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C’est que le moment approchait où il allait lui falloir un confident, des secours, des soins… et elle ne savait à qui se confier.

En cette extrémité, et lorsque véritablement elle perdait la tête, elle se souvint de ce vieux médecin qui avait reconnu son état à Saliente, qui lui avait témoigné un si paternel intérêt, et qui avait été un des témoins de son mariage à Vigano.

– Celui-là me sauverait, s’écria-t-elle, s’il savait, s’il était prévenu!…

Elle n’avait ni à temporiser ni à réfléchir; elle écrivit sur-le-champ au vieux médecin et chargea un jeune gars des environs de porter sa lettre à Vigano.

– Le monsieur a dit que vous pouviez compter sur lui, dit à son retour le jeune commissionnaire.

Ce soir-là, en effet, Marie-Anne entendit frapper à sa porte. C’était bien cet ami inconnu qui venait à son secours…

Cet honnête homme resta quinze jours caché à la Borderie…

Quand il partit un matin, avant le jour, il emportait sous son grand manteau, un enfant, – un garçon, – dont il avait juré les larmes aux yeux de prendre soin comme de son enfant à lui…

Marie-Anne avait repris son train de vie…

Personne, dans le pays, n’eut seulement un soupçon.

XLII

Pour quitter Sairmeuse sans violences, noblement et froidement, il avait fallu à Mme Blanche des efforts surhumains et toute l’énergie de sa volonté.

La plus épouvantable colère grondait en elle, pendant que, drapée de dignité mélancolique, elle murmurait des paroles de mansuétude et de pardon.

Ah! si elle n’eût écouté que les inspirations de ses ressentiments!…

Mais son indomptable vanité l’enflammait de l’héroïsme du gladiateur mourant dans l’arène, le sourire aux lèvres…

Tombant, elle prétendait tomber avec grâce.

– Nul ne me verra pleurer, personne ne m’entendra me plaindre, disait-elle à son père, plus abattu qu’elle, sachez m’imiter.

Et dans le fait, elle fut stoïque, à son retour au château de Courtomieu.

Son visage, pâli, resta de marbre sous les regards des domestiques ébahis, qui semblaient attendre l’explication de cette catastrophe inouïe.

– On m’appellera «Mademoiselle» comme par le passé, dit-elle d’un ton impérieux. Quiconque oublierait cet ordre serait renvoyé.

Une femme de chambre l’oublia le soir même et prononça le mot défendu: «Madame…» La pauvre fille fut chassée sur l’heure, sans miséricorde, malgré ses protestations et ses larmes.

Tous les gens du château étaient indignés.

– Espère-t-elle donc, disaient-ils, nous faire oublier qu’elle est mariée et que son mari l’a plantée là!…

Hélas! elle eût voulu l’oublier elle-même.

Elle eût voulu anéantir jusqu’au souvenir de cette fatale journée du 17 avril, qui l’avait vue jeune fille, épouse et veuve, entre le lever et le coucher du soleil.

Veuve!… ne l’était-elle pas, par le fait?…

Seulement ce n’était pas la mort qui lui avait ravi son mari; c’était, pensait-elle, une autre femme, une rivale, une infâme et perfide créature, une fille perdue d’honneur, Marie-Anne enfin.

Et elle, cependant, ignominieusement abandonnée, dédaignée, repoussée, elle ne s’appartenait plus.

Elle appartenait à l’homme dont elle portait le nom comme une livrée de servitude, qui ne voulait pas d’elle, qui la fuyait…

Elle n’avait pas vingt ans et c’en était fait de sa jeunesse, de sa vie, de ses espérances, de ses rêves même.

Le monde la condamnait sans appel ni recours à vivre seule, désolée… pendant que Martial, lui, libre de par les préjugés, étalerait au grand jour ses amours adultères.

Alors elle connut l’horreur de l’isolement. Pas une âme à qui se confier en sa détresse. Pas une voix attendrie pour la plaindre!…

Elle avait deux amies préférées, autrefois; elles étaient inséparables au Sacré-Cœur, mais sortie du couvent elle les avait éloignées par ses hauteurs, ne les trouvant ni assez nobles ni assez riches pour elle…

Elle en était réduite aux irritantes consolations de tante Médie, une brave et digne personne, certes, mais dont l’intelligence avait fléchi sous les mauvais traitements, et dont les larmes banales coulaient aussi abondantes pour la perte d’un chat que pour la mort d’un parent.

Vaillante, cependant, Mme Blanche se jura qu’elle renfermerait en son cœur le secret de ses désespoirs.

Elle se montra, comme au temps où elle était jeune fille, elle porta audacieusement les plus belles robes de sa corbeille, elle sut se contraindre à paraître gaie et insouciante.

Mais le dimanche suivant, ayant osé aller à la grand’messe au village de Sairmeuse, elle comprit l’inanité de ses efforts.

On ne la regardait pas d’un air surpris ni haineux, mais on tournait la tête sur son passage pour rire aux éclats. Elle put même entendre sur son état de demoiselle-veuve, des quolibets qui lui entrèrent dans l’esprit comme des pointes de fer rouge.

On se moquait… Elle était ridicule!… Ce fut le comble.

– Oh!… Il faudra qu’on me paye tout cela, répétait-elle.

Mais Mme Blanche n’avait pas attendu cette suprême injure pour songer à se venger, et elle avait trouvé son père prêt à la seconder.

Pour la première fois, le père et la fille avaient été d’accord.

– Le duc de Sairmeuse saura ce qu’il en coûte, disait M. de Courtomieu, de prêter les mains à l’évasion d’un condamné et d’insulter ensuite un homme comme moi!… Fortune politique, position, faveur, tout y passera!… Je veux le voir ruiné, déconsidéré, à mes pieds!… Tu verras… tu verras!…

Malheureusement pour lui, le marquis de Courtomieu avait été malade trois jours, après les scènes de Sairmeuse, et il avait perdu trois autres jours à composer et à écrire un rapport qui devait écraser son ancien allié.

Ce retard devait le perdre, car il permit à Martial de prendre les devants, de bien mûrir son plan, et de faire partir pour Paris le duc de Sairmeuse, habilement endoctriné…

Que raconta le duc à Paris?… Que dit-il au roi qui daigna le recevoir?…

Il démentit sans doute ses premiers rapports, il réduisit le soulèvement de Montaignac à ses proportions réelles, il présenta Lacheneur comme un fou et les paysans qui l’avaient suivi comme des niais inoffensifs.

Peut-être donna-t-il à entendre que le marquis de Courtomieu pouvait fort bien avoir provoqué ce soulèvement de Montaignac… Il avait servi Buonaparte, il tenait à montrer son zèle; on savait des exemples…