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Se grimant d’humilité, il confessa que la veille, en effet, il s’était relâché de sa surveillance; il avait eu des affaires, un de ses gars, le cadet, s’était foulé le pied, puis il avait rencontré des amis, on l’avait entraîné au cabaret, on l’avait régalé, il avait bu plus que de coutume, de sorte que…

Il parlait de ce ton pleurnicheur et patelin qui est la ressource suprême de tout paysan serré de près, et à chaque moment il s’interrompait pour affirmer sur sa grande foi son repentir, ou pour se bourrer de coups de poing en s’adressant des injures.

– Vieil ivrogne! disait-il, cela t’apprendra… Maudite boisson!…

Mais ce luxe de protestations, loin de rassurer Mme Blanche, ne faisait que fortifier le soupçon qui lui était venu.

– Tout cela est bel et bien, père Chupin, interrompit-elle d’un ton fort sec, qu’allez-vous faire maintenant pour réparer votre maladresse?…

Une fois encore la physionomie du vieux maraudeur changea, et, feignant la plus violente colère:

– Ce que je compte faire!… s’écria-t-il; oh! on le verra bien. Je prouverai qu’on ne se moque pas de moi impunément. D’abord, je plante là le marquis de Sairmeuse pour ne m’occuper que de cette gueuse de Marie-Anne. Tout près de la Borderie, il y a un petit bocage; dès ce soir je m’y installe, et je veux que le diable me brûle s’il entre un chat dans la maison sans que je le voie.

– Peut-être votre idée est-elle bonne.

– Oh! j’en réponds.

Mme Blanche n’insista pas, mais sortant sa bourse de sa poche, elle en tira trois louis qu’elle tendit à Chupin, en lui disant:

– Prenez, et surtout ne vous enivrez plus. Encore une faute comme celle-ci, et je me verrais forcée de m’adresser à un autre.

Le vieux maraudeur s’en alla sifflotant et tout tranquillisé.

On l’employait encore, donc il pouvait toujours compter sur ses invalides…

Il avait tort de se rassurer ainsi. La générosité de Mme Blanche n’était qu’une ruse destinée à masquer ses défiances.

– Je ne dois rien en laisser paraître, pensait-elle, tant que je n’aurai pas une preuve.

Et dans le fait, pourquoi ne l’eût-il pas trahie, ce misérable, dont le métier était de trahir!… Quelle raison avait-elle d’ajouter foi à ses rapports? Elle le payait!… La belle affaire! D’autres, en le payant mieux devaient certainement avoir la préférence!

Qui assurait Mme Blanche que, tandis qu’elle pensait faire surveiller, elle n’était pas surveillée elle-même!… Elle eût reconnu à ce trait la duplicité du marquis de Sairmeuse, de son mari.

Mais comment savoir et savoir vite surtout? Ah! elle n’apercevait qu’un moyen, désagréable sans doute, mais sûr: épier elle-même son espion.

Cette idée l’obséda si bien, que le dîner terminé, et comme la nuit tombait, elle appela tante Médie.

– Prends ta mante, bien vite, tante, commanda-t-elle, j’ai une course à faire et tu m’accompagnes.

La parente pauvre étendit la main vers un cordon de sonnette, sa nièce l’arrêta.

– Tu te passeras de femme de chambre, lui dit-elle, je ne veux pas qu’on sache au château que nous sortons.

– Nous irons donc seules?

– Seules.

– Comme cela, à pied, la nuit…

– Je suis pressée, tante, interrompit durement Mme Blanche, et je t’attends.

En un clin d’œil la parente pauvre fut prête.

On venait de coucher le marquis de Courtomieu, les domestiques dînaient, Mme Blanche et tante Médie purent gagner, sans être vues, une petite porte du jardin qui donnait sur la campagne.

– Où allons-nous, mon Dieu!… gémissait tante Médie.

– Que t’importe!… viens…

Mme Blanche allait à la Borderie.

Elle eût pu prendre la route qui borde l’Oiselle, mais elle préféra couper à travers champs, jugeant que de cette façon elle était sûre de ne rencontrer personne.

La nuit était magnifique mais très obscure, et à chaque instant les deux femmes étaient arrêtées par quelque obstacle, haie vive ou fossé. Deux fois Mme Blanche perdit sa direction. La pauvre tante Médie se heurtait à toutes les mottes de terre, trébuchait à tous les sillons, elle geignait, elle pleurait presque, mais sa terrible nièce était impitoyable.

– Marche, lui disait-elle, ou je te laisse, tu retrouveras ton chemin comme tu pourras.

Et la parente pauvre marchait.

Enfin, après une course de plus d’une heure, Mme Blanche respira. Elle reconnaissait la maison de Chanlouineau. Elle s’arrêta dans le petit bois que Chupin appelait «le bocage.»

– Sommes-nous donc arrivées? demanda tante Médie.

– Oui, mais tais-toi, reste là, je veux voir quelque chose.

– Quoi! tu me laisses seule?… Blanche, je t’en prie, que veux-tu faire?… Mon Dieu, tu m’épouvantes… j’ai peur, Blanche!…

Déjà la jeune femme s’était éloignée. Elle parcourait en tous sens le petit bois, cherchant Chupin. Elle ne le trouva pas.

– J’avais deviné, pensait-elle, les dents serrées par la colère, le misérable me jouait. Qui sait si Martial et Marie-Anne ne sont pas là, dans cette maison, se moquant de moi, riant de ma crédulité!…

Elle rejoignit tante Médie à demi-morte de frayeur, et toutes deux s’avancèrent jusqu’à la lisière du «bocage,» à un endroit d’où l’on découvrait la façade de la Borderie.

Deux fenêtres au premier étage étaient éclairées de lueurs rougeâtres et mobiles… Evidemment il y avait du feu dans la pièce.

– C’est juste, murmura Mme Blanche, Martial est si frileux!

Elle songeait à s’avancer encore, quand un coup de sifflet la cloua sur place.

Elle regarda de tous côtés, et malgré l’obscurité, elle aperçut au milieu du sentier qui allait de la Borderie à la grande route, un homme chargé d’objets qu’elle ne distinguait pas…

Presque aussitôt, une femme, Marie-Anne, certainement, sortit de la maison et marcha à la rencontre de l’homme.

Ils ne se dirent que deux mots, et rentrèrent ensemble à la Borderie. Puis, l’homme ressortit, sans son fardeau, et s’éloigna.

– Qu’est-ce que cela signifie!… murmurait Mme Blanche.

Patiemment, pendant plus d’une demi-heure, elle attendit, et comme rien ne bougeait:

– Approchons, dit-elle à tante Médie, je veux regarder par les fenêtres.