environs, mais qu’il fallait qu’il s’en trouvât quelqu’un, puisque c’était la troisième fois qu’on la questionnait à ce sujet…

Si grande que fut sa surprise, l’abbé sut la dissimuler.

Il fit encore causer la bonne femme, et d’une conversation de deux heures résulta pour lui une conviction étrange.

Deux personnes, outre Maurice, cherchaient l’enfant de Marie-Anne.

Pourquoi, dans quel but, quelles étaient ces personnes? voilà ce que toute la pénétration de l’abbé ne pouvait lui apprendre.

– Ah!… les coquins sont parfois nécessaires, pensait-il, ah! si nous avions sous la main des gens tels que les Chupin autrefois?

Mais le vieux maraudeur était mort, et son fils aîné, celui qui savait le secret de Mme Blanche était à Paris.

Il n’y avait plus à Sairmeuse que la veuve Chupin et son second fils.

Ils n’avaient pas su mettre la main sur les vingt mille francs de la trahison, et la fièvre de l’or les travaillant, ils s’obstinaient à chercher. Et, du matin au soir, on les voyait, la mère et le fils, la sueur au front, bêcher, piocher, creuser, retourner la terre jusqu’à six pieds de profondeur autour de leur masure.

Cependant il suffit d’un mot d’un paysan au cadet Chupin pour arrêter ces fouilles.

– Vrai, mon gars, lui dit-il, je ne te croyais pas si benêt que de t’obstiner à dénicher des oiseaux envolés depuis longtemps… ton frère qui est à Paris te dirait sans doute où était le trésor.

Chupin cadet eut un rugissement de bête fauve…

– Saint-bon Dieu!… s’écria-t-il, vous avez raison… Mais, laissez faire, je vais gagner de quoi faire le voyage, et on verra…

L

Plus encore que Mme Blanche, tante Médie avait été épouvantée de la visite si extraordinaire de Martial de Sairmeuse au château de Courtomieu.

En dix secondes, il lui passa par la cervelle plus d’idées qu’en dix ans.

Elle vit les gendarmes au château, sa nièce arrêtée, conduite à la prison de Montaignac et traduite en cour d’assises…

Il est vrai que si elle n’eût eu que cela à craindre!…

Mais elle-même, Médie, ne serait-elle pas compromise, soupçonnée de complicité, traînée devant les juges, et accusée, qui sait, d’être seule coupable!

Incapable de supporter une plus longue incertitude, elle s’échappa de sa chambre, et se glissant sur la pointe du pied dans le grand salon, elle alla coller son oreille à la porte du petit salon bleu, où elle entendait parler Blanche et Martial.

Dès les vingt premiers mots qu’elle recueillit, la parente pauvre reconnut l’inanité de ses terreurs.

Elle respira, comme si sa poitrine eût été soulagée d’un poids énorme, longuement et délicieusement. Mais une idée venait de germer dans sa cervelle, qui devait poindre, bientôt grandir, s’épanouir et porter des fruits.

Martial sorti, tante Médie ouvrit la porte de communication et entra dans le petit salon, avouant par ce seul fait qu’elle avait écouté…