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– Ils viennent!… monseigneur, s’écria Chupin, ils sont en route!…

– Qui?… qui?…

Pour toute réponse, le vieux maraudeur tendit une copie de la lettre écrite par Martial sous la dictée de Chanlouineau.

M. de Sairmeuse lut à haute voix:

«Mon cher ami, nous sommes enfin d’accord, et le mariage est décidé. Nous ne nous occupons plus que de la noce, qui est fixée au 4 mars…»

La date n’était plus en blanc, cette fois, mais tel était l’aveuglement du duc qu’il s’obstinait à ne pas comprendre.

– Eh bien?… demanda-t-il.

Chupin s’arrachait les cheveux.

– Ils sont en route!… répéta-t-il… je parle des paysans… ils comptent s’emparer de Montaignac, chasser S.M. Louis XVIII, ramener «l’autre,» ou du moins le fils de «l’autre…» Gredins de paysans! Ils m’ont trompé… Je me doutais de la chose, mais je ne la croyais pas si proche…

Ce coup terrible, en pleine sécurité, frappait le duc de stupeur. Il demanda:

– Combien donc sont-ils?

– Eh!… le sais-je, monseigneur… deux mille peut-être… peut-être dix mille…

– Tous les gens de la ville sont pour nous.

– Non, monseigneur, non!… Ils ont des complices ici; tous les officiers à la demi-solde les attendent pour leur tendre la main.

– Quels sont les chefs?…

– Lacheneur, l’abbé Midon, Chanlouineau, le baron d’Escorval…

– Assez! cria le duc.

Le danger se précisant, le sang-froid lui revenait; sa taille herculéenne courbée par les ans se redressait.

Il sonna à briser la sonnette; un valet parut:

– Mon uniforme, commanda M. de Sairmeuse, mes ordres, mon épée, mes pistolets!… Faites vite!

Le domestique se retirait abasourdi…

– Attends!… cria-t-il encore. Qu’on monte à cheval et qu’on aille dire à mon fils d’accourir ici, bride abattue… Qu’on prenne mes meilleurs chevaux… On peut aller à Sairmeuse et en revenir en deux heures…

Chupin le tirait par le pan de sa redingote; il se retourna:

– Qu’est-ce encore?…

Le vieux maraudeur mit le doigt sur ses lèvres, commandant ainsi le silence; mais dès que le valet fut sorti:

– Inutile, monseigneur, dit-il, d’envoyer chercher M. le marquis?

– Et pourquoi, maître drôle?

– C’est que, monseigneur, c’est que, excusez-moi, je vous suis dévoué…

– Jarnibieu!… parleras-tu?…

Positivement, Chupin regrettait de s’être tant avancé…

– Alors donc, bégaya-t-il… monsieur le marquis…

– Eh bien?…

– Il en est!…

D’un formidable coup de poing, M. de Sairmeuse renversa la table.

– Tu mens, misérable!… hurla-t-il, en jurant à faire tomber le crépi du plafond, tu mens!…

Il était à ce point menaçant et terrible que le vieux maraudeur bondit jusqu’à la porte, dont il tourna le bouton, prêt à s’enfuir.

– Que j’aie le cou coupé si je ne dis pas vrai, insista-t-il… Ah! la fille à Lacheneur est une fière enjôleuse, tous ses galants en sont, Chanlouineau, le petit d’Escorval, le fils de Monseigneur et les autres…

M. de Sairmeuse commençait à vomir un torrent d’injures contre Marie-Anne quand son valet de chambre rentra…

Il se tut, endossa son uniforme, ordonna à Chupin de le suivre et s’élança dehors.

Il espérait encore que Chupin exagérait, mais quand il arriva sur la place d’Armes, d’où on découvrait une grande étendue de pays, ses dernières illusions s’envolèrent.

L’horizon flamboyait. Montaignac était comme entouré d’un cercle de flammes.

– C’est le signal!… murmura le vieux maraudeur, c’est l’ordre de se mettre en route pour la noce, comme ils disent dans la lettre. Ils seront aux portes de la ville vers deux heures du matin…

Le duc ne répondit pas. Il ne lui restait plus qu’à se concerter avec M. de Courtomieu.

Il se dirigeait à grands pas vers la maison du marquis, lorsqu’en tournant court la rue de la Citadelle, il distingua sous une porte deux hommes qui causaient, et qui, à la vue de ses épaulettes brillant dans la nuit, prirent la fuite…

Instinctivement il s’élança à leur poursuite et en atteignit un qu’il saisit au collet.

– Qui es-tu?… interrogea-t-il; ton nom?

Et l’homme se taisant, il le secoua si rudement que deux pistolets qu’il tenait cachés sous sa redingote tombèrent à terre.

– Ah! brigand!… s’écria M. de Sairmeuse, tu conspires!…

Aussitôt, sans un mot, il traîna cet homme au poste de la Citadelle, le jeta aux soldats stupéfiés et se précipita chez M. de Courtomieu.

Il pensait terrifier le marquis. Point. Lui avait été bouleversé, son ami sembla ravi.

– Enfin!… prononça-t-il, voici donc une occasion de faire éclater notre dévouement et notre zèle!… Et sans danger!… Nous avons de bonnes murailles, des portes solides, 3 000 hommes de troupes!… Ces paysans sont fous!… Mais bénissez leur folie, cher duc, et courez faire monter à cheval les chasseurs de Montaignac…

Mais une pensée soudaine l’assombrit, il se gratta le front et ajouta:

– Diable!… et moi qui attends Blanche ce soir!… Elle a dû quitter Courtomieu après dîner… Pourvu qu’il ne lui arrive pas malheur!…

XXI

Le duc de Sairmeuse et le marquis de Courtomieu avaient devant eux plus de temps qu’ils ne croyaient.

Les paysans s’avançaient, mais non si vite que l’avait dit Chupin.

Deux de ces circonstances qui, fatalement, échappent aux prévisions humaines, devaient disloquer le plan de Lacheneur…

Debout, au sommet de la lande, un peu en avant des siens, Lacheneur avait compté les feux qui répondaient à l’incendie qu’il venait d’allumer.

Leur nombre répondait à ses espérances, il eut une exclamation de joie.

– Tous nos amis, s’écria-t-il, nous tiennent parole… Ils sont prêts, ils se mettent en route!… Partons donc, nous qui devons être les premiers au rendez-vous!…

On lui amena son cheval, et déjà il avait le pied à l’étrier quand deux hommes s’élancèrent des genêts voisins et bondirent jusqu’à lui. L’un d’eux saisit le cheval par la bride.