Изменить стиль страницы

Elles approchèrent, en effet, mais au moment où elles arrivaient dans le petit jardin, la porte de la maison s’ouvrit si brusquement qu’elles n’eurent que le temps de se blottir contre un massif de lilas…

Marie-Anne sortait sans fermer sa porte à clef, l’imprudente. Elle descendit le petit sentier, gagna la grande route et disparut…

Mme Blanche, alors, saisit le bras de tante Médie, et le serrant à la faire crier:

– Attends-moi ici, lui dit-elle d’une voix rauque et brève, et quoi qu’il arrive, quoi que tu entendes, si tu veux finir tes jours à Courtomieu, pas un mot, ne bouge pas, je reviens…

Et elle entra dans la Borderie…

Marie-Anne, en s’éloignant, avait déposé un flambeau sur la table de la première pièce, Mme Blanche s’en empara, et hardiment elle se mit à parcourir tout le rez-de-chaussée.

Elle s’était fait tant de fois expliquer la distribution de la Borderie, que les êtres lui étaient familiers, elle se reconnaissait pour ainsi dire.

Et elle allait, poussée par une volonté plus forte que sa raison, tranquillement, comme si elle eût fait la chose du monde la plus naturelle, examinant chaque chose…

Malgré les descriptions de Chupin, la pauvreté de ce logis de paysan l’étonnait. Pas d’autre plancher que le sol raboteux, les murs étaient à peine passés à la chaux, et aux solives, toutes sortes de graines et de paquets d’herbes pendaient; de lourdes tables à peine équarries, quelques chaises grossières, des escabeaux et des bancs de bois constituaient tout le mobilier.

Marie-Anne, évidemment, habitait la pièce du fond. C’était la seule où il y eût un lit, un de ces immenses lits de campagne, larges et hauts, à baldaquin avec des colonnes torses, drapés de rideaux de serge verte glissant sur des tringles de fer.

À la tête du lit, accroché au mur, pendait un bénitier dont la croix retenait un rameau de buis desséché. Mme Blanche trempa son doigt dans le bénitier, il était plein d’eau bénite.

Devant la fenêtre, une tablette de bois blanc retenue par un crochet mobile, supportait un pot à eau et une cuvette de la faïence la plus commune.

– Il faut avouer, se dit Mme Blanche, que mon mari loge mal ses amours!…

Réellement, elle en était presque à se demander si la jalousie ne l’avait pas égarée.

Elle se rappelait les habitudes délicates de Martial, les recherches de son existence fastueuse, et elle ne savait pas comment les concilier avec ce dénûment. Puis, il y avait cette eau bénite!…

Ses doutes lui revinrent dans la cuisine.

Il y avait sur le fourneau un pot-au-feu qui «embaumait,» et sur des cendres chaudes, plusieurs casseroles où mijotaient des ragoûts.

– Tout cela ne peut être pour elle, murmura Mme Blanche.

Et le souvenir lui revenant de ces deux fenêtres du premier étage qu’elle avait vues illuminées par les clartés tremblantes de la flamme.

– C’est là-haut qu’il faut voir, pensa-t-elle.

L’escalier était dans la pièce du milieu, elle le savait; elle monta vivement, poussa une porte et ne put retenir un cri de surprise et de rage.

Elle se trouvait dans cette chambre dont Chanlouineau avait fait le sanctuaire de son grand amour, qu’il avait ornée avec le fanatisme de la passion, où il avait accumulé tout ce qu’on lui avait dit être le luxe des plus grands et des plus riches.

– Voilà donc la vérité!… se disait Mme Blanche, anéantie de stupeur, et moi qui tout à l’heure, en bas, doutais encore, qui me disais que c’était trop pauvre et trop froid pour l’adultère. Misérable dupe que je suis! En bas, ils ont tout disposé pour le monde, pour les allants et venants, pour les imbéciles… Ici, tout est arrangé pour eux. Le rez-de-chaussée, c’est l’apparence de l’austère sagesse, le premier étage, c’est la réalité de la débauche. Maintenant, je reconnais bien l’étonnante dissimulation de Martial. Il l’aime tant, cette vile créature qui est sa maîtresse, qu’il s’inquiète même de sa réputation… il se cache pour venir la voir, et voici le paradis mystérieux de leurs amours. C’est ici qu’ils se rient de moi, pauvre délaissée, dont le mariage n’a pas même eu de première nuit…

Elle avait souhaité la certitude; elle l’avait, croyait-elle, et foudroyante.

Eh bien! elle préférait encore cette horrible blessure de la vérité aux incessants coups d’épingle du soupçon.

Et comme si elle eût goûté une âpre jouissance à se prouver l’étendue de l’amour de Martial pour une rivale exécrée, elle inventoriait, en quelque sorte, les magnificences de la chambre, maniant la lourde étoffe de soie brochée des rideaux, sondant du bout du pied l’épaisseur des tapis.

Tout d’ailleurs attestait que Marie-Anne attendait quelqu’un: le feu clair, le grand fauteuil roulé près de l’âtre, les pantoufles brodées placées devant le fauteuil.

Et qui pouvait-elle attendre, sinon Martial? Sans doute, cet individu qui avait sifflé venait lui annoncer l’arrivée de son amant, et elle était sortie pour courir au-devant de lui.

Même, une circonstance futile prouvait que ce messager n’était pas attendu.

Sur la cheminée se trouvait un bol plein de bouillon encore fumant.

Il était clair que Marie-Anne s’apprêtait à le boire, quand elle avait été surprise par le signal…

Mais qu’importait ce détail à Mme Blanche!…

Elle se demandait quel profit tirer pour sa vengeance de sa découverte, lorsque ses yeux s’arrêtèrent sur une grande boîte de chêne, ouverte sur une table, près de la porte vitrée du cabinet de toilette, et toute remplie de fioles et de petits pots.

Machinalement, elle s’approcha, et parmi les flacons, elle en distingua deux, de verre bleus, bouchés à l’émeri, sur lesquels le mot: poison, était écrit au-dessus de caractères indéchiffrables.

Poison!… Mme Blanche fut plus d’une minute sans pouvoir détourner les yeux de ce mot qui la fascinait.

Une diabolique inspiration associait dans son esprit le contenu de ces flacons et le bol resté sur la cheminée.

– Et pourquoi pas!… murmura-t-elle, je m’esquiverais après…

Une réflexion terrible l’arrêta.

Martial allait rentrer avec Marie-Anne, qui pouvait dire que ce ne serait pas lui qui boirait le contenu du bol!…

– Dieu décidera!… murmura la jeune femme. Mieux vaut d’ailleurs savoir son mari mort qu’appartenant à une autre femme!…

Et d’une main ferme, elle prit au hasard un des flacons…

Depuis son entrée à la Borderie, Mme Blanche n’avait pas, on peut le dire, conscience de ses actes. La haine a des égarements qui troublent le cerveau comme les vapeurs de l’alcool.