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– Oui.

– Eh bien!…

Elle ne trouva pas d’objection, et d’un ton soumis:

– Puisqu’il en est ainsi, monsieur le curé, dit-elle, je vous demanderai le brouillon de la lettre que je dois écrire à M. Martial.

Le prêtre fut un moment sans répondre. Il était évident qu’il reculait devant ce qu’il avait à dire. Enfin, se décidant:

– Il ne faut pas écrire, fit-il.

– Cependant…

– Ce n’est pas que je me défie, je le répète, mais une lettre est indiscrète, elle n’arrive pas toujours à son adresse, ou elle s’égare… Il faut que vous voyez M. de Sairmeuse…

Marie-Anne recula, plus épouvantée que si un spectre eût jailli de terre sous ses pieds.

– Jamais! monsieur le curé, s’écria-t-elle, jamais!…

L’abbé Midon ne parut pas s’étonner.

– Je comprends votre résistance, mon enfant, prononça-t-il doucement; votre réputation n’a que trop souffert des assiduités du marquis de Sairmeuse…

– Oh! monsieur, je vous en prie…

– Il n’y a pas à hésiter, mon enfant, le devoir parle… Vous devez ce sacrifice au salut d’un innocent perdu par votre père…

Et aussitôt, sûr de l’empire de ce grand mot, devoir, sur cette infortunée, il lui expliqua tout ce qu’elle aurait à dire, et il ne la quitta qu’après qu’elle lui eût promis d’obéir…

Elle avait promis, l’idée ne lui vint pas de manquer à sa promesse, et elle fit prier Martial de se trouver au carrefour de la Croix-d ’Arcy… Mais jamais sacrifice ne lui avait été si douloureux.

Cependant, la cause de sa répugnance n’était pas celle que croyait l’abbé Midon. Sa réputation!… hélas! elle la savait à jamais perdue. Non, ce n’était pas cela!…

Quinze jours plus tôt, elle ne se fût pas seulement inquiétée de cette entrevue. Alors elle ne haïssait plus Martial, il est vrai, mais il lui était absolument indifférent, tandis que maintenant…

Peut-être, en choisissant pour le rencontrer le carrefour de la Croix-d ’Arcy, peut-être espérait-elle que cet endroit, qui lui rappelait tant de cruels souvenirs, lui rendrait quelque chose de ses sentiments d’autrefois…

Tout en suivant le chemin qui conduisait au rendez-vous, elle se disait que sans doute Martial la blesserait par ce ton de galanterie légère qui lui était habituel, et elle s’en réjouissait…

En cela elle se trompait.

Martial était extrêmement ému, elle le remarqua, si troublée qu’elle fût elle-même, mais il ne lui adressa pas une parole qui n’eût trait à l’affaire du baron.

Seulement, quand elle eut terminé, lorsqu’il eut souscrit à toutes les conditions:

– Nous sommes amis, n’est-ce pas? demanda-t-il tristement.

D’une voix expirante elle répondit:

– Oui.

Et ce fut tout. Il remonta sur son cheval que tenait un domestique et reprit à fond de train la route de Montaignac.

Clouée sur place, haletante, la joue en feu, remuée jusqu’au plus profond d’elle-même, Marie-Anne le suivit un moment des yeux, et alors une clarté fulgurante se fit dans son âme.

– Mon Dieu! s’écria-t-elle, quelle indigne créature suis-je donc!… Est-ce que je n’aime pas, est-ce que je n’aurais jamais aimé Maurice, mon mari, le père de mon enfant?

Sa voix tremblait encore d’une affreuse émotion quand elle raconta à l’abbé Midon les détails de l’entrevue. Mais il ne s’en aperçut pas. Il ne songeait qu’au salut de M. d’Escorval.

– Je savais bien, prononça-t-il, que Martial dirait Amen à tout. Je le savais si bien que toutes les mesures sont prises pour que le baron quitte la ferme… Il attendra, caché chez vous, le sauf-conduit de Sa Majesté…

Et comme Marie-Anne s’étonnait de la rapidité de cette décision:

– L’étroitesse du grenier et la chaleur compromettent la convalescence du baron, poursuivit l’abbé. Ainsi, apprêtez tout chez vous pour demain soir… La nuit venue, un des fils Poignot vous portera, en deux voyages, tout ce que nous avons ici. Vers onze heures, nous installerons M. d’Escorval sur une charrette, et, ma foi!… nous souperons tous à la Borderie…

Tout en regagnant son logis:

– Le ciel vient à notre secours, pensait Marie-Anne.

Elle songeait qu’elle ne serait plus seule, qu’elle aurait près d’elle Mme d’Escorval, qui lui parlerait de Maurice, et que tous ces amis qui l’entoureraient l’aideraient à chasser cette pensée de Martial qui l’obsédait.

Aussi, le lendemain était-elle plus gaie qu’elle ne l’avait été depuis bien des mois, et une fois, tout en arrangeant son petit ménage, elle se surprit à chanter.

Huit heures sonnaient, quand elle entendit un coup de sifflet…

C’était le signal du fils Poignot, qui apportait un fauteuil de malade, qu’on avait eu bien de la peine à se procurer, la trousse et la boîte de médicaments de l’abbé Midon, et un sac plein de livres…

Tous ces objets, Marie-Anne les disposa dans cette chambre du premier étage, que Chanlouineau avait voulu si magnifique pour elle, et qu’elle destinait au baron…

Elle sortit ensuite pour aller au devant du fils Poignot, qui avait annoncé qu’il allait revenir…

La nuit était noire, Marie-Anne se hâtait… elle n’aperçut pas dans son petit jardin, près d’un massif de lilas, deux ombres immobiles…

XLV

Pris par Mme Blanche en flagrant délit de mensonge ou tout au moins de négligence, Chupin demeura un moment interloqué.

Il voyait s’évanouir cette perspective tant caressée d’une retraite à Courtomieu; il voyait se tarir brusquement une source de faciles bénéfices qui lui permettaient d’épargner son trésor et même de le grossir.

Néanmoins il reprit son assurance, et d’un beau ton de franchise:

– Il se peut bien que je ne sois qu’une bête, dit-il à la jeune femme, mais je ne tromperais pas un enfant. On vous aura fait un faux rapport.

Mme Blanche haussa les épaules.

– Je tiens, dit-elle, mes renseignements de deux personnes qui, certes, ignoraient l’intérêt qu’ils avaient pour moi, et qui n’ont pu s’entendre…

– Aussi vrai que le soleil nous éclaire, je vous jure…

– Ne jurez pas… Avouez tout simplement avoir manqué de zèle.

L’accent de la jeune femme trahissait une certitude si forte, que Chupin cessa de nier et changea de tactique.