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Elle ignorait encore que l’assassin exècre sa victime, uniquement parce qu’il l’a tuée.

– Oui, répondit-elle, c’est bien de Marie-Anne que j’entendais parler.

– Eh bien!… ni vu ni connu, il faut qu’elle ait filé, la gueuse, avec un autre de ses amants, Maurice d’Escorval.

– Vous vous trompez…

– Oh!… pas du tout!… De tous ces Lacheneur, il n’est resté ici que le fils Jean, qui vit comme un vagabond qu’il est, de pillage et de vol… Nuit et jour, il erre dans les bois, le fusil sur l’épaule. Il est effrayant à voir, maigre autant qu’un squelette, avec des yeux qui brillent comme des charbons… S’il me rencontrait jamais, celui-là, mon compte serait vite réglé…

Mme Blanche avait pâli… C’était Jean Lacheneur qui avait tiré sur le marquis de Courtomieu… elle n’en doutait pas…

– Eh bien! moi, dit-elle, je suis sûre que Marie-Anne est dans le pays, à Montaignac probablement… Il me la faut, je la veux! Tâchez d’avoir découvert sa retraite lundi, nous nous retrouverons ici.

– Je chercherai, répondit Chupin.

Il chercha en effet; et avec ardeur, déployant toute son adresse: en vain.

D’abord toutes ses démarches étaient paralysées par les précautions qu’il prenait contre Balstain et contre Jean Lacheneur. D’un autre côté, personne dans le pays n’eût consenti à lui donner le moindre renseignement.

– Toujours rien! disait-il à Mme Blanche à chaque entrevue.

Mais elle ne se rendait pas… La jalousie ne se rend jamais, même à l’évidence.

Mme Blanche s’était dit que Marie-Anne lui avait enlevé son mari, que Martial et elle s’aimaient, qu’ils cachaient leur bonheur aux environs, qu’ils la raillaient et la bravaient… Donc cela devait être, encore que tout lui démontrât le contraire…

Un matin, cependant, elle trouva son espion radieux.

– Bonne nouvelle!… lui cria-t-il dès qu’il l’aperçut, nous tenons enfin la coquine!

XLIII

C’était le surlendemain du jour où, sur l’ordre formel de l’abbé Midon, Marie-Anne était allée s’établir à la Borderie.

On ne s’entretenait que de cette prise de possession dans le pays, et le testament de Chanlouineau était le texte de commentaires infinis.

– Voilà la fille de M. Lacheneur avec plus de deux cents pistoles de rentes, faisaient les vieux d’un air grave, sans compter encore la maison…

– Une honnête fille n’aurait pas tant de chance que ça! murmuraient quelques filles laides qui ne trouvaient pas de mari.

Jusqu’alors on n’était pas parfaitement sûr que Marie-Anne eût été la «bonne amie» de Chanlouineau. Même après la chute de M. Lacheneur on apercevait entre eux une distance difficile à franchir. La donation leva tous les doutes. Comment expliquer autrement cette magnificence posthume?

Voilà cependant quelles grandes nouvelles Chupin apportait à Mme Blanche et pourquoi, lui, toujours sombre, il paraissait si joyeux.

Elle l’écoutait, frémissante de colère, les poings si convulsivement serrés que les ongles lui entraient dans les chairs.

– Quelle audace!… répétait-elle d’une voix étranglée, quelle impudence!…

Le vieux maraudeur semblait de cet avis.

– Le fait est, grommela-t-il d’un air de dégoût, qu’elle eût pu attendre que le lit de Chanlouineau fût refroidi, avant de s’en emparer.

Il branla la tête, et comme en à-parte:

– Que chacun de ses amants lui en donne autant, et elle sera plus riche qu’une reine, elle aura de quoi acheter Sairmeuse et Courtomieu.

Si Chupin avait eu l’intention de tisonner la rage de Mme Blanche, il dut être satisfait.

– Et c’est une telle femme qui m’a enlevé le cœur de Martial!… s’écria-t-elle. C’est pour cette misérable qu’il m’abandonne!… Quels philtres ces créatures font-elles donc boire à leurs dupes!…

L’indignité prétendue de cette infortunée, en qui sa jalousie lui montrait une rivale, transportait Mme Blanche à ce point qu’elle oubliait la présence de Chupin; elle cessait de se contraindre, elle livrait sans restrictions le secret de ses souffrances.

– Au moins, reprit-elle, êtes-vous bien sûr de ce que vous me dites, père Chupin?

– Comme je suis sûr que vous êtes là.

– Qui vous a dit tout cela?

– Personne… on a des yeux. J’ai poussé hier jusqu’à la Borderie, et j’ai vu tous les volets ouverts. Marie-Anne se carrait à une fenêtre. Elle n’est seulement pas en deuil, la gueuse!…

C’est qu’en effet, jusqu’à ce jour, la pauvre Marie-Anne en avait été réduite à la robe que Mme d’Escorval lui avait prêtée le soir du soulèvement, pour qu’elle pût quitter ses habits d’homme.

Le vieux maraudeur voulait continuer à scarifier Mme Blanche de ses observations méchantes, elle l’interrompit d’un geste.

– Ainsi, demanda-t-elle, vous connaissez la Borderie?

– Pardienne!

– Où est-ce?

– Juste en face des moulins de l’Oiselle, de ce côté de la rivière, à une lieue et demie d’ici, à peu près…

– C’est juste. Je me rappelle maintenant. Y êtes-vous entré quelquefois?…

– Plus de cent fois, du vivant de Chanlouineau.

– Alors il faut me donner la topographie de l’habitation.

Les yeux de Chupin s’écarquillèrent prodigieusement.

– Vous dites?… interrogea-t-il, ne comprenant pas.

– Je veux dire: expliquez-moi comment la maison est bâtie.

– Ah!… comme cela, j’entends… Pour lors, elle est construite en plein champ, à une demi-portée de fusil de la grande route. Devant, il y a une manière de jardin, et derrière un grand verger qui n’est pas clos de murs, mais seulement entouré d’une petite haie vive. Tout autour sont des vignes, excepté à gauche, où se trouve un bocage qui ombrage un cours d’eau.

Il s’arrêta tout à coup, et clignant de l’œil.

– Mais à quoi peuvent vous servir tous ces renseignements? demanda-t-il.

– Que vous importe!… Comment est l’intérieur?

– Comme partout: trois grandes chambres carrelées qui se commandent, une cuisine, une autre petite pièce noire…

– Voilà pour le rez-de-chaussée. Passons à l’étage supérieur.

– C’est que… dame!… je n’y suis jamais monté.

– Tant pis. Comment sont meublées les pièces que vous avez visitées?…