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Ce fut par un des jardiniers de Courtomieu que Mme Blanche connut d’abord toute cette histoire.

Ne se sachant pas écouté par la fille de l’homme qui avait suscité et payé la trahison, ce jardinier racontait librement ce qu’il savait à deux de ses aides, et, tout en parlant, il s’animait et rougissait d’indignation.

– Ah!… c’est une fière canaille que ce vieux, répétait-il, qui devrait être aux galères et non en liberté dans un pays de braves gens!…

De ces imprécations, une bonne part retombait sur le marquis de Courtomieu, mais Mme Blanche ne le remarquait seulement pas.

Elle se recueillait, comprenant d’instinct une des lois immuables qui régissent les individus et que ne sauraient changer les plus habiles transactions sociales.

Le crime, fatalement attire le mépris, qui provoque la révolte et un nouveau crime.

– Voilà bien l’homme qu’il te faudrait… murmurait à l’oreille de Mme Blanche la voix de la haine…

Certes!… Mais comment arriver jusqu’à lui? comment entrer en pourparlers?

Aller chez Chupin, c’était s’exposer à être aperçue entrant dans sa maison ou en sortant. Mme Blanche était trop prudente pour avoir seulement l’idée de courir un tel risque.

Mais elle songea que du moment où le vieux braconnier chassait quelquefois dans les bois de Courtomieu, il ne devait pas être impossible de l’y rencontrer… par hasard.

– Ce sera, se dit-elle déjà toute decidée, l’affaire d’un peu de persévérance et de quelques promenades adroitement dirigées.

Ce fut l’affaire de deux grandes semaines et de tant de courses, que tante Médie, l’inévitable chaperon de la jeune femme, en était sur les dents.

– Encore une nouvelle lubie!… gémissait la parente pauvre, rendue de fatigue, ma pauvre nièce est décidément folle.

Pas si folle, car par une belle après-midi du mois de mai, dans les derniers jours, Mme Blanche aperçut enfin celui qu’elle cherchait.

C’était dans la partie réservée du bois de Courtomieu, tout près des étangs.

Chupin s’avançait au milieu d’une large allée de chasse, le doigt sur la détente de son fusil.

Il s’avançait à la manière des bêtes traquées, d’un pas muet et inquiet, tout ramassé sur lui-même comme pour prendre son élan, l’oreille au guet, le regard défiant… Ce n’est pas qu’il craignit les gardes, mon Dieu! ni un procès-verbal; seulement, dès qu’il sortait, il lui semblait voir Balstain marchant dans son ombre, son couteau ouvert à la main…

Reconnaissant Mme Blanche de loin, il voulut se jeter sous bois, mais elle le prévint, et enflant la voix à cause de la distance.

– Père Chupin!… cria-t-elle.

Le vieux maraudeur parut hésiter, mais il s’arrêta, laissant glisser jusqu’à terre la crosse de son fusil, et il attendit.

Tante Médie était devenue toute pâle de saisissement.

– Doux Jésus! murmura-t-elle en serrant le bras de sa nièce, pourquoi appeler ce vilain homme!…

– Je veux lui parler.

– Comment, toi, Blanche, tu oserais…

– Il le faut.

– Non, je ne puis souffrir cela, je ne dois pas…

– Oh!… assez, interrompit là jeune femme, avec un de ces regards impérieux qui fondaient comme cire les volontés de la parente pauvre, assez, n’est-ce pas…

Et plus doucement:

– J’ai besoin de causer avec lui, ajouta-t-elle. Toi, pendant ce temps, tante Médie, tu vas te tenir un peu à l’écart… Regarde bien de tous les côtés… Si tu apercevais quelqu’un, n’importe qui, tu m’appellerais… Allons, va, tante, fais cela pour moi.

La parente pauvre, comme toujours, se résigna et obéit, et Mme Blanche s’avança vers le vieux braconnier qui était resté en place, aussi immobile que les troncs d’arbres qui l’entouraient…

– Eh bien!… mon brave père Chupin, commença-t-elle dès qu’elle fut à quatre pas de lui, vous voici donc en chasse…

– Qu’est-ce que vous me voulez!… interrompit-il brusquement, car vous me voulez quelque chose, n’est-ce pas, vous avez besoin de moi?…

Il fallut à Mme Blanche un effort pour dominer un mouvement d’effroi et de dégoût; ce qui n’empêche que c’est du ton le plus résolu qu’elle dit:

– Eh bien! oui, j’ai un service à vous demander…

– Ah! ah!…

– Un très léger service, du reste, qui vous coûtera peu de peine et qui vous sera bien payé.

Elle disait cela d’un petit air détaché, comme si véritablement il ne se fût agi que de la moindre des choses. Mais si bien que fût joué son insouciance le vieux maraudeur n’en parut pas dupe.

– On ne demande pas des services si légers que cela à un homme comme moi, fit-il brutalement. Depuis que j’ai servi la bonne cause d’après mes moyens, selon qu’on le demandait sur les affiches, et au péril de ma vie, tout un chacun se croit le droit de venir, argent en main, me marchander des infamies… C’est vrai que les autres m’ont payé; mais tout l’or qu’ils m’ont donné, je voudrais pouvoir le faire fondre et le leur couler brûlant dans le ventre!… Allez!… je sais ce qu’il en coûte aux petits d’écouter les paroles des gros! Passez votre chemin, et si vous avez des abominations en tête, faites-les vous-même!…

Il remit son fusil sur l’épaule, et il allait s’éloigner, quand une inspiration soudaine, véritable éclair de la haine, illumina l’esprit de Mme Blanche.

– C’est parce que je sais votre histoire, prononça-t-elle froidement, que je vous ai arrêté. J’imaginais que vous me serviriez volontiers, moi qui hais les Sairmeuse.

Cet aveu cloua sur place le vieux braconnier.

– Je crois bien, en effet, dit-il, que vous haïssez les Sairmeuse en ce moment… Ils vous ont plantée là, sans gêne, tout comme moi; seulement…

– Eh bien?

– Avant un mois, vous serez réconciliés… Et qui payera les frais de la guerre et de la paix? Toujours Chupin, le vieil imbécile…

– Jamais.

Le traître cherchait des objections, mais il était ébranlé.

– Hum!… grommela-t-il, jamais il ne faut dire: «Fontaine je ne boirai pas de ton eau.» Enfin, si je vous aidais, que m’en reviendrait-il?

– Je vous donnerai ce que vous me demanderez, de l’argent, de la terre, une maison…

– Grand merci!… Je veux autre chose.

– Quoi? Faites vos conditions.

Chupin se recueillit un moment, puis d’un air grave: