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– Je vous le défends.

– Hélas! mon père, je ne puis vous obéir… je suis engagé… j’ai juré… je commande après Lacheneur…

Sa voix était triste; mais elle annonçait une inébranlable détermination.

– Mon fils!… reprit M. d’Escorval, malheureux enfant!… C’est à la mort que tu marches… à une mort certaine.

– Raison de plus pour ne pas manquer à ma parole, mon père…

– Et ta mère, Maurice, ta mère que tu oublies!…

Une larme brilla dans les yeux du jeune homme.

– Ma mère, répondit-il, aimera mieux pleurer son fils mort, que le garder près d’elle, déshonoré, flétri des noms de lâche et de traître… Adieu, mon père!

M. d’Escorval était digne de comprendre la conduite de Maurice. Il étendit les bras et serra sur son cœur ce fils tant aimé, convulsivement, comme si c’eût été pour la dernière fois…

– Adieu!… balbutia-t-il, adieu!…

Maurice avait déjà rejoint les autres, dont les acclamations allaient se perdant dans le lointain, que le baron d’Escorval était encore à la même place, écrasé sous l’excès de sa douleur…

Tout à coup il se redressa.

– Un espoir nous reste, l’abbé, s’écria-t-il.

– Hélas!… murmura le prêtre.

– Oh!… je ne m’abuse pas. Marie-Anne ne vient-elle pas de nous dire où est le rendez-vous?… En courant à Escorval, en attelant en hâte un cabriolet, nous pouvons devancer les conjurés à la Croix-d ’Arcy. Votre voix, qui avait ému Lacheneur, touchera ses complices. Nous déciderons ces pauvres égarés à rentrer chez eux… Venez, l’abbé, venez vite!…

Et ils partirent en courant…

XXII

Huit heures sonnaient au clocher de Sairmeuse quand M. Lacheneur et les siens quittèrent la lande de la Rèche.

Une heure plus tard, au château de Courtomieu, Mlle Blanche finissait de dîner et demandait sa voiture pour aller rejoindre son père à Montaignac.

L’étroitesse du logis mis à sa disposition avait forcé le marquis à le séparer de sa fille. Ils ne se voyaient que le dimanche, soit que Mlle Blanche se rendît à la ville, soit que le marquis vînt au château.

Ainsi, ce voyage qu’entreprenait la jeune fille sortait des habitudes établies; des circonstances graves l’expliquaient.

Il y avait six jours que Martial n’avait paru à Courtomieu, et Mlle Blanche était à moitié folle de douleur et de colère.

Ce qu’eut à endurer tante Médie pendant ce temps, ne peut être compris que de ceux qui ont observé dans certaines familles riches de ces pauvres parentes, réduites à tout attendre de la pitié, le vêtement, le pain, le sou même destiné à payer la chaise à l’église.

Durant les trois premiers jours, Mlle Blanche avait pu rester maîtresse de soi; le quatrième elle n’y tint plus, et malgré l’inconvenance de sa démarche, elle osa envoyer prendre des nouvelles de Martial. Etait-il malade, absent?…

On répondit à son messager que M. le marquis se portait comme un charme, mais que chassant de l’aurore au crépuscule, il se couchait tous les soirs aussitôt souper.

Quelle horrible injure!… Mais du moins elle était persuadée que Martial, prévenu de sa démarche, se hâterait le lendemain d’accourir s’excuser. Illusion vaine de l’orgueil! Il ne parut pas, il ne daigna pas donner signe de vie.

– Ah! sans doute il est près de l’autre, disait-elle à tante Médie, il est aux genoux de cette misérable Marie-Anne… sa maîtresse.

Elle disait ainsi, ayant fini par croire – cela arrive – aux calomnies qu’elle même avait inventées.

En cette extrémité, elle se décida à se confier à son père, et elle lui écrivit pour lui annoncer son arrivée.

Laisser voir le déchirement de son âme, l’excès de son amour et de sa jalousie lui paraissait une atroce humiliation, mais ses souffrances étaient intolérables.

Elle voulait que son père contraignît Lacheneur à quitter le pays. Ce devait être un jeu pour lui, revêtu d’une autorité presque discrétionnaire, à une époque où une «attitude tiède» pouvait être un prétexte de proscription.

Le calme qui résulte du parti pris lui était revenu quand elle quitta Courtomieu, et ses espérances débordaient en phrases passionnées que la parente pauvre subissait avec son habituelle résignation.

– Enfin!… disait-elle, je serai donc débarrassée de cette coureuse, de cette effrontée!… Nous verrons bien s’il a l’audace de la suivre!… La suivrait-il?… Oh! non, il n’oserait!…

Quand la voiture traversa le village de Sairmeuse, Mlle Blanche y remarqua une animation inaccoutumée.

Il y avait encore de la lumière dans toutes les maisons, les cabarets paraissaient pleins de buveurs, on apercevait des groupes animés sur la place, enfin sur le pas des portes, des commères causaient.

Mais qu’importait à Mlle de Courtomieu! C’est seulement à une lieue de Sairmeuse qu’elle fut tirée de ses préoccupations.

– Écoute, tante Médie! dit-elle tout à coup. Entends-tu?…

La parente pauvre prêta l’oreille.

On entendait de lointaines clameurs qui, à chaque tour de roue, devenaient plus distinctes.

– Sachons ce que c’est, fit Mlle Blanche.

Et abaissant une des glaces de la voiture, elle interrogea le cocher.

– Il me semble, répondit cet homme, que je vois, tout au haut de la côte, une grosse troupe de paysans… ils ont des torches…

– Doux Jésus!… interrompit tante Médie épouvantée.

– Ce doit être quelque noce, ajouta le cocher en fouettant ses chevaux.

Ce n’était pas une noce, mais bien la troupe de Lacheneur grossie du contingent de quatre ou cinq communes. La petite colonne s’élevait à 500 hommes environ…

Depuis deux heures déjà, Lacheneur eût dû être à la Croix-d ’Arcy.

Mais il lui était arrivé ce qui toujours arrive aux chefs populaires. Le branle donné, il n’avait plus été le maître.

Le baron d’Escorval lui avait fait perdre vingt minutes, il en avait perdu quatre fois autant à Sairmeuse.

Là, deux communes avaient opéré leur jonction, et les paysans s’étaient aussitôt répandus dans les cabarets du village pour boire au succès de l’entreprise.

Les arracher à leurs bouteilles avait été long et difficile…

Et pour comble, une fois qu’on les eut remis en marche, il fut impossible de les décider à éteindre des branches de pin qu’ils avaient allumées en guise de torches.