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Ce fut M. Lacheneur qui perdit contenance.

– Je ne sais ce que vous voulez dire, balbutia-t-il, oubliant sa feinte colère; je n’ai pas de projets…

– En feriez-vous serment?… Alors pourquoi ces balles que vous êtes occupés à fondre?… Conspirateurs maladroits!… Il fallait au moins fermer votre porte, un autre que moi pouvait entrer…

Il dit, et joignant l’exemple au précepte, il se retourna et alla pousser le verrou.

– Ceci n’est qu’une imprudence, poursuivit-il… Mais répondre: «Arrière!» au soldat qui vient à vous librement serait une faute dont vos complices auraient le droit de vous demander compte. Je ne prétends pas, entendez-moi bien, forcer votre confiance… Non. C’est les yeux fermés que je me donne, corps et âme. Quelle que soit votre cause, je la déclare mienne… Ce que vous voulez, je le veux; j’adopte vos plans, vos ennemis sont les miens… Commandez, j’obéirai… Je ne réclame qu’une grâce, celle de combattre, de triompher ou de me faire tuer à vos côtés!

– Oh! refusez, mon père!… s’écria Marie-Anne, refusez… Accepter serait un crime que vous ne commettrez pas!…

– Un crime!… Et pourquoi, s’il vous plaît?…

– Parce que, malheureux, notre cause n’est pas la vôtre, parce que le but est incertain, le succès improbable… parce que le danger est partout, de tous côtés!…

Une exclamation dédaigneuse et ironique de Maurice l’interrompit.

– Et c’est vous, prononça-t-il, vous, qui pensez m’arrêter en me montrant les dangers que vous bravez…

– Maurice!…

– Ainsi donc, si un péril me menaçait, imminent, immense, au lieu de me prêter secours, vous m’abandonneriez?… Vous vous cacheriez lâchement, en vous disant: «Qu’il périsse, pourvu que je sois sauvé!» Parlez!… est-ce là véritablement ce que vous feriez?…

Elle détourna la tête et ne répondit pas. Elle ne se sentait pas la force de mentir, et elle ne voulait pas dire: «J’agirais comme vous.»

Maintenant, elle s’en remettait à la décision de son père.

– Si je me rendais à vos prières, Maurice, dit M. Lacheneur, avant trois jours vous me maudiriez et vous nous perdriez par quelque éclat. Vous aimez Marie-Anne… saurez-vous voir d’un œil impassible sa position affreuse? Songez qu’elle ne doit décourager absolument ni Chanlouineau, ni le marquis de Sairmeuse. Vous me regardez… Oh! je le sais aussi bien que vous, c’est un rôle indigne que je lui impose, un rôle odieux où elle laissera ce qu’une jeune fille a de plus précieux en ce monde… sa réputation.

Maurice ne sourcilla pas.

– Soit! prononça-t-il froidement. Le sort de Marie-Anne sera celui de toutes les femmes qui se sont dévouées aux passions politiques de l’homme qu’elles aimaient, père, frère ou amant… elle sera injuriée, outragée, calomniée. Qu’importe! Elle peut poursuivre sa tâche, je souffrirai, mais je ne douterai jamais d’elle et je me tairai. Si nous triomphons, elle sera ma femme, si nous subissons une défaite!…

Un geste compléta sa pensée, disant plus énergiquement que toutes les affirmations, qu’il s’attendait, qu’il se résignait à tout.

M. Lacheneur fut visiblement ébranlé.

– Au moins, laissez-moi le temps de réfléchir, dit-il.

– Il n’y a plus à réfléchir, monsieur.

– Mais vous êtes un enfant, Maurice, mais votre père est mon ami…

– Qu’importe!…

– Malheureux!… Vous ne comprenez donc pas qu’en vous engageant, vous engagez fatalement le baron d’Escorval… Vous croyez ne risquer que votre tête, vous jouez la vie de votre père…

Mais Maurice l’interrompit violemment.

– C’est trop d’hésitations!… s’écria-t-il, c’est assez de remontrances!… Répondez-moi d’un mot!… Seulement, sachez-le bien, si vous me repoussez, je rentre chez mon père, et avec ce fusil que je tiens, je me fais sauter la cervelle…

Ce ne pouvait être une menace vaine. On comprenait à son accent que ce qu’il disait, il le ferait. On le sentait si bien que Marie-Anne s’inclina vers son père, les mains jointes, le regard suppliant.

– Soyez donc des nôtres! prononça durement M. Lacheneur. Mais n’oubliez jamais la menace qui m’arrache mon consentement. Quoi qu’il arrive à vous ou aux vôtres, rappelez-vous que vous l’aurez voulu!…

Mais ces sinistres paroles ne pouvaient toucher Maurice, il délirait, il était ivre de joie.

– Maintenant, continua M. Lacheneur, il me reste à vous dire mes espérances et à vous apprendre pour quelle cause…

– Eh!… qu’est-ce que cela me fait! dit insoucieusement Maurice.

Il s’avança vers Marie-Anne, lui prit la main qu’il porta à ses lèvres, et, riant de ce bon rire de la jeunesse, il s’écria:

– Ma cause… la voilà!…

Lacheneur se détourna. Peut-être songeait-il qu’il suffisait d’un mouvement de sa volonté, d’un sacrifice de son orgueil pour assurer le bonheur de ces deux pauvres enfants…

Mais si une pensée de rémission traversa son cerveau, il la repoussa, et c’est de l’air le plus sombre qu’il reprit:

– Encore faut-il, monsieur d’Escorval, arrêter nos conventions…

– Dictez vos conditions, monsieur.

– D’abord, vos visites ici, après certains bruits répandus par moi, éveilleraient des défiances. Vous ne viendrez nous voir que de nuit, à des heures convenues d’avance, jamais à l’improviste…

L’attitude seule de Maurice affirmait son consentement.

– Ensuite, comment traverserez-vous l’Oiselle sans avoir recours au passeur, qui est un dangereux bavard?…

– Nous avons un vieux canot, je prierai mon père de le faire réparer.

– Bien. Me promettez-vous aussi d’éviter le marquis de Sairmeuse?

– Je le fuirai…

– Attendez… il faut tout prévoir. Il se peut que le hasard, en dépit de nos précautions, vous mette en présence ici. M. de Sairmeuse est l’arrogance même, et il vous déteste… Vous le haïssez et vous êtes violent… Jurez-moi que s’il venait à vous provoquer, vous mépriseriez ses provocations…

– Mais je passerais pour un lâche, monsieur!…

– Probablement!… Jurez-vous?…

Maurice hésitait, un regard de Marie-Anne le décida.

– Je jure!… prononça-t-il.

– Pour ce qui est de Chanlouineau, il sera bon de ne lui pas laisser trop voir notre intelligence… mais c’est mon affaire…

M. Lacheneur s’arrêta, réfléchissant, cherchant dans sa mémoire s’il n’oubliait rien.