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– Adieu!… cria-t-il, quand tu me reverras, le père sera vengé.

Elle se dressa pour se jeter sur lui, pour le retenir encore; trop tard.

Il avait ouvert la porte et s’était enfui.

– C’est fini, murmura l’infortunée, mon frère est perdu. Rien ne l’arrêtera plus maintenant.

Une crainte vague et cependant terrifiante, inexplicable et qui avait l’horreur de la réalité, étreignait son cœur jusqu’au spasme.

Elle se sentait comme entraînée dans un tourbillon de passions, de haines, de vengeances et de crimes, et une voix lui disait qu’elle y serait misérablement brisée.

Le cercle fatal du malheur qui l’entourait allait se rétrécissant autour d’elle de jour en jour.

Mais d’autres soucis devaient la distraire de ces pressentiments funèbres.

Un soir, pendant qu’elle dressait sa petite table dans la première pièce de la Borderie, elle entendit à la porte, qui était fermée au verrou, comme le bruissement d’une feuille de papier qu’on froisse.

Elle regarda. On venait de glisser une lettre sous la porte.

Bravement, sans hésiter, elle courut ouvrir… personne!

Il faisait nuit, elle ne distingua rien dans les ténèbres, elle prêta l’oreille, pas un bruit ne troubla le silence.

Toute agitée d’un tremblement nerveux, elle ramassa la lettre, s’approcha de la lumière et regarda l’adresse:

– Le marquis de Sairmeuse! balbutia-t-elle, stupéfiée.

Elle venait de reconnaître l’écriture de Martial.

Ainsi il lui écrivait, il osait lui écrire!…

Le premier mouvement de Marie-Anne fut de brûler cette lettre, et déjà elle l’approchait de la flamme, quand le souvenir de ses amis cachés à la ferme du père Poignot l’arrêta.

– Pour eux, pensa-t-elle, il faut que je la lise…

Elle brisa le cachet aux armes de Sairmeuse et lut:

«Ma chère Marie-Anne,

«Peut-être avez-vous deviné l’homme qui a su imprimer aux événements une direction toute nouvelle et certainement surprenante.

«Peut-être avez-vous compris les inspirations qui le guident.

«S’il en est ainsi, je suis récompensé de mes efforts, car vous ne pouvez plus me refuser votre amitié et votre estime…

«Cependant, mon œuvre de réparation n’est pas achevée. J’ai tout préparé pour la révision du jugement qui a condamné à mort le baron d’Escorval, ou pour son recours en grâce.

«Vous devez savoir où se cache M. d’Escorval, faites-lui connaître mes desseins, sachez de lui ce qu’il préfère ou de la révision ou de sa grâce pure et simple.

«S’il se décide pour un nouveau jugement, j’aurai pour lui un sauf-conduit de Sa Majesté.

«J’attends une réponse pour agir.

«MARTIAL DE SAIRMEUSE.»

Marie-Anne eut comme un éblouissement.

C’était la seconde fois que Martial l’étonnait par la grandeur de sa passion.

Voilà donc de quoi étaient capables deux hommes qui l’avaient aimée et qu’elle avait repoussés!

L’un, Chanlouineau, après être mort pour elle, la protégeait encore…

L’autre, le marquis de Sairmeuse, lui sacrifiait les convictions de sa vie et les préjugés de sa race, et jouait, pour elle, avec une magnifique imprudence, la fortune politique de sa maison…

Et cependant, celui qu’elle avait choisi, l’élu de son âme, le père de son enfant, Maurice d’Escorval, depuis cinq mois qu’il l’avait quittée, n’avait pas donné signe de vie.

Mais toutes ces pensées confuses s’effacèrent devant un doute terrible qui lui vint:

– Si la lettre de Martial cachait un piège!

Le soupçon ne se discute ni se s’explique: il est ou il n’est pas.

Tout à coup, brusquement, sans raison, Marie-Anne passa de la plus vive admiration à la plus extrême défiance.

– Eh! s’écria-t-elle, le marquis de Sairmeuse serait un héros, s’il était sincère!…

Or, elle ne voulait pas qu’il fût un héros.

Déjà elle en était à s’en vouloir comme d’une vilaine action, d’avoir pu, d’avoir osé comparer Maurice d’Escorval et le marquis de Sairmeuse.

Le résultat de ses soupçons fut qu’elle hésita cinq jours à se rendre à l’endroit où d’ordinaire l’attendait le père Poignot.

Elle n’y trouva pas l’honnête fermier, mais l’abbé Midon, fort inquiet de son absence.

C’était la nuit, mais Marie-Anne, heureusement, savait la lettre de Martial par cœur.

L’abbé la lui fit réciter à deux reprises, très lentement la seconde fois, et quand elle eut terminé:

– Ce jeune homme, dit le prêtre, a les vices et les préjugés de sa naissance et de son éducation, mais son cœur est noble et généreux.

Et comme Marie-Anne exposait ses soupçons:

– Vous vous trompez, mon enfant, interrompit-il, le marquis est certainement sincère. Ne pas profiter de sa générosité, serait une faute… à mon avis, du moins. Confiez-moi cette lettre, nous nous consulterons, le baron et moi, et demain je vous dirai notre décision…

Marie-Anne s’éloigna, toute agitée, et s’indignant de son agitation.

L’abbé, cet homme de tant d’expérience, et si froid, avait été ému des procédés de Martial et les avait admirés. Il l’avait loué avec une sorte d’enthousiasme, et il était allé jusqu’à dire que ce jeune marquis de Sairmeuse, comblé déjà de tous les avantages de la naissance et de la fortune, cachait peut-être, sous son insouciance affectée, un génie supérieur…

Elle s’arrêtait complaisamment à ces éloges de l’abbé, puis, tout à coup, s’en irritant:

– Eh! que m’importe!… répétait-elle, que m’importe!…

L’abbé Midon l’attendait avec une impatience fébrile, quand elle le rejoignit, vingt-quatre heures plus tard.

– M. d’Escorval est entièrement de mon avis, lui dit-il, nous devons nous abandonner au marquis de Sairmeuse. Seulement, le baron, qui est innocent, ne peut pas, ne veut pas accepter de grâce. Il demande la révision de l’inique jugement qui l’a condamné.

Encore qu’elle dût pressentir cette détermination, Marie-Anne parut stupéfiée.

– Quoi!… dit-elle, M. d’Escorval se livrera à ses ennemis, il se constituera prisonnier!…

– Le marquis de Sairmeuse ne promet-il pas un sauf conduit du roi?